Du vécu (ou presque)…

Posté par BernartZé le 10 septembre 2010

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Un aveu

               

                Je…ne sais pas lire…ni même écrire.

    

     Je dicte ce que je pense ou je ressens.

C’est une contrainte quotidienne que personne ne peut vraiment imaginer.

Pour la comprendre, il faudrait être comme moi.

C’est-à-dire…handicapé.

    

     Comme d’un bâton qui se serait pris dans les roues de mon tout premier landau, je n’ai jamais réussi à me dépêtrer de ce problème.

N’ayant jamais pu lire, j’ai du apprendre à reconnaître, à comparer et à compter.

Je discerne assez bien toutes les lettres ; sitôt qu’elles ont décidé de se rassembler en syllabes, j’ai beaucoup plus de mal à les distinguer.

Pour moi la brume se lève et, même si les prévisions météorologiques n’en disent jamais rien, c’est vite la purée de pois !

J’ai beau me concentrer en réajustant sans relâche mes lunettes, je n’y vois goutte !

Bien au-delà d’un flou supposé artistique, je ne perçois plus que des tâches informes.

Elles sont plus ou moins compactes, étendues ou ramassées.

Mais toujours elles me font l’impression de me défier.

J’aimerais pouvoir dire un jour : « Hier, j’ai pris ma plus belle plumeinv.jpg   pour lui écrire un mot ».

Mais, forcément, ce n’est qu’un rêve, sans clair de lune. 

         

     Dès l’école primaire, ma myopie fut détectée.

Et même si je ne sais plus si j’avais six ou sept ans le jour de mes premières lunettes, je me souviens très bien des moqueries répétées du genre « binoclard », « doubles foyers » ou « billes de verre » ; rien que du très classique. 

Ça ne m’a pas vraiment dérangé ; j’ai simplement trouvé cela plus injuste que cruel.

On m’a aussi supposé dyslexique, puis finalement pas.

Je n’avais pas plus l’air timoré qu’introverti ; je ne semblais ni asocial, ni même farouche.

J’aimais aller à l’école et, outre l’apprentissage de la lecture, les autres matières me réussissaient plutôt bien.

En fait, il apparaissait seulement une sorte d’incompatibilité d’humeur entre les mots écrits et moi.

Une rebuffade, un entêtement, un blocage, le refus d’un obstacle.

A croire qu’il m’était impossible de suivre le mouvement pour faire comme tout le monde.

             

     Et mes parents dans tout ça ?  

Etant leur unique enfant, ils furent d’abord anéantis.

Comme tous bons parents, ils commencèrent par se sentir coupables, responsables, fautifs de quelque chose qui leur aurait échappé.

Passé le choc et -j’imagine- la déception, ils réalisèrent qu’ils m’aimaient quand même et qu’ils continueraient donc à m’aider dans mon difficile apprentissage.

Ils consultèrent sans, puis avec moi, des spécialistes en tous genres.

De là date sûrement leur…allergie prurigineuse à certains membres du corps médical, plus précisément à ceux qui ne manquaient jamais de se targuer d’une connaissance approfondie du cerveau humain et de ses méandres.

S’ils ne m’avaient jugé ni débile, ni attardé mental, ils n’avaient pu éviter de leur suggérer un désordre affectif aussi évident qu’inexpliqué, les invitant à m’emmener voir du côté du bon Docteur Freud et de ses nombreux disciples.

Cette époque les marqua définitivement et j’en suis aussi malheureux que contrit.

Mes parents renoncèrent toujours à se faire une raison. 

                                        

     Ils me virent grandir, changer de classe, tout en redoutant mon arrivée au collège.

A juste titre, puisque mon handicap ne tarda pas à être découvert.

Le jour où fut commencée la lecture en cours de Français d’un livre de Gaston Leroux, « Le fauteuil hanté », je restai sans voix.

Je fis semblant de tousser pour m’éclaircir la gorge, puis de prendre mon élan pour mieux me taire ensuite, et finalement jouer les grands timides.

On passa à un autre camarade, puis une autre, pour mieux…revenir à moi deux jours après.

La lecture de ce satané bouquin n’était pas près d’être achevée !

Le fauteuil commençait à ne plus être seul hanté.

Mon extinction de voix ne pouvant s’éterniser, pas plus que ma gaucherie ou mon embarras supposé, je dus prendre mon courage à deux mains et tenir fermement le livre avant de m’élancer.

Inutile de relater ce qui en résulta.

Mais c’est bien ce jour-là que je fus mis à nu.    

                              

     Alors, on me fit la guerre, tout en tentant de m’assouplir et de m’amadouer.

On essaya de comprendre et de me raisonner.

En vain.

Une autre de mes bizarreries congénitales, mes cheveux plantés en dépit du bon sens, faillit mettre le feu aux poudres.

Si, en plus, j’avais été rouquin, qui sait si mes petits camarades n’auraient pas tenté de me faire un procès en sorcellerie, tout en grattant des allumettes.

Heureusement (?), j’étais né châtain clair, mais avec une coiffure tendance pétard qui me donnait un air encore plus étranger.

Mon crâne, tout plein d’épis, leur paraissait aussi inquiétant et suspect que s’il avait été planté de multiples banderilles.

Que ma chevelure soit courte ou (légèrement) trop longue, elle ne pouvait manifestement être habitée que par une compagnie de porcs-épics caractériels !

S’ils m’avaient découvert au saut du lit !…

Bref, mes cheveux n’étaient pas plus souples que ma caboche qui commençait à rendre fous les enseignants les plus endurants.

De surcroit, ils en déduisirent, chez moi, un comportement forcément imprévisible.

        

     L’Education Nationale n’étant pas à une contradiction près, je passai de classe en classe, en me faisant -alternativement- remarquer et oublier.

Jusqu’au jour où, en fin de collège, on se dit que je ne pouvais décemment pas prétendre devenir lycéen.

Il n’en fut effectivement rien ; et je devins « artisan en ébénisterie ».

L’odeur du bois et son toucher m’ayant vite séduit, je peux bien avouer aujourd’hui que cette période de ma vie fut des plus heureuses, même si j’avais déjà conscience de ce qui allait bientôt me devenir indispensable.

 

     Je m’étais découvert manuel et, tout en ne le regrettant pas, les mots me manquaient pour m’écrire.

Si je savais assez bien m’exprimer oralement, le besoin de le faire par écrit se faisait de plus en plus pressant.

Et tous les livres que j’avais « lus » renforçaient mon envie de mieux faire.

J’ai pratiqué plusieurs méthodes d’apprentissage afin de combler mon retard et je dois reconnaître que j’ai autant péché par orgueil que par impatience.

L’apparition du dictaphone dans ma vie me rendit des couleurs en faisant des merveilles.

Je me mis à parler au point de remplir des mini cassettes en pagaille.

L’heure des enregistrements numériques vint à point nommé ; je n’avais plus de place pour stocker physiquement quoi que ce soit !

Ma langue se délia et gagna en souplesse.

Je devins plus hardi et j’osai l’impensable.

J’écrivis.

 

     Mon premier roman, comme tant d’autres, s’avéra être une pure fiction…avec plein de morceaux de vécu dedans.

J’y parlais de voyages, d’aventures et d’exils ; mon héros n’avait de cesse de se chercher et de se perdre, en espérant se (re)trouver un jour.

Je fus lu, écouté, publié.

Je n’en reviens toujours pas et, si c’est peu de le dire, c’est que ce serait -pour moi- bien davantage de l’écrire !

 

                A l’heure qu’il est, j’en suis encore à dicter ces lignes et mes mots sont pianotés par une tierce personne…extrêmement dévouée.

Notre collaboration a débuté, il y a deux mois et dix-huit jours, grâce à une rencontre fortuite chez « mon éditeur » (!) ; nous ne nous sommes, depuis, presque plus quittés.

Le plus impensable n’est pas qu’elle m’ait inspiré le sujet de mon deuxième roman et un sentiment simplement inédit.

     La chose incroyable qui risque bien de m’arriver un jour, si je persévère et m’entête sans jamais renoncer ni me décourager, sera de l’écrire moi-même, puis de le taper !

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(© 2010/droits réservés) 

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