La vraie vie (!)
Posté par BernartZé le 26 juin 2009
Wooin !!
Au-delà d’un certain âge, après avoir longuement miaulé, continuellement hurlé à la vie qui n’est vraiment pas juste, même tellement trop…enfin pas assez à la hauteur de ses aspirations premières, il ne reste généralement plus personne à saouler, sauf si l’on avait oublié de commencer par soi-même.
De deux choses l’une alors : soit il est l’heure de remettre son suicide à l’ordre des prochains jours, soit il est largement temps de changer de comportement !
Assez de jérémiades, finies les lamentations à en perdre la voix et le sens de l’orientation.
Reprenons fermement en mains notre destin !
Sans se l’avouer immédiatement, la méthode Coué n’est plus très loin.
Qu’importe ! Vaille que vaille remettons notre cœur à l’ouvrage pour définir de nouveaux objectifs, les plus simples d’abord, afin d’éviter d’échouer trop vite.
Jusque là, rien à dire tant la tâche paraît noble, à défaut d’être modeste.
Inutile, vain, pour ne pas dire mortel de fixer déjà un horizon lointain, il suffit bien d’envisager le lendemain avec une certaine conviction !
Mais comment faire ? Comment procéder à ce changement miracle ?
Depuis le temps je ne sais toujours pas !…
Deux ou trois vies plus tard.
Tout me semble bien plus clair : il faut juste tout reprendre depuis le début, le tout début, depuis le cri primal, enfin le tout premier cri de douleur quand les poumons s’emplissent pour la toute première fois et qu’il est trop tard pour rebrousser chemin.
Si seulement on pouvait naître d’ores et déjà prévenu du pire comme du meilleur, nul doute (pas pour moi en tous cas !) que quelques uns s’abstiendraient, s’ils avaient encore le choix, de se lancer dans cette grande aventure (in- ?)humaine.
Mais comme c’est impossible, contentons-nous de revenir en arrière.
Il pleuvait sur Paris ce jour-là. Grise journée estivale pour une venue au monde.
Une autre météo, une autre heure de naissance et… (?)
Mais non ! Ce serait bien trop facile de tout changer depuis le commencement, détail par détail qui plus est.
L’heure et le lieu de naissance, le temps la pluie et les nuages, on les garde !
Il faudra bien s’en satisfaire.
Partant de là, j’ai dû quitter cette clinique du XIII arr. peu de temps après, et peut-être même sous un chaud soleil enfin plus raisonnablement revenu.
Quelques semaines plus tard on me faisait traverser la Méditerranée pour ma première fois et changer de continent par la même occasion.
Que serait-il advenu si mes toutes jeunes racines n’avaient pas été aussi hâtivement arrachées ?
Peut-être auraient-elles rapidement trouvé un terrain favorable pour s’enfoncer davantage et se développer en tous sens… ?
A présent leur arborescence dépasserait certainement les six pieds sous la terre.
Telles des mains géantes elles auraient fourragé profondément jusqu’à découvrir le lieu souterrain idéal où puiser mes humeurs.
Je n’aurais pas commencé à pousser sur un autre terreau et je n’aurais peut-être jamais réellement vécu ailleurs qu’ici, ce qui n’aurait pas empêché les voyages.
Disons donc : né à Paris, scolarisé non loin de mon boulevard de naissance (au nom d’un physicien, grands dieux !!), bachelier sans doute au même âge (on ne peut plus normal), étudiant dans la capitale ; chouette !
Mais dans quelle faculté…ou dans quelle autre école moins conventionnelle, ou plutôt « attendue » ?
Dix-huit printemps fraîchement dénombrés, aurais-je pu si tôt atterrir, avec quatre années d’avance, là où j’ai effectivement pointé le bout de mon nez déjà (bien) entamé, en imposant ma volonté ou du moins en ayant suffisamment convaincu pour que l’on me laissât aller au bout de mon désir, quitte à me planter…tout aussi lamentablement ?
Sans des parents autres cela me paraît tout autant improbable (!)
Imaginons cependant que je sois entièrement et seul responsable de ce qui ne s’est pas réalisé ; après tout il s’agissait bien de ma vie dont j’étais supposé tenir la barre, ou détenir les clefs, selon la métaphore que l’on préfère !
Donc, jeune, enthousiasme et fringant je débarque, prêt à brûler les planches, mais pas vraiment sûr de ne pas simplement passer à travers la première scène qui pourrait m’être présentée, même celle d’une salle de classe sommairement dressée.
Malgré tous mes doutes sur ma capacité à aligner trois mots pouvant « sonner juste », je me lance, en dépit de ce même physique dont Dame Nature a cru bon et spirituel de me doter, à l’assaut des plus grands textes, ambitieux et surtout plein de l’ivresse des mots.
« Nous partîmes cinq cents » ; « Bon appétit messieurs ! » ; « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! » ; « Rome, l’unique de mon ressentiment » ; « Percé jusques au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle » ; « Grâce à vous une robe a passé dans ma vie » ; « Vous êtes mon lion superbe et généreux » ; « Si l’amour vit d’espoir, il périt avec lui » ; « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé » ; « Va, je ne te hais point » ; « Comme ce soleil couchant est manqué, la nature est pitoyable ce soir » ; « Je demeure immobile et mon âme abattue cède au coup qui me tue » ; « A horse ! a horse ! My kingdom for a horse ! » ; « Si grands que soient les rois ils sont ce que nous sommes et peuvent se tromper comme les autres hommes » ; « Je vois avec chagrin que l’amour me contraigne à pousser des soupirs pour ce que je dédaigne »…j’en passe et bien des meilleurs, sûrement.
Tous ces mots, toutes ces phrases, ces hémistiches et ces alexandrins, cet oxygène indispensable…c’est drôle mais il me semble que je ne suis pas heureux !
Et comment vivre encore si l’on ne respire plus ?
Oh ! Je sais bien qu’il est toujours possible de battre des records d’apnée involontaire ; ceci dit, quel sens donner à tout ce temps perdu, inutile, vain (…) ?
Loin de moi l’idée assez futile et prétentieuse de laisser une trace de mon passage ici-bas ! Au contraire !
J’aurais préféré, sans même essayer de me démarquer des autres, faire du futile un art éphémère et volatile, juste le temps d’avoir le sentiment de vivre et d’avoir vécu, de m’être exprimé aussi.
Même pas cap ! La preuve : à part creuser la tombe que je n’habiterai pas, pour peu que l’on ait bien voulu m’incinérer, histoire de me permettre ensuite, non pas d’occuper moins de place, mais d’être « logé » nulle part, disséminé partout, ce qui n’est pas plus une mince qu’une humble affaire (!), je n’aurai rien accompli.
Bien sûr on pourrait croire que j’ai largement eu le temps (toujours lui !) en de multiples occasions de me faire une raison, en chemin.
Mais tout en faisant du surplace, je ne suis pas parvenu à parachever ce travail de deuil.
Comme s’il m’était resté malgré tout un espoir impossible à tuer.
Admettons ; mais lequel ?
Qu’un improbable miracle vienne enfin me délivrer ?
Non, même pas.
Je sais que sans y prendre garde, je me retrouverai à coup sûr dans cette même situation à l’âge d’être grand-père. Ce serait pourtant sans petits-enfants, toujours sans rien pouvoir projeter, mais peut-être avec un dentier flambant neuf censé remplacer des dents trop vite usées.
Joli tableau, non ?!
Et de me situer toujours au pied de ce même mur infranchissable chatouillant les nuages !
Comme s’il avait été écrit que je n’en verrai jamais l’autre côté.
Est-ce dû à la peur de découvrir ce qu’il peut s’y trouver ou bien au refus de passer la muraille ?
Minuit ! L’heure du crime ! Sur mon cou affleurent des courants d’airs malins mais l’effroi qui me guette ne m’inquiète déjà plus.
Même si l’heure est totalement véridique, je plaisante, simplement pour le bonheur de me repaître de quelques belles sonorités ! Elles me manquaient, sans doute.
J’ai besoin d’un César, pas d’une récompense décernée par les professionnels de la profession (celle du 7ème Art !), mais d’une compression temporelle.
Une fois de plus, il me faudrait détenir le pouvoir de maîtriser l’espace temps, de l’avoir à portée de main toujours, et donc n’importe quand.
Non pas pour m’en servir capricieusement, mais avant tout afin de me permettre de mener, parallèlement à ma vie, celle qui s’obstine à dérouler son cours en dehors de ma bulle.
Peut-être n’est-ce cependant qu’une mauvaise excuse pour continuer à flotter ?
C’est l’impatience qui me dévore, c’est ce cancer qui officieusement me tue à petit feu.
Je ne cherche même plus à le rendre légitime, n’ignorant pas qu’il ne saura jamais se faire reconnaître.
« Légitimité » ! Ce mot n’a de cesse de m’obséder, ce qui n’a rien de surprenant. Il va de paire avec une forme de honte, celle de ne pas être capable de dire l’inavouable, à quarante ans passés.
Mais peut-être, après tout (!?), faut-il posséder un certain talent, pas si commun que cela, pour se trouver encore et toujours (voire définitivement ?) empêtré dans ces mêmes problèmes supposés d’un autre âge.
De l’art de se prendre éternellement les pieds dans le même tapis, dans la même trame sûrement !!
Je n’ai rien contre l’adolescence, n’ayant pas, de plus, le sentiment de l’avoir vécue.
De là à vivre en boucle sur cet « entre deux »…je ne suis pas sûr d’y trouver mon compte, au bout du bout de mon cheminement !
Pour l’instant je n’ai toujours pas de véritable problème avec le fait de « vieillir », notion non seulement toute relative mais qui n’est rien comparée à celle du « temps perdu ».
Les années passent, évidemment, et arithmétiquement c’est difficile à croire, mais bien moins que le temps que représentent toutes ces années perdues à ne pas se trouver.
Oh ! Je n’irai pas jusqu’à dire que le gâchis fut total ; j’ai appris certaines choses au cours de ma non vie, mais peut-être pas suffisamment pour en faire un roman, ni même une nouvelle.
Juste de quoi écrire le synopsis d’un scénario de court-métrage !
Il est né ; il n’a pas su vivre ; et…
Quatre ou cinq plans fixes et le tour est joué ! Qui a dit que produire un film (même court) coûtait les yeux de la tête ?
Je n’ai aucune idée des prix (évidemment !), mais en louant une journée (une demi, est-ce possible ?) une toute petite caméra numérique et en promettant de la rendre intacte après avoir effacé sa mémoire afin de ne pas l’occuper inutilement, il devrait être possible de réaliser un autre chef d’œuvre, aussi marquant qu’oubliable, qui viendra grossir le lot des films d’auteur (parfois trop situés au…niveau du nombril).
Une seule copie de l’objet, vite fait bien fait, pourrait même lui conférer (bien) plus tard une certaine valeur.
Des illuminés du siècle suivant seraient même capables de la considérer comme le témoignage inestimable d’un style de vie d’un autre temps.
Ben non ! Perdu !
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