Que de questions existentielles !
Posté par BernartZé le 20 juillet 2010
Scène de crime
– Tu veux un peu de glace ?
– Non, merci. Je prends une douche et après je me suicide.
– Oui, mais d’habitude, ça ne t’empêche pas de vouloir en manger.
– Pas cette fois.
– Pourquoi ?
– J’en ai marre !
– Mais tu peux goûter d’autres parfums, pour changer.
– Je te dis que je n’en peux plus !!
– Tu n’en veux plus du tout, à jamais, pour toujours ?…
– Tu le fais exprès ou bien tu es devenu totalement idiot ?!
– Excuse-moi, j’essaye juste de comprendre.
– Il n’y a plus rien à comprendre, c’est comme ça.
– C’est comme ça ? Tu n’aimes plus les glaces, ni les sorbets, tous parfums confondus ?
– Je n’ai jamais aimé les sorbets !
– Même pas ceux à l’ananas ?
- Même pas !!
– Tu me sembles de bien méchante humeur aujourd’hui.
– Pas spécialement.
– Alors, pourquoi cette soudaine aversion pour les crèmes glacées ?
– Tu m’énerves !!
– Ça n’est pas une réponse.
– Disons que j’ai atteint le degré maximum de l’overdose de tout : des jours qui passent, en vain, des levers et des couchers de soleil qui m’insupportent à la longue, des gens qui s’en foutent, sans s’en rendre compte ni savoir pourquoi, de la poussière qui retombe perpétuellement, du vide intersidéral, des mouches qui volent bruyamment, des glaces qui fondent à température ambiante et des sorbets qui ont un satané goût de flotte.
Ça te suffit ou tu veux que je développe ?
– C’est un petit peu confus, tout de même.
– Tu n’as rien écouté ?!
– Si, mais je ne suis pas sûr d’avoir tout entendu.
– Comme d’habitude, j’ai l’impression d’avoir parlé aux murs.
– Vu qu’ils ont des oreilles, tu peux te rassurer, ils n’en ont pas perdu une miette !
- Encore faudrait-il que mes jambes continuent de me porter.
- Jusqu’au mur d’en face ?
– C’est tout à fait cela. Et au-delà du mur, des portes et des fenêtres, qu’elles puissent me mener jusqu’en Terre Promise !
– Laquelle ?
– Celle que j’ai toujours espéré atteindre.
– A savoir… ?
– Je te trouve bien curieux subitement.
– Pardonne-moi, je m’intéresse ; tu ne peux pas me le reprocher.
– A condition de ne pas te montrer indiscret !
– Faudrait savoir ce que tu préfères : que l’on t’ignore ou bien que l’on se penche aimablement sur ton petit nombril ?
– Je trouve suspect cet intérêt soudain pour mon petit nombril, comme tu dis.
– Ce n’était que par pure amitié.
– Depuis quand sommes-nous amis ?
– Depuis…tu cherches à me blesser, là ?!
– Non, je m’interroge seulement.
– Depuis…que nous sommes nés.
– Et tu crois que ça pourrait suffire à te légitimer ?!
– Je veux croire que tu es réellement dans un de tes mauvais jours.
- Oh, j’ai connu bien pire !
– Ce n’est pas une raison pour me le faire sentir.
– Tu versifies soudain ?
- Ça m’avait échappé, emporté par l’entrain.
– Très drôle !
– Merci de reconnaître au moins ce trait d’esprit.
- Pas sûr qu’il puisse parer aux périls de la vie.
– Elle était pauvre, ta rime.
– Un bonus, une prime !
- Mais de quelle grandeur d’âme tu peux parfois faire preuve !
– J’aspire, dans mes élans, à divertir mes œuvres.
– Plus pauvre encore celle-ci, juste bonne pour la frime.
– Je n’ai eu que le temps de me garder d’un crime.
– De lèse-machin-chose, of course !
Et sinon, ta vie, ton chemin, ton œuvre… ?
– Elle coule, il se creuse, elle s’essouffle.
– Rien que ça !
– Pas moins, en tous cas.
- Si l’optimisme était contagieux, tu serais porteur sain !
– Désolé de ne pas être davantage malade.
– Oh ! Rassure-toi, tu l’es, bien plus que tu ne le crois.
– Tu veux dire que…je suis malade, complètement malade ?
– Tu peux le chanter sur tous les tons, le prendre à la légère, il n’en demeure pas moins que tu souffres…
– En silence !
– Pas toujours, pas tellement, et jamais quand te prend l’envie de le faire sentir autour de toi.
– Bref, je suis invivable.
– Si c’est toi qui l’affirme, je ne te contredirai pas.
– Et si c’était une simple question ?…
– Je serais bien obligé de te contrarier un peu.
– C’est charmant !
– C’est sincère, excuse-moi.
– Ça n’en demeure pas moins charmant et sincère et un brin méchant.
– Entre nous…
– …un accord tacite demeure, immuablement ; pourtant je crois qu’il serait temps de clarifier nos positions, quitte à nous retrancher chacun dans nos bases arrières.
– Mais qu’est-ce que tu racontes ?!
– Oui je sais, j’extrapile, je berlificote, je dérive…
- Surtout, tu es en pleine paranoïa inventive, fertile et… carrément déconnectée de toute réalité.
– Voilà qu’il te revient de me prendre pour un fou !
– Pas fou, pas entièrement, pas de façon irrémédiable, incurable et définitive. Peut-être pourrais-tu éviter le pire…
– Qui es-tu pour me prévenir d’auspices aussi funestes ?!
– Toi.
- Moi ?!!
– Toi, moi, nous, c’est pareil. Ça revient au même et nous ramène toujours à nous deux, à toi seul. A moi quand tu t’entêtes à me faire la guerre, à toi quand tu refuses de baisser pavillon et de comprendre et d’accepter.
C’est peine perdue de combattre. Tu ferrailles dans le vide lorsque tu t’agites en vain.
Tu en deviens…
– Quasiment pathétique ?
– Pourquoi donc quasiment ?!
– Je le suis, c’est un fait, tu as raison ; j’essaye seulement de l’oublier au quotidien, pour continuer à avancer…
– …Tout en tournant en rond !
– Tu es dur !
– Non, simplement lucide.
– Chaque jour, pourtant, je m’évertue.
- Tu t’y prends très mal, de toute évidence.
– C’est, en particulier, du mal que je nous fais.
– Il est bien temps de le reconnaître !
– Il est surtout trop tard pour pouvoir rien changer.
– Je sais, c’est ce que tu crois.
– Tu crois savoir, je ne l’ignore pas, comment me dépêtrer d’un tel bourbier.
– Plutôt un enchevêtrement, du genre plat de spaghetti, avec sa sauce à part !
– Au contraire ! Elle nous lie plus encore.
– Ce n’est pas une raison pour se resservir et risquer l’étouffement.
– J’ai tout fait, justement, pour tenter de m’extirper de ce piège ; plus je voulais m’en dégager, plus je m’arrachais de chairs.
- Et d’âme et de cœur et d’esprit et tutti quanti !!
– Tu n’as pas tort de te moquer, c’est la seule chose qui nous reste possible.
– Non ! Pas nous !
– Quoi ?
- Je me désolidarise.
– Tu m’abandonnes ?
– Je te quitte. Je te laisse à ton plat en sauce, à ton enchevêtrement, à ton bourbier, à toutes tes contradictions, à tes pièges aux dents d’acier, à tes remords, à mes regrets qui ne seront pas éternels.
Je te laisse, je me sauve ; à toi de réussir à en faire autant, mais tout seul !
– Il faut voir double pour être schizophrène ; si tu pars…
– Je t’offre une chance unique de parvenir enfin à t’apercevoir.
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