Extrémisme
Posté par BernartZé le 12 juillet 2016
Sortie de camp
Arène sanglante, combat dantesque, l’enfer ici-bas.
Sa propre vie lui était rapidement apparue monstrueuse ; son enfance et son adolescence n’avaient pas été de tout repos tant elle se posait de questions, tant déjà elle se faisait du mal malgré elle et sans s’en rendre compte.
Impossible de se souvenir comment cela avait commencé, comment elle avait doucement glissé dans un monde parallèle de plus en plus inhumain.
Son déni avait duré, faute de lucidité et de connaissance, jusqu’à l’âge de quitter le foyer familial.
Elle s’était sentie libérée d’un fardeau, persuadée de pouvoir désormais vivre comme bon lui semblerait.
Elle ne rêvait pas davantage de sorties nocturnes que de dessous chics, pas plus de richesses et de voyages que de brûler sa vie par les deux bouts.
Sa vie la brûlait suffisamment comme ça.
Elle voulait juste être tranquille, sans regards extérieurs ni soupçons inquisiteurs.
Toutes les nuits elle griffonnait des mots dans un cahier dans l’espoir de mieux se comprendre.
Quand elle n’écrivait pas elle gardait les coudes bien calés sur les hanches, les mains jointes sous le menton -par chance ses bras étaient à la bonne mesure- pour mieux réfléchir.
Elle se perdait souvent dans des dérives mentales qui la menaient loin et, se rattrapant de justesse, elle reprenait sa page et ses interrogations existentielles.
Généralement elle se couchait épuisée sans avoir rien découvert.
C’est à dix-neuf ans en seconde année de fac psycho qu’elle eut une révélation.
Elle en était certaine, une fois sa licence en poche, elle voudrait se spécialiser en psychopathologie pour l’obtention d’un master qui l’amènerait sûrement vers plus de savoir et de connaissances, des autres et d’elle-même évidemment.
Pas de hasard ni de coïncidence dans ce choix dicté par son mal-être, simplement l’impérieuse nécessité de percer son propre mystère.
Elle aurait pu être tentée par l’alcool ou d’autres substances moins licites censées la conduire vers l’oubli, mais non, elle voulait à tout prix appréhender son problème sous un angle intellectuel fuyant l’affect ; combien de temps encore son cerveau pourrait-il repousser les agressions faites à son corps ?
Elle n’eut pas le loisir d’entendre jouer tout un prélude à une renaissance en guise de (possible) délivrance qu’elle reçut un autre coup à l’âme.
A force de chercher elle finit par trouver ; il ne lui était plus possible de ne pas admettre l’évidence d’un mal mortifère : elle était bigrement fâchée avec la nourriture !
Elle ne s’était pas vue dépérir, son miroir lui renvoyant sans cesse une image insoutenable qu’elle haïssait.
S’encourageant à toujours plus de vaillance, refusant de s’abandonner à des moments d’extrême faiblesse, elle se torturait comme à plaisir.
Et pourtant elle n’en menait pas large quant elle se sentait défaillir ou quand ses cérémonies funestes la conduisaient directement à se forcer à faire de la gymnastique pliée en deux au-dessus de la lunette des toilettes, les rendant définitivement obscènes.
Le spectacle de sa propre déchéance avait fini par devenir irréel tant elle refusait de lui accorder la moindre considération.
Et d’habitudes en acceptations contraintes elle s’était perdue de vue.
Combien de avait-elle massacrées à coups de pieds rageurs en refusant leurs verdicts ?
Pour effacer chacun de ces crimes elle courait en acheter une autre, se dépêchant d’oublier ses méfaits.
C’est en descendant un jour de l’une des balances, les lunettes sur le nez, qu’elle resta interdite.
A force d’éviter de se regarder, de peur de se haïr une fois de plus, elle ignorait à quoi elle ressemblait réellement, imaginant une vision qu’elle ne pourrait supporter.
Par mégarde elle se vit de dos un matin ; son image reflétée entre deux miroirs l’effraya.
Elle pensa immédiatement à des photos en noir et blanc de cadavres vivants marchant pour sortir du camp dans lequel ils avaient été concentrés pour être réduits à néant.
Décharnés mais toujours en vie ils lui semblaient tous reconnaissables et familiers en dépit d’un parallèle qu’elle trouva indécent et irrespectueux.
Il lui fallut encore plus d’une décennie, après des années de psychothérapie qui ne l’avaient conduite à rien si ce n’est à d’incessantes discussions intellectuelles hors sujet avec un sympathique médecin totalement impuissant, pour accepter l’idée d’être privée de sa liberté en se faisant hospitaliser.
C’est-à-dire enfermée, pieds et poings liés, à la merci du corps médical chargé de la soigner à défaut de la guérir définitivement.
Ces mois de réclusion la marquèrent à jamais.
Derrière les elle avait eu le temps d’écrire et de réfléchir encore à tout ce qui l’avait menée ici.
On lui avait dit qu’elle avait flirté avec la mort alors qu’elle n’en avait pas eu conscience, pas même à bout de forces.
Son esprit s’était obstiné à refuser cette évidence l’excluant du champ des possibles.
Les miracles sont rares ; personne ne sort indemne d’une telle maladie qui reste marquée dans la chair et l’esprit.
Au mieux on réapprend à vivre différemment, avec plus de tolérance envers soi et en redoublant de vigilance.
L’addiction demeure tapie, ainsi que la curieuse nécessité de repousser ses limites jusqu’au point zéro.
Comme s’il s’agissait d’un jeu, d’une fanfaronnade ou d’un défi ultime.
Il n’en est rien…
(© 2016/droits réservés)
Guérit-on jamais de ce qui nous ronge ?
Malheureusement,trop souvent, la réaction se fait attendre et/ou arrive lorsque le point de non-retour est atteint…
Est-il possible d’échapper à nos plus vieux démons ?
Il paraît que certains y parviennent quand une vie de luttes ne suffit pas à d’autres.
Les mystères de la vie…
B.