Du poil à gratter…
Posté par BernartZé le 26 avril 2011
Le bateau du mariage
La lune était sereine et jouait sur les flots, quand nous vint l’idée de nos épousailles.
Le projet était amusant et nous ravit au point de faire l’unanimité en un éclair.
Nous nous aimions depuis si longtemps que le doute n’était plus de mise.
Plus de mobile pour hésiter, pas de raison valable de remettre à plus tard notre résolution.
Malgré l’heure indue, il y avait de quoi sauter au plafond, quitte à réveiller les voisins (du dessus).
Par égard pour notre entourage (géographique), nous nous contentâmes de commencer à imaginer le déroulement des opérations.
D’abord en informer les proches et la famille ; songer d’ores et déjà aux arguments de ceux qui tenteraient sûrement de nous décourager sous le fallacieux prétexte de notre jeune âge.
A ceux-là une seule réponse : l’évidence !!
Et qu’importeraient les joies, les peines ou les souffrances à venir.
L’essentiel étant d’organiser la cérémonie, il nous apparut clairement de ne pas voir les choses en grand.
Aussi simplement et limpidement que possible, nous voulions mener notre plan à son terme…
Hors de question de faire comme tout le monde et d’attendre le printemps ; décembre serait idéal, au premier jour de l’hiver.
N’étant pas davantage du même signe astrologique que de la même année (à trois mois et neuf jours près !), nous avions également décidé de ne pas tenir compte de nos appartenances religieuses qui différaient bien malgré nous.
Seul le mariage civil serait donc célébré, sans foi, mais en vertu de la loi des Hommes qui seule nous importait.
A cet arrêt, nous entendions déjà quelques dentiers grincer.
Quitter à choquer les « intégristes », nous pouvions d’ores et déjà leur promettre un programme des plus surprenants.
La plupart de nos amis étant communs (mais tous exceptionnels, bien sûr !), la liste des invités ne fut pas difficile à établir.
Plus délicat fut le choix de nos témoins et davantage celui des membres de chaque famille conviés.
Tant de susceptibilités à épargner, tant de gens que nous devions éviter de froisser ; il nous fallut trancher en espérant ne blesser personne.
Par jeu, nous décidâmes de tirer au sort les noms des deux privilégiés destinés à apposer leurs signatures en bas de l’acte officialisant notre union.
Soit deux groupes de trois successivement placés dans un même chapeau claque (subtil clin d’œil à ma grand-mère maternelle) et deux gagnants à l’arrivée ; nous choisîmes aussitôt de les intervertir…au regard d’histoires anciennes.
Avant même notre alliance, chacun se présenterait ainsi devant Monsieur le Maire (une femme, en l’occurrence) avec, à ses côtés, un pan de son passé.
Et peu nous importait de savoir si cela se faisait.
L’essentiel n’était-il pas de nous sentir épaulés et rassurés en cas de doute ?
Et ces deux-là sauraient assurément s’acquitter de leur tâche.
De nos familles respectives, nous ne conviâmes que les plus -officiellement- « essentiels » : nos géniteurs et grands-parents, quelques oncles et tantes, plus certains cousinages dont nous nous sentions proches.
Nous ne voulions pas d’une encombrante parentèle.
Afin de garder la maîtrise de notre entreprise, nous avions convenu de nous autoproduire.
Malgré de légitimes scrupules, nous dûmes accepter une participation parentale symbolique de 10%.
Cela semblait tellement leur faire plaisir, que nous aurions dû être (encore plus) monstrueux pour le leur refuser.
Tant pis pour les regrets futurs…
Comme nous l’avions prévu, cela les « autorisa » à se mêler de presque tout. Impossible de lutter contre le naturel ; il revint évidemment au galop !
Et d’entendre parler de timing et de plans de tables, de protocole et de tenues idoines, de bienséance et de modistes ; de quoi rêver.
Tout ce que nous adorions ne pas envisager !
De même, cinq semaines avant le jour J, revint en force la question religieuse.
Des deux bords -histoire de ne vexer personne- de subtiles attaques se mirent à poindre et nous dûmes prendre le temps de nous interroger, au risque de douter radicalement de notre intention initiale.
A défaut de croire en un Dieu quelconque, nous avions juste foi en nous ; c’était déjà beaucoup.
Fort peu attachés aux symboles religieux , nous n’avions pas plus envie de déclencher la moindre guerre inutile que de jouer à am stram gram.
Il nous fallut bien croire en quelque chose pour nous voir dépasser ces querelles de clochés, de minarets ou de dômes de synagogue (…)
Début décembre, à peine plus de dix jours avant celui des célébrations, une effroyable incertitude s’empara de nous.
Soudainement, nos consciences respectives nous assaillirent.
Sans même nous concerter, il nous vint à l’esprit que nous ne pouvions pas décemment leur faire ça.
Notre amusement ne pourrait que leur sembler cruel et personne d’autre que nous ne saurait goûter la saveur de notre acte.
Et puis, après moult palabres, nous prîmes la décision -irrévocable- de ne plus changer de cap.
Bien trop tard pour faiblir et pour renoncer ; il nous faudrait faire face à nos inconséquences.
Et ce jour arriva.
Alors que tôt le matin il faisait encore diablement froid, le thermomètre grimpa sans démériter au fil de la journée.
La fièvre faillit même nous gagner…
Les grands chapeaux, pour ces dames, furent de sortie et nos mères respectives se surpassèrent, rivalisant de dentelles et de rubans, de fanfreluches et de fleurs (cruellement) sacrifiées en une joute aussi muette qu’ostentatoire.
La crainte de la pluie, peut-être ?
On entendit crier des mouettes…
Ne serait-ce que pour cela, pour ces efforts consentis avec plus ou moins de grâce et de bonheur, tous ces espoirs concentrés en une même journée, cette tension mêlée d’angoisse, nous voulions éviter de les décevoir.
Malgré le sens de la logistique très poussé de nos parents, les cortèges prirent du retard. Madame le Maire nous attendait à onze heures ; à notre plus grand regret nous la fîmes un peu patienter.
La faute, essentiellement, à un souci de perfection que nos familles partageaient déjà avant de se réunir.
Cette obsession du petit détail vérifié cent fois nous coûta un bon quart d’heure, d’un côté comme de l’autre.
La coïncidence de nos décalages horaires constitua, naturellement, un signe favorable pour nous deux.
La salle des mariages était grande ; le Maire ne nous parut pas l’être moins, avoisinant sans nul doute le mètre quatre-vingt-douze.
De plus, elle s’avéra suffisamment bonne actrice pour dissimuler une impatience légitime due à un emploi du temps serré.
Une fois tous les convives dans la place, nous prîmes conscience de l’importance de l’instant à venir.
Devant un nombre estimable des membres des deux familles, auxquelles s’étaient joints quelques pique-assiettes (chaleureusement invités) de nos amis, nous étions sur le point de procéder à l’échange de nos vœux.
L’attente était certaine et nous ne réalisions certainement pas ce que nous nous apprêtions à faire…
Nous étions jeunes alors.
Eprouvant un irrépressible besoin de nous distraire, nous avions mis sur pied ce subterfuge pour nous envoler dans la bonne humeur.
Sans trop nous soucier des dommages collatéraux, nous nous estimions prêts à prendre nos responsabilités.
Elle avait 22 ans ; je ne les avais pas encore.
Elle me dit « Oui » ; je lui répondis « Non », comme convenu.
Et la poule accoucha d’un œuf luminescent à…feuilles caduques.
Etait-ce puéril ou provocateur de rester sur le point d‘épouser sa meilleure amie pour finalement se désister d’un parfait et commun accord ?…
Nous les avons tous plantés là sans appeler la maréchaussée, ni personne d’autre à leur rescousse.
Et de nous enfuir célébrer entre nous nos non noces !
Eux, (presque) tous les autres, ont fait ce qu’ils ont pu pour tenter de sauver les meubles et les apparences d’un injuste naufrage.
Ils sont partis ensemble se consoler à la soirée donnée en l’honneur des « mariés ».
Débarrassés de nos frusques de comédiens, nous avons passé une délicieuse nuit, à manger et boire, à discuter et à rire, sans nous soucier de possibles remords.
Nous avions décidé de ne pas en vouloir, de ne pas encombrer nos consciences de faux états d’âmes sur le retour, ou de regrets malvenus ; trop tard !
Dès le début de notre œuvre, nous savions pertinemment bien quel « sacrilège » serait -fatalement- commis…aux yeux du plus grand nombre.
Nous savions qu’ils en seraient choqués ; ils l’ont été, pour la plupart.
Certains nous ont vite pardonnés ; d’autres nous en veulent encore ; peu ont compris notre geste, faute d’explication.
Près de trois décennies après cette farce, que reste-t-il de nos amours stoppées en plein vol ?
Notre amitié s’est prolongée, jusqu’à ce que nos chemins se décroisent.
Rien ne dure, même hors mariage.
A-t-elle, finalement, convolé depuis cette I.V.M. (Interruption Volontaire de Mariage) ?
Je suis resté célibataire.
Est-ce à dire, pour autant, que j’ai laissé passer ma chance ?…
Nous n’irons pas à Vérone un beau jour tous les deux ; et non plus à Venise.
C’est sûrement mieux ainsi.
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