Plume en lumières
Posté par BernartZé le 14 septembre 2015
Tel un drapeau en territoire conquis
Planté là dans le sable on avait seulement retrouvé son truc en plume…
Elle était sans nul doute passée par ici ; repassera-t-elle un jour ou l’autre par là ?
Aucune autre affaire personnelle aucun indice alentour ; inutile de retourner le sol pour comprendre qu’elle s’était volatilisée.
Avait-elle traversé l’Atlantique à la nage bien décidée à infléchir le cours de sa vie au point d’en changer radicalement ?
Avait-elle choisi de simplement se soustraire de sa propre existence avant qu’il ne soit trop tard ?
Ses amis les plus proches se posèrent bien d’autres questions sur sa soudaine disparition, imaginant même qu’elle s’était laissée volontairement enlever par un amant plein de fougue ; tout plutôt que de songer au pire.
Les mois passèrent, l’enquête policière n’aboutit à presque rien : seul un promeneur solitaire -sans son chien- avait cru se souvenir d’avoir aperçu une jeune femme sur la plage au petit matin…
Très vagues, d’un faible flux, ces informations ne convainquirent personne et débouchèrent sur un non-lieu ; tout le monde s’en retourna à son quotidien, la police la première.
La famille continua à vivre dans l’inquiétude, de moins en moins au fil des mois.
Un an et demi plus tard coururent les premiers bruissements : des amies de son club de danse se répétèrent tout excitées qu’on l’avait vue outre-Atlantique reconvertie en danseuse (peut-être un peu légère) de music-hall on Broadway !
Elle était certes grande mince et élancée mais à deux fois vingt ans…?!
Un peu jalouses, mi-amusées, certaines crurent de plus en plus sûrement à la véracité de cette « légende » en marche…sur hauts talons.
La probabilité d’une telle reconversion demeurait pourtant faible au vu du grand écart existant entre celle qu’elle avait été (ingénieur en pétrochimie) et celle qu’elle était peut-être devenue .
Sans même discuter du fait que le french cancan était certainement un peu trop français pour des Américains ; quoique…?
Alertés par la rumeur grandissante, des membres de sa famille se décidèrent à faire le voyage jusqu’à New York ; son père (sa mère avait préféré rester dans la tombe dans laquelle elle avait été descendue vingt-trois ans plus tôt) et un cousin -né seize jours avant elle- ; ni frère ou sœur elle était fille unique.
Ces deux compères partis de leur petit coin tout Vert de la presqu’île du Cap Ferret à l’assaut de la Grande Pomme avaient quelque chose d’éminemment comique !
Quel drôle de Truc tout de même que de s’envoler loin pour mener des investigations dans l’espoir de retrouver la trace d’une disparue volontaire ; telle était leur version.
Ils découvrirent brièvement New York et Manhattan et arpentèrent Broadway en tous sens.
Se plongeant dans des revues spécialisées sur les spectacles de danse, ils lurent beaucoup et en virent plusieurs.
Le budget prévu pour leur séjour était presque épuisé quand la chance leur sourit enfin au bout de trois épuisantes semaines ; passant devant le Winter Garden Theatre devant lequel ils étaient sans doute déjà aveuglément passés une grande affiche attira leur attention.
Pleine de couleurs et de fanfreluches à longues plumes, elle mettait en lumière la meneuse de revue Clarissa Verde ; c’était trop beau et incroyable pour ne pas être vrai !
Les photos de cette danseuse légèrement trop maquillée leur rappelèrent quelqu’un.
Trois jours plus tard ils assistèrent au spectacle intitulé « Crazy feathers » haut en costumes pleins de lumières en poitrines rebondies et en immenses coiffes à faire pâlir de jalousie toutes les autruches d’Afrique ; prévoir des pour éviter de possibles malaises !
Ils applaudirent étonnés ; rassurés de l’avoir revue heureuse et pleine de vie, ils ne cherchèrent pas à la féliciter dans sa loge ; intimidés peut-être.
Ils reprirent l’avion en sens inverse le lendemain pour retrouver leur petit coin de sable et de verdure.
Évidemment merci à Christine SG pour son aimable prêt (sans accord préalable)
(© 2015/droits réservés)
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