Au secours !!
Posté par BernartZé le 29 juillet 2010
Les tas de manques
Ne pas faire de liste, car elle serait trop longue et bien trop inepte.
Ne pas rester enfermé sous prétexte que peut-être…
Même si je suis contagieux, j’irai travailler !
Je ne peux pas ne pas la voir aujourd’hui, comme hier ; le week-end viendra bien assez vite qui me privera d’elle pendant deux jours interminables.
Il sera toujours temps pour moi de déclarer la maladie plus tard ; qu’importe que ce soit celle-là plutôt qu’une autre.
De toute façon, je suis déjà malade.
M’interdire de l’apercevoir ne ferait qu’empirer mon état.
Et…mon état, c’est moi !
J’ai oublié depuis quand je ne peux plus m’en passer.
Comme si ma dépendance avait toujours existé.
Je ne me souviens plus même d’avant.
Par contre, comment effacer l’enfer que furent pour moi ses dernières vacances ?
Deux semaines qui me parurent ne jamais pouvoir finir.
Quatorze jours en apnée passés à noircir frénétiquement des pages et des pages d’un cahier d’écolier, comme lorsque je tenais un journal, histoire d’entretenir l’illusion d’être vivant.
Tout ce temps à écrire plutôt que de me tordre de douleur et de rire.
D’un rire sardonique et lucide.
Un rire forcément narquois en regard d’une situation aussi pathétique que comique.
J’étais dans une forme si pitoyable qu’il n’était plus même question d’envisager de sauver la face, de sortir et de faire semblant.
Je n’avais pas d’autre envie que de me complaire dans la douloureuse attente du retour de cette Pénélope ; et c’est moi qui tissais et détissais sans fin le voile !
Quitte à inverser les rôles, autant ne pas faire durer ce déplaisir pendant aussi longtemps.
Malgré cela, ces quelques quinze jours me firent l’effet d’un siècle.
J’eus le temps de mourir des centaines de fois, de désespoir comme d’inanition, ne songeant pas à manger.
C’est pourtant l’abattement qui faillit bien avoir définitivement ma peau !
A force de faire le décompte des jours, des heures et des minutes, j’en étais arrivé à perdre totalement de vue l’issue de ce tunnel sans fin.
Je n’étais plus qu’accablement et découragement.
La dépression était bel et bien là.
Sans l’écriture, peut-être serais-je mort…?!
Sans elle, peut-être n’aurais-je pas appris à découvrir les pièges, les cavités et les recoins dans lesquels pouvait s’égarer mon âme, juste pour que j’aille l’y rechercher.
Sans l’écriture, sans doute n’aurais-je pas survécu.
Le mot paraît fort, alors qu’il n’en est rien.
De l’attente, j’ai cru mourir, et j’ai même cru à ma faiblesse.
J’ai eu le loisir de penser que j’étais né ainsi, moins résistant, moins courageux que la plupart des autres humains.
Je ne pouvais donc mériter de vivre, si ce n’était pour souffrir autant, plus que les autres, sans doute.
A moi de m’endurcir ou de baisser définitivement pavillon.
J’ai bien failli le faire ; j’ai bien failli faillir, avant d’atteindre le bout du bout de cette épreuve.
Pourquoi en ai-je finalement réchappé ?
Je ne crois pas avoir seulement eu le choix.
Malgré la douleur de l’addiction, je voulais la revoir.
Après avoir coulé à pic, je ne pouvais que remonter à la surface.
Pour la respirer à nouveau.
Lorsque je la revis enfin, elle parlait en petit comité de son temps de villégiature passé chez ses parents felletinois, vivant -donc- à une dizaine de kilomètres au sud d’Aubusson.
Mis à part le lien existant dans mon cerveau entre cette plus grande ville et la tapisserie, j’ignorais absolument tout de la Creuse !
Durant sa première semaine, il avait beaucoup plu, et il avait neigé au cours de la suivante ; bref, elle n’avait pas eu très chaud.
Elle n’avait pas non plus, lors de cette pause café, jeté un seul regard dans ma direction.
Rien de surprenant, cependant ; je n’avais jamais ignoré qu’elle ne me connaissait pas !
Disons que…j’avais toujours été pour elle un simple collègue de bureau.
La force de mes sentiments tus n’avait jamais suffi à me faire remarquer.
J’étais stupide, j’étais idiot, me condamnant d’avance.
Et tout en sachant parfaitement qu’aucun avenir commun n’existerait jamais, je persévérais dans mon erreur, continuant à me consumer muettement.
Pourtant, aujourd’hui, comment hésiter un seul instant ?
Entre une probable incubation (une varicelle ? la seconde ? impossible…même si j’ai oublié si je l’ai jamais eue !) et l’idée de me priver d’instants volés, il n’est pas d’hésitation.
Juste pour l’entrevoir, je laisserai cet arrêt de travail chez moi sur un coin de table.
Tant pis si je risque d’en contaminer d’autres !
Quel moindre mal pour eux.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne, je ne puis demeurer loin d’elle, tout en sachant qu’elle partira bientôt ailleurs.
J’irai d’abord à la cantine, pour les voir tous, et surtout pour la voir.
Puis j’irai travailler comme tout le monde, mine de rien.
J’irai jusqu’au bout de cette voie sans issue, pour l’unique raison que je suis incapable de faire autrement.
Aussi absurde que cela puisse paraître, l’état de manque ne se comble jamais.
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