Un peu de lecture inédite…
Posté par BernartZé le 3 novembre 2008
Un cercueil qui fait mal
Il est vraiment blessant, surtout aux entournures et un peu dans les angles.
Il n’y a pas à dire : ce n’est pas ma taille ; beaucoup trop juste !
Quelle idée aussi de vouloir économiser sur le matériau de base, alors qu’il aurait été nettement plus facile de rogner sur le nombre de poignées, par exemple !
Le chêne est devenu de nos jours carrément hors de prix.
Etait-ce à moi de m’inquiéter du cours du bois et de savoir que mon beau sapin, roi des forêts, aurait finalement délivré une note moins salée ?!
Tout ça pour finir avec un torticolis de première classe ; vous parlez d’un repos éternel !
C’est vrai, je dois le reconnaître, j’ai pris tout le monde de court.
Personne ne s’y attendait, malgré mon âge.
Entre les « vous nous enterrerez tous » et « tu finiras centenaire », j’ai eu plus d’une fois l’occasion de m’inquiéter, de m’angoisser même, pour tout dire.
Déjà, comment savoir précisément s’il s’agissait là de vœux, de menaces ou de regrets ?
Ce genre d’inepties et de phrases prédécoupées ne m’a point titillée mais tout bonnement exaspérée durant mes glorieuses trente dernières années.
Il aurait fallu les enregistrer à chaque fois et forcer ensuite leurs auteurs à les écouter en boucle jusqu’au malaise !
Tant de bêtise me laisse aujourd’hui sans voix !
Toujours est-il que je n’ai jamais eu l’intention de survivre à la fonte des calottes glacières !
Et pourquoi faire d’ailleurs ?
Si vous croyez qu’il est aisé de devoir tenir le rôle de « témoin de notre temps », à cheval sur deux siècles et deux millénaires, par-dessus le marché !!
D’accord, j’ai connu deux guerres.
Mais j’étais si petite au cours de la première et tellement -déjà !- morte de peur durant toute la deuxième que je me demande si ça peut compter ?
J’avais la tête ailleurs, voire franchement à l’ouest !
J’ai même tenté de fuir et de m’exiler.
Oh non ! Sans prendre d’avion ou de paquebot. Faute de passeport et d’argent, à moins de me transformer en rat et de me tapir en fond de calle, je ne risquais pas d’aller bien loin. Je n’ai cependant jamais autant et aussi rapidement voyagé que pendant ces années-là, sans bouger de chez moi, ou presque.
Je m’étais réfugiée au fond d’un cagibi bien dissimulé derrière la tête du lit de ma chambre à coucher. Le papier peint relativement hideux brouillait tant la vue que ma piste et je me sentais un peu plus à l’aise et rassurée dans mon réduit aménagé.
Très tôt et progressivement, je me suis mise à y installer de quoi tenir un siège, puisque de cela il me semblait être véritablement question.
D’abord une table basse, à peine plus grande qu’une table de nuit, et une chaise à niveau (en fait, une petite chaise d’enfant !).
Pour m’éclairer, selon ce que je pouvais trouver au dehors lors de mes ravitaillements, une lampe à pétrole, à huile, ou à gaz.
Et puis un atlas et de quoi écrire, en quantité, le plus possible.
J’ai gribouillé, grafouillé, gratouillé…tant et tant et plus de pages en usant une quantité presque industrielle de crayons à papier !
Juste de quoi oublier ma peur, en fait.
Elle était, la plupart du temps, si incontrôlable qu’elle me faisait écrire dans la fièvre, dans une sorte d’état second dont je me servais pour m’inventer des paysages et des rencontres, en fonction du pays choisi sur une des cartes.
Ces années de guerre ont été pour moi une véritable révélation, celle de mon imagination débordante ainsi que de ma soif d’aventure.
Pas très surprenant, donc, que je me sois mise à voyager et à écrire de vrais livres, dès la guerre finie.
Et j’ai vécu ainsi jusqu’à la fin du siècle dernier, sans me fixer réellement quelque part et sans (pouvoir) m’attacher à personne.
Ma vie a été belle et j’ai été heureuse.
Mais à présent, je connais ma douleur.
Terminés les horizons lointains et les espaces infinis !
Finis les levers et les couchers de soleil jusqu’à plus soif et faim !
Privée même de la possibilité de me retourner au fond de mon cercueil, je crains fort de dépérir vite fait !
Moi qui n’en ai jamais eu la capacité ni l’occasion, je vais devoir apprendre à rêver, histoire de tuer le temps.
C’est de leur faute aussi ; quelle belle bande d’incapables !
Ma seule, unique et dernière volonté n’était-elle pas d’être finalement incinérée ?!
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