Revoir Paris
Posté par BernartZé le 19 avril 2016
La consolée
En fait elle devint veuve cinq années après la mort de son mari !
Cette incongruité était survenue un soir, la prenant totalement de court.
Sa journée de travail achevée, il était tombé par mégarde de la fenêtre de son bureau.
Elle le savait maladroit et distrait, pas au point de confondre une porte avec une baie vitrée.
Elle l’avait attendu toute la soirée pour dîner ; les soles avaient fini par tourner de l’œil , étouffées dans un bain de vapeur, cuites et recuites.
Tout en commençant à s’inquiéter, jetant des regards de plus en plus fréquents à l’horloge , elle se rassurait en se souvenant qu’il n’était pas rare qu’il doive improviser des séances de travail nocturne, oubliant parfois de la prévenir.
Et à force de fatigue et d’attente elle s’était endormie sur le canapé, vaincue.
A son réveil, hébétée, elle mit un long moment à se souvenir des raisons pour lesquelles elle n’était pas dans son lit et à réaliser que l’après-midi était bien entamée.
Et le téléphone sonna.
Elle dut se rendre d’abord au bureau de son mari où la secrétaire lui expliqua qu’elle ne comprenait pas, ne savait pas, ne pouvait deviner le pourquoi de sa disparition ; selon elle tout était normal, c’est-à-dire comme d’habitude, quand elle était partie la veille à dix-huit heures ; il lui avait souhaité de passer une bonne soirée comme à chaque fin de journée.
Au commissariat de police on lui dit que la disparition n’ayant pas un caractère inquiétant il n’y avait pas lieu de déclencher si tôt une enquête.
Et elle était rentrée seule chez elle.
Elle avait beaucoup dormi tout le reste de l’année.
L’enquête finalement menée avait suivi son cours et au bout de douze mois un diplôme lui fut décerné : un « certificat de vaines recherches » lui fut délivré faute de plus amples informations sur une disparition désormais officiellement reconnue.
Elle continua à l’attendre et à espérer tout en revenant doucement à la vie.
Le temps avait passé, elle avait repris le goût de sortir revoyant quelques amis qui s’abstenaient de lui parler de lui.
Elle vivait toujours seule remontant désormais elle-même l’horloge du salon une fois par semaine ; elle aimait bien le bruit de la clé qu’il fallait lentement tourner.
Cela lui permettait de penser à ses jeunes années.
Pas le temps de devenir mère, juste celui d’être aimée.
Un soir elle découvrit par hasard une lettre à peine cachée à plat désignée par la pointe du pendule.
Il lui disait ne plus supporter sa vie ses mensonges et ses trahisons.
Cinq ans après sa soudaine disparition on fouilla la terre et les bosquets au pied de l’immeuble où il travaillait.
Elle put enfin porter le voile le temps d’une cérémonie, avant de le quitter définitivement.
Levant les yeux au ciel elle revit enfin Paris.
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