Du vécu (ou presque)…
Posté par BernartZé le 23 novembre 2010
Sauvegarde, malchance et chocolat
Par une très belle après-midi de juin, je fus floué, frustré, marri, dépossédé et grièvement blessé par la faute de deux imbéciles de vingt ans qui se couraient après.
En un mot, une couleur : je fus…chocolat !
Aux voleurs !!
« Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé…». (le fruit de ma sauvegarde)
Tout cela pour un vulgaire cendrier.
En ce temps-là ceux qui fumaient…fumaient, sans provoquer ni polémique, ni débat sans fin (ni fond).
Personne n’avait encore l’idée de se fâcher avec ses meilleurs amis ou ses collègues de bureau pour si peu.
Seuls les asthmatiques, les « mucos » et quelques intolérants revêches se tenaient à l’écart, pour de plus ou moins bonnes raisons.
La vie sociale suivait alors son cours.
Et les mieux éduqués n’oubliaient pas de se faire précéder de leur cendrier qui se fondait naturellement dans le décor.
Nul n’avait alors l’idée saugrenue de le considérer comme une urne funéraire.
Les affaires n’allaient pas pour autant clopin-clopant et l’ordre du monde ne semblait pas s’en porter plus mal.
Mais bon.
Par une très belle après-midi de juin -un jeudi-, disais-je, je fus purement et simplement dévasté.
Au sens le plus large et complet, le plus effroyable et définitif, particulièrement lorsque l’on a, pour seule arme, sa jeunesse.
Avant d’être moral, mon anéantissement fut immatériel.
Quelques secondes suffirent à effacer totalement le travail de près de deux mois.
D’abord mes yeux, puis mon cerveau refusèrent d’y croire.
Alors que je n’ignorais évidemment pas que les hasards et coïncidences pouvaient mener plus d’un homme à sa perte, je fus saisi, interloqué, et finalement abasourdi par un tel concours de fâcheuses circonstances.
Quelques secondes suffirent…
En ce temps-là…internet n’existait pas (ben non !), pas plus que les clés USB ou les baladeurs MP3/MP4 ; seuls les walkmans (avalant -parfois- les bandes magnétiques des cassettes audio) permettaient de se promener en musique.
La plupart des joggeurs trouvaient ça formidable (!)
Les cd (initialement « disques laser ») en étaient à leurs premiers babillages et personne n’avait eu l’idée saugrenue d’inventer le…téléphone portable !
A cette époque les gens apprenaient encore à se passer d’un cordon ombilical, sans se couper du monde.
Ils n’étaient, simplement, pas joignables en permanence et ne se laissaient pas interrompre pour juste…ne pas oublier d’acheter le pain !
Bref !
« L’informatique » ne consistait pas davantage à faire joujou devant son écran qu’à utiliser des applications ou à télécharger (plus ou moins légalement) des données sur lesquelles d’autres avaient longuement travaillé.
Il était alors question d’études de cas, d’organigrammes et d’écriture de programmes.
Hormis les créateurs de logiciels, qui saurait dire aujourd’hui dans quel langage (informatique) ils ont été crées ?
Qu’importe, finalement, à l’heure où la propriété artistique n’a plus le moindre sens…
Et donc, tout étudiant que j’étais, j’écrivais des programmes informatiques.
Le projet, in fine, étant de créer entièrement un progiciel d’auto-apprentissage du Logo.
Je vécus de tortues durant plus de deux mois !
A l’origine une « tortue » (symbolisée par un triangle orienté dans la direction qu’elle va prendre) et des ordres simples qui, rassemblés en procédures, permettaient de parvenir à tout un langage informatique mis au service d’un projet pédagogique.
Et, en passant… Oh ! la belle rosace !!
En résumé : sans plus entrer dans les détails, ce qui m’était apparu assez puéril, s’était révélé aussi complexe que passionnant au fil du temps et des heures passées à écrire des programmes directement sur le clavier, sans même prendre de notes ou songer à imprimer quoi que ce soit, pour garder la trace d’un travail au long cours.
Erreur plus que gravissime !!
Pour couronner le tout, je n’avais pas même eu l’idée (élémentaire) de faire une copie de ma disquette (5’’ ¼) ; l’inconséquence !
Ce fameux jeudi-là, je n’étais plus qu’à environ deux semaines de la date limite à laquelle je devais impérativement rendre mon « mémoire ».
Je n’en avais -bien sûr- pas encore tapé la moindre ligne, ni même élaboré le plan par écrit.
Je n’en finissais pas de tester et de peaufiner tous les programmes (pas loin de quatre-vingt en tout) de mon logiciel.
J’étais excité à l’idée d’entrevoir de plus en plus précisément le bout d’un long tunnel, synonyme d’un travail, aussi passionnant que prenant.
En totale immersion, de jour comme de nuit (même lorsque je dormais), mon idée fixe, dans cette phase de finalisation, était de finir au plus vite afin de pouvoir constater le résultat concret de toutes mes semaines de labeur intensif.
Je me voyais déjà faisant tourner ce logiciel tel un jongleur chinois ses assiettes au bout de longues baguettes.
L’ivresse n’était plus très loin de m’envahir.
Mais un tout autre sentiment me submergea ce jour-là.
Quelques secondes suffirent…
Et l’impensable se produisit ; irrémédiablement !
Par le plus étrange hasard, le plus improbable tour de passe-passe que nul n’aurait pu imaginer, je perdis en un éclair la totalité de mes (presque) quatre-vingt programmes !
Une telle circonstance des plus fâcheuses ne pourrait plus se produire aujourd’hui.
Mais faute de capacité mémoire (il y a un quart de siècle !) il m’était impossible d’effectuer la nouvelle sauvegarde sans avoir préalablement effacé la précédente.
Mon logiciel -au final- étant lourd, je n’avais pas eu d’autre choix que d’écrire un court programme de sauvegarde me permettant de supprimer d’abord l’ancienne version, avant de copier la dernière sur disquette.
Dans l’intervalle de ces quelques secondes, celle-ci redevenait complètement amnésique.
Une coïncidence fit que les « deux imbéciles de vingt ans » en question déboulèrent justement au plus mauvais moment.
Dans leur jeu de chat-perché, avec un cendrier pour deux, ils débranchèrent par mégarde le cordon de l’unité centrale.
Ils eurent beau -ensuite- se confondre en vaines excuses, c’était trop tard.
Le mal était fait : tout était définitif et perdu.
Eperdu…je l’étais, bien au-delà de toute considération !
Anéanti, détruit, mes tendances (naturellement) suicidaires ne manquèrent pas de refaire vite surface : c’était la fin du monde, celle que…même Nostradamus n’avait pas su envisager !
J’étais dé-ses-pé-ré !!
Tout en ne doutant pas de ce qui venait de se produire, je mis plusieurs minutes à réaliser que le point de non-retour avait été franchi et que je me retrouvais effectivement démuni.
Ni sauvegarde, ni listing de programme imprimé, très peu de notes griffonnées ; je n’avais plus qu’à rentrer définitivement chez moi pour me pendre ou partir au bout du monde en vacance de toute ambition.
En attendant de reprendre le métro ou de pouvoir m’acheter un billet sans retour, je partis pleurer de rage dans les toilettes les plus proches.
Inélégant, certes, mais un brin exutoire.
Ce n’est pas pour autant que je sortis de là ragaillardi : après quelques cris (sans le moindre chuchotement) et autres vociférations d’usage, histoire de faire connaitre au plus grand nombre l’étendue de ma désespérance, je pliais bagages au beau milieu de l’après-midi, sans même envisager de revenir un jour.
Une nuit -même extrêmement agitée- portant conseil, je reparus le lendemain matin, le moral en berne, mais avec un esprit de revanche qui me surprit moi-même.
A peine moins accablé, je me résolus à commencer à rassembler mes forces, à recompter mes membres, et à essayer de me souvenir.
« Petit à petit l’oiseau fait son nid » m’avait-on appris dans mes jeunes années ; alors que ce proverbe m’avait toujours exaspéré, je m’employai à le mettre à l’épreuve.
En cette fin de semaine, ce J+1 de l’Apocalypse, décidé à tenter de remonter la pente, je m’efforçai de réécrire un-à-un les quatre-vingt programmes perdus la veille.
De mémoire…
Tout le monde était -depuis longtemps- parti ; une clef m’avait été laissée pour pouvoir m’échapper à mon heure ; je continuai de reconstituer l’un après l’autre chacun des programmes.
Certains faisaient quelques lignes (ne servant que de trait d’union), d’autres plusieurs pages.
Mon unique référence (papier) étant leurs « noms » imprimés…à la queue leu-leu !
Ce vendredi-là, je partis juste à temps pour ne pas manquer le dernier métro, résolu à revenir le plus tôt possible le lendemain matin…avec des munitions !
L’idée d’être tout seul (jour de travail non ouvré) m’excitait au point…de ne pas être pour rien dans ma motivation.
Ainsi je débarquai, armé jusqu’aux dents, vers les sept heures d’un matin dont je n’envisageais pas le soir.
J’étais décidé.
En dépit d’une courte nuit, et d’une fatigue physique relative, j’avais la ferme intention de…ne plus quitter les lieux avant d’avoir rattrapé mon retard !
Tandis que la bécane (ces vieux bouliers d’antan !) démarrait, je pris soin de sortir de mon sac-à-dos une grande bouteille d’eau et une quinzaine de tablettes de chocolat.
Quitte à m’embarrasser, autant avoir le choix !
J’en avais prévu de toutes sortes : amer, noir, au lait, avec ou sans noisettes ou amandes.
Même si autrefois (il y a un quart de siècle) l’éventail des possibilités n’avait rien de commun avec ce que l’on trouve aujourd’hui dans les supermarchés, je me savais prêt à parer toute éventualité, quitte à mourir sur place !
Et tout en reconnaissant que le dopage n’est sportivement pas fair-play, il faut bien admettre que je concourrais contre…moi seul !
Ma fin justifiant mes moyens, je m’étais vite accordé toutes les raisons de ne pas m’en excuser.
Je m’assis donc, ce matin-là, ma bouteille d’eau à portée de main gauche, ma pile de chocolat coté droit.
Je ne me suis pas relevé avant d’avoir fini.
Ce qui me contraignit à rendre autant grâce à la puissance de la mémoire visuelle qu’à l’étonnante capacité de ma vessie.
A mon grand étonnement, je vis qu’il faisait non seulement encore jour au-dehors, mais que l’après-midi était juste entamée.
Ma bouteille d’eau l’était bien davantage ; quant à ma réserve de chocolat, je ne saurais dire combien j’en ai mangé au fil de ces heures.
Pas loin d’un kilogramme, sans encombre, au vu des provisions ramenées chez moi.
Mais ce qui me laissa le plus pantois, fut de…réaliser que j’étais sorti du cauchemar dans lequel j’avais été plongé moins de quarante-huit heures avant.
Pour être franc, je ne fus pas plus capable de triompher que de me réjouir réellement.
En me relevant de ma chaise dans laquelle je m’étais incrusté, j’étais vidé, épuisé, soulagé.
J’avais tant redouté de ne jamais y parvenir que je ne commençai à me sentir « content » que beaucoup plus tard, sur le chemin du retour.
Ce miracle accompli, je pus, la semaine suivante, tester mon logiciel sans relâche, tout en m’attelant à la dernière tâche qui ne fut pas la moins ingrate.
Celle de résumer l’irrésumable et de rédiger mon mémoire.
Comment rendre compte de mon travail sans parler de ce que j’avais traversé ?
M’obligeant, dès l’écriture, à me concentrer sur l’exercice futur, celui de la soutenance, je fis en sorte de mettre de côté tous les impondérables inhérents à une « expérience » difficilement partageable.
Ce fut fait, dans les temps (le cachet de la Poste…) et sans oublier les remerciements d’usage, tous sincères…à deux exceptions près.
Quoique…
Le jour J, celui où je dus -oralement- présenter mon projet devant quatre jurés, j’eus à cœur de le défendre ; sans doute trop.
On me trouva agressif ; ce que je sus plus tard.
Bien davantage que ma note (légèrement au-dessus de la moyenne), ce qui me blessa fut d’apprendre que le jury n’avait pas cru possible l’écriture individuelle de tout ce logiciel créé à partir des commandes basiques du Logo.
Longtemps me hantèrent les mots « injustice » et « incompréhension ».
Avant d’absoudre tout le monde…
(© 2010/droits réservés)
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.