Ce soir-là nous avions une fois de plus beaucoup parlé beaucoup pleuré et beaucoup ri.
Ce fut notre dernière nuit.
Nos fins de semaines se ressemblaient toutes ; quand d’autres jeunes sortaient faire la fête jusqu’au bout de la nuit, nous préférions simplement rester ensemble.
Nos tête-à-tête ne finissaient jamais de nous surprendre tant les heures filaient malgré nous en un temps suspendu.
L’ennui n’avait pas cours ; pourtant nous ne faisions que discuter sans relâche des mêmes thèmes : Dieu et son œuvre et puis nos vies.
Infiniment petites et mesquines, nous avions conscience de nos égoïsmes impardonnables en regard d’un monde dont nous nous sentions loin.
Ses valeurs matérielles nous paraissaient aussi vaines qu’ennuyeuses et nous ne parvenions pas à admettre sa réalité quotidienne.
Pourquoi fallait-il accepter de supporter l’absurdité d’une existence imposée ? ; nous ne savions pas alors combien la vie pouvait s’avérer définitivement incohérente et cruelle.
Attablés pour parler manger et boire nous nous offrions en prime des moments de pur délire en fonction de notre programmation musicale.
Bondissant soudain sur une piste imaginaire à même la moquette, nous dansions.
Nos gesticulations rythmiques ne ressemblaient à rien et ne servaient qu’à nous défouler, exprimant sans doute nos frustrations et nos colères rentrées.
Et puis à bout de forces nous nous asseyions de nouveau pour parler encore et toujours.
C’est fou ce que nous avions à nous dire !
Y repensant aujourd’hui je me demande si je n’ai pas tout inventé.
Ces soirées, ces nuits entières ne seront plus.
Nous ne referons plus jamais notre monde, nous ne ferons plus jamais rien ensemble.
Plus de danses folles improvisées, ni de rires.
Plus de regards complices, de fulgurances pleines d’éclats ni d’avenir fantasmé.
Nous ne sommes plus.
Ce dernier soir tu t’es soustraite ; faute de vigilance je ne t’ai pas vue avaler des cachets en cachette dès que j’avais le dos tourné.
Trop de mélanges finissent par étreindre l’âme en éteignant le corps.
Rideau.
A mon réveil tu étais là, tu n’étais plus ; partie sans mots dits.
Sans doute était-ce ta volonté…que je n’ai pas su davantage entendre qu’écouter.