Que mon corps lâche

Posté par BernartZé le 7 novembre 2015

Béquilles

J’ai bien assez vécu…

 

             Puisque je ne marche (presque) plus sans l’aide de béquilles ; le dos toujours courbé et les mains agrippées pour éviter de tomber encore.

 

     Puisque plus rien désormais ne peut se faire sans douleurs ni angoisses, puisque mes promenades quotidiennes ne me mènent plus guère qu’au bout de la rue en une demi-heure et davantage pour le retour.

Puisqu’au lieu de m’asseoir je m’écroule ; puisque la joie s’est envolée, puisque je me sens triste et incapable de pleurer.

Puisque je ne suis plus qu’une vieille femme Vieille femme qui lit dans les regards la pitié qu’elle inspire, puisque cette commisération me blesse et qu’il m’est devenu impossible de la supporter.

Puisque mon passé me rattrape ; puisque par la force du destin l’émigrée hongroise que je suis devenue n’avait pu épouser celui qu’elle aimait tant Miklós Radnóti et qu’une autre a perdu trop tôt par la faute d’un monde absurde et pervers ; puisqu’il était si drôle alors que les autres le croyaient irrémédiablement sombre et condamné de naissance.

Puisque j’entends le mortel silence des heures s’égrener de minute en minute, n’est-il pas temps de m’éclipser ?

Pourtant…

 

     Hier -pourtant- un jeune homme m’a tenu la porte de l’ascenseur Ascenseur, une porte beaucoup trop lourde pour mes béquilles et moi, attendant patiemment que j’en sorte lentement pas-à-pas.

Tandis que je progressais dans le hall à la vitesse d’une tortue, j’ai bien vu qu’il faisait semblant de vérifier le contenu de sa boîte aux lettres sans rien en sortir afin de se trouver à point nommé prêt à me tenir l’autre porte ouvrant sur le perron et la rue.

C’était je crois la deuxième fois que nos chemins se croisaient et qu’il me rendait cet immense service en souriant d’un air léger et complice.

Je ne sais qui il est ni l’étage où il vit mais je lui suis reconnaissante de tant d’égards.

Sans s’en douter, ou du moins sans en prendre la pleine mesure, il n’a pu deviner l’importance de son aide.

Il m’aura pour une fois -deux en l’occurrence- épargné une gymnastique incroyable et épuisante faite de coups de coudes et d’efforts réitérés.

A défaut de pouvoir m’offrir les services d’une aide médicale à plein temps, ses soins palliatifs m’auront soulagée un bref moment ; précieux.

 

            Je n’aurai pas toujours la chance de compter sur de tels heureux hasards ; un jour prochain je ne pourrai certainement plus du tout me porter.

Qu’adviendra-t-il de moi ?

Me faudra-t-il souscrire un crédit (qui me sera refusé à l’aube de mes quatre-vingt-dix ans) dans l’espoir d’acquérir une gold voiturette Fauteuil électrique à moteur susceptible de me faire encore sortir de chez moi ?

 

     Fatiguée et trop lasse ne pourrais-je pas enfin remettre ma vie en d’autres mains ?…

 

 

Sous d'autres cieux... 

(© 2015/droits réservés)

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