Nyctalopie
Posté par BernartZé le 18 juillet 2016
Changement de siècle
Contrairement aux chats les bus de nuit ne sont pas tous gris.
Certains êtres le sont parfois…
Il y a fort longtemps, au XXème siècle, il m’arrivait fréquemment d’utiliser les bus de nuit ; à cette époque les n’avaient pas encore été remplacés par ceux du réseau et le , par exemple, n’avait pas alors eu l’idée de pousser le dehors, substituant ainsi des numéros à l’alphabet.
Qu’importe puisqu’il leur est avant tout demandé de rouler la nuit lorsque le métro a fermé ses grilles.
Ces longues nuits passées loin de chez moi ne donnaient jamais lieu à une tournée des bars ou des boîtes dites branchées dont je n’avais (déjà) que faire.
Il s’agissait simplement de soirées entre amis, en nombre très restreint, durant lesquelles nous parlions beaucoup, mangions plus ou moins et buvions parfois un peu trop ; certains fumaient en plus.
Rien d’extravagant ni de décadent, juste le plaisir de partager des heures et le bonheur de goûter à la convivialité.
Cette notion m’était totalement inconnue, ne faisant pas partie de mon éducation familiale ; je l’avais découverte, étonné, quelques années auparavant.
J’étais plus jeune (évidemment !) et avec une naïveté non feinte je ne cessais de me demander si je ne rêvais pas en réalisant qu’il était possible de ne pas être constamment seul dans sa tête mais -au contraire- de bénéficier des pensées et des réflexions d’autrui.
C’était le plus souvent ludique et spontané, allant jusqu’aux actions « coup de tête » comme cette nuit où nous étions tous soudain descendus vers une ou deux heures du matin de la chambre de bonne (sous les toits bien sûr) pour aller acheter un jeu de au Drugstore Publicis qui faisait l’angle au carrefour.
Et de jouer comme des gamins tout le reste de la nuit…à coups de cola et de pâte à tartiner !
Pour moi qui n’avais jamais été insouciant c’était une vacance salutaire.
Et donc, passées ces années de première jeunesse (!), je retrouvais chaque semaine ces autres amis qui n’habitaient pas sous un toit ni dans un espace de 9 m² ; pas de soupente mais des hauts murs un véritable canapé et un balcon fleuri.
Le confort chez les autres avait pour moi l’aspect d’un décor de théâtre, une scène offerte sans rôle à jouer.
A chaque fois j’aimais retrouver ces lieux sachant que nous passerions des heures que je garderai ensuite précieusement au fond de mon cœur.
J’aimais me rendre utile multipliant pour eux sans effort les allées et venues entre le salon et la cuisine.
Ce n’était pas du dévouement ; je ne faisais que goûter au plaisir de faire si possible plaisir.
Les heures s’écoulaient à une vitesse incroyable ; je ne me fatiguais pas, eux finissaient par lâcher un peu prise en s’éteignant doucement.
Pour éviter de me sentir poussé gentiment dehors je les encourageais à aller se coucher quand je voyais leurs paupières se fermer de plus en plus souvent.
Afin d’anticiper l’heure de partir je pensais aux horaires du bus de nuit qu’il me faudrait prendre ; un passage par heure, avec l’interdiction de le manquer sous peine de devoir parfois attendre dans des conditions climatiques -en plus de la fatigue qui commençait à se faire sentir- peu sympathiques.
Un œil sur la montre, je me faisais, tandis qu’ils dormaient déjà, un « devoir » de débarrasser la table afin de faire place nette dans le salon et de…faire sans bruits la vaisselle.
Personne ne m’avait jamais rien demandé mais sans doute était-ce pour moi une façon de me retirer ensuite sur la pointe des pieds.
Dehors la nuit, souvent vers trois ou quatre heures du matin, le froid et la crainte d’avoir raté le bus qui avait certaines fois l’idée saugrenue d’être en avance.
C’est ainsi qu’il m’est arrivé, pour ne pas piétiner là une heure, de rentrer chez moi à pieds en traversant toute la ville ; armé de mon seul courage et en rythme !
La plupart du temps, j’avais heureusement le loisir de voir défiler les rues que je connaissais bien diurnes by night les voyant sous un autre « jour » et avec un tout autre état d’esprit.
Un recul sous forme de décalage dû certainement à l’alanguissement qui me prenait mais surtout à la présence de toute une population hétéroclite et étonnante regroupée dans ce véhicule qui nous ramenait tous chez nous.
La seconde ligne de noctambus qu’il me fallait emprunter pour retrouver mon home sweet home était emplie de gens joyeux las ou fatigués.
Écrivant par jeu dans mon calepin, je notais les mines de chacun : ceux pour qui la nuit n’était peut-être pas encore finie, ceux qui revenaient d’un travail harassant et ceux qui sombraient déjà dans un sommeil profond, plus noirs que gris.
Dans un espace réduit se trouvaient par hasard des individus concentrés le temps d’un parcours ; malgré la promiscuité ils ne se voyaient pas et ne se reverraient sûrement jamais.
Seuls parlaient à voix haute des fêtards noctambules, les autres ayant apparemment perdu cet usage par trop de lassitude.
Sans jamais avoir -moi non plus- parlé à personne je quittais ces inconnus avec une pointe de regret, cependant soucieux de ne pas manquer mon terminus ; cela s’est naturellement produit une ou deux fois par mégarde ou par pure distraction.
Une cinquante de mètres plus bas j’étais de retour chez moi où le chat installé au coin du lit m’attendait avec l’impatience du félin dont l’heure du diner était depuis longtemps passée.
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