Quelle aventure !
Posté par BernartZé le 26 août 2016
Ascèse pour un retard
Tout d’abord, peut-être est-il bon de rappeler ici deux grandes règles qui régissent fondamentalement nos vies : G ≠ C, même si cela doit paraître évident à presque tous ; l’esprit peut s’avérer plus fort que la matière. Sans doute pas toujours, mais en cette occurrence ce fut bel et bien le cas.
Du coup, seize heures plus tard…
Certainement une première : j’avais largement le temps de ne pas louper mon train du retour !
Contrairement au voyage aller, pas besoin de courir, chargé comme un baudet, dans l’espoir de ne pas manquer le coup de sifflet annonciateur du départ. Ce qui d’ailleurs avait été vain.
Tranquillement assis sur un banc du quai, j’avais cette fois une bonne vingtaine de minutes d’avance ; incroyable mais véridique !
Délesté de mes sacs, je pouvais pleinement profiter du confort (relatif) que m’offrait un réel adossement et ce n’était pas le clin d’œil direct tenté par le soleil qui pourrait réussir à m’empêcher de goûter un rare moment où le temps suspendu se faisait oublier.
Agrémenté de musique versée à même mes seules oreilles, je trouvais cet instant quasi extatique.
Tout en n’imaginant pas que cela put durer éternellement, je pouvais encore moins deviner ce qui m’attendait…
L’heure ayant tourné (encore plus implacablement que…la mayonnaise), je dus constater que mon train était en retard. Rien de très étonnant à cela : ainsi qu’un écran nous en avait informé dans la gare, il devait faire partie des trains retardés (de dix à vingt minutes) pour cause de travaux en amont de la voie.
Quelques minutes plus tard, mon inquiétude trouva enfin matière à s’exercer quand je réalisais, passé le temps mis par les voyageurs d’un train précédent à déguerpir de là, que je me trouvais bien seul.
La solitude est un sentiment que je n’ai jamais craint ; pourtant je dus m’avouer alors qu’elle ne présageait (vraiment) rien de bon.
Un petit quart d’heure de retard était plausible ; personne d’autre sur le quai, à défaut d’une annonce haut-parleurs…carrément pas du tout !!
Diantre fichtre ! Bougre d’âne ! Que se passait-il donc ! Pourquoi ce suspens haletant venu troubler mon instant magique ?
Je me remis en marche, à nouveau lesté : escaliers, couloir et retour dans le hall de gare où le panneau d’affichage ne proposait plus que des trains en sens inverse, pas un seul pour Paris, mon point de chute, mon refuge capital !
L’inquiétude grandissant, je décidais de m’adresser à l’un des rares guichets ouverts (l’heure ? la saison ? la prédominance des « guichets automatiques » ?…) où une aimable personne m’appris, me confirma, que j’avais effectivement raté mon train.
Il était parfaitement parti à l’heure, très exactement sur le quai prévu et indiqué.
Le quai G et non C ; ma myopie avait encore frappé !
C’était la toute première fois que sans lunettes, les yeux exorbités pour lire un écran en dessous duquel je me tenais, je m’étais révélé incapable de déchiffrer sans me tromper une ligne d’affichage luminescent.
L’âge, à n’en pas douter !
A cette heure, plus le moindre train pour Paris, pas même en essayant de passer par Rome ou Tombouctou, aucun service de cars publics ou privés envisageable. En désespoir de cause, on me conseilla simplement d’aller interroger « le chef de gare » (enfin, son équipe !) au bout du bout du premier quai.
Je me remis en marche, toujours aussi chargé, mais presque totalement délesté de mes derniers espoirs.
Tout en tentant de me rassurer calmement avant que la crise de panique n’atteigne inexorablement mon cerveau, je commençais à prendre conscience du fait que je m’étais éloigné brutalement et sans m’en rendre compte du moment de ma délivrance, celui-là même où, la porte de ma cage à poule refermée, je pourrai enfin me soustraire à tous les regards, à nouveau invisible pour le reste du monde.
Ma bulle mentale venait d’éclater, le danger n’allait pas manquer de sourdre à l’improviste !
Le temps d’arpenter le quai indiqué à la recherche du poste de garde, mille éclats de panique eurent le loisir de s’éparpiller dans ma tête.
Bien au-delà de la question consistant à savoir comment rejoindre mon home sweet home, mon havre de paix, mon unique refuge, je commençais à sentir poindre le doute se résumant à « et cette nuit, puis demain et pour mes parotides…?? »
Rester calme, le plus longtemps possible !
Parvenu au-delà du bout du quai, je m’entendis – en dépit de ma musique censée me protéger du monde extérieur – rappeler à l’ordre, ou tout du moins appelé par un agent Sncf. Je compris que j’avais dépassé les bornes, ou plus exactement la limite du quai symbolisée par le dernier poste , un bureau devant lequel (mes lunettes définitivement vissées sur mon appendice nasal) j’étais passé indifférent, en lisant « objets trouvés ».
Je m’étais cru d’autant moins concerné, que je ne pouvais me considérer qu’étant parti chercher un autre moyen de transport, en guise de solution salvatrice.
Retour en arrière, je revins sur mes pas, répondant à l’invite qui m’était faite. A l’intérieur du bureau, je me trouvais face à trois agents, dont celui qui m’avait repêché peu avant l’extrême limite du quai.
Toujours chargé comme un…mulet (plus rien d’autre ne comptait que la recherche d’une solution de plus en plus improbable), j’expliquais le plus synthétiquement (un défi, me concernant !) possible ce qui me préoccupait.
L’inventaire fut rapidement fait par mes trois interlocuteurs : mis à part un taxi (je serais bien incapable d’en estimer le prix exorbitant étant donné le trajet), la seule solution, très hypothétique se résumait à faire du stop à la sortie de la ville.
J’en avais bien passé l’âge !
Pourtant, si je voulais me donner une chance (infime !) de rejoindre mon terrier avant le premier train du lendemain, je me devais au moins de tenter l’aventure, en ultime recours !
Excepté l’agent qui avait continué à lire son journal (cent pour cent sportif, à moitié consacré au football, même après la Coupe du Monde et malgré la trêve estivale ?) en prêtant simplement une oreille distraite au récit de mon malheureux sort, je pus compter à ma grande surprise (pour ne pas dire plus !) sur ses deux collègues qui parurent immédiatement plus concernés.
L’une, une jeune femme, s’empara d’un marker rouge pour tracer sur une feuille de papier les cinq grandes lettres de ma destination finale. L’autre m’étonna encore plus en réagissant presque au quart de tour, alors que je lui avais demandé conseil pour savoir où lever le (au nord, à l’est, au sud, ou à l’ouest -où je me trouvais pour le moment-, ou bien ?) afin de m’offrir l’opportunité de décoller définitivement de son macadam.
En deux temps et encore moins de mouvements il me proposa, ayant achevé son service, de me conduire jusqu’à la grande voie la plus judicieuse à emprunter, direction Paris !
L’aubaine était forcément incroyable.
En montant en voiture, essayant d’estimer mes chances de rentrer chez moi le soir même, j’étais bien incapable d’imaginer ce que me réservait le destin.
Me refusant à rêver au cas de figure idéal, je ne pouvais que me convaincre d’essayer le stop, en profitant des conditions climatiques radieuses de cette fin de journée estivale qui m’assurait donc encore largement plus d’une heure de lumière diurne.
Et qui pouvait savoir ?…
Mon chauffeur impromptu me proposa de faire un choix entre deux routes. Car si tous les chemins sont supposés mener à Rome, deux seulement étaient susceptibles de me reconduire à bon port, jusqu’à la capitale de notre hexagone : la nationale et l’autoroute. Et à moins de posséder le don d’ubiquité, il me fallait trancher, sans état d’âme ni regrets éventuels.
Ne connaissant pas le moins du monde la région, j’étais bien obligé de me fier essentiellement à l’appréciation de mon sympathique conducteur. M’ayant présenté les avantages et les inconvénients de chaque voie, j’essayais de les envisager à tour de rôle, tout en escomptant un verdict net et définitif de sa part.
Or, au bout de quelques minutes, je dus réaliser, tout avenant qu’il pouvait effectivement être, que nous tournions en rond (nous seuls, pas la voiture, fort heureusement !), passant et repassant continuellement en revue les meilleurs motifs d’aller tendre ma feuille de papier là-bas plutôt qu’ici.
A priori un grand nombre de parisiens prendraient plutôt l’autoroute, payante mais plus rapide. La nationale offrait l’avantage d’être plus facile d’accès pour un autostoppeur (j’allais à cette occasion rajeunir de plus de vingt ans !), avec une possibilité de repli en cas d’enracinement sur place à la tombée de la nuit.
Même si tout était possible, le meilleur également (donc !), je ne voulais pas prendre le risque de me retrouver, le soleil s’étant couché, tout seul et toujours à l’entrée de la même autoroute, mais dans l’obligation de planter là ma tente, faute d’avoir été pris par un quidam compatissant. Et n’ayant pas de tente sur moi, l’autoroute me parut constituer une solution extrême, du genre « ou ça passe, ou ça casse ».
Incapable, par nature, de dormir debout à l’abri d’un fourré, je n’avais plus qu’une solution : la nationale, avec la possibilité de faire, en désespoir de cause, marche arrière, à pieds cette fois. Au passage, mon bienfaiteur me désigna un ou deux hôtels « premier prix » situés sur l’autre bas-côté. Sans savoir s’ils s’avéreraient être dans mes moyens, j’en fus tout de même rassuré. Vive la carte bleue au fond de la poche !
Pour l’heure, après un cheminement tout droit depuis la sortie du parking de la gare, ayant longé un cours d’eau (une rivière ?) avec une enfilade d’arbres légèrement courbés au-dessus de nos têtes et de notre carrosserie, après, au final, un ou deux tour(s) de rond-point exécuté(s) dans le sens trigonométrique (giratoire…plus exactement !), nous arrivâmes enfin (à peine plus d’une dizaine de minutes plus tard) là où nos routes allaient définitivement se décroiser et nous nous séparer. Je fus déposé avec mes deux bagages au commencement d’une longue ligne droite sans fin. Tout au bout, les quatre murs de ma bulle matricielle m’attendaient.
Nos adieux furent chaleureux mais brefs, le temps au moins de signifier mon extrême reconnaissance et de me mettre à la place de celui que je ne reverrai jamais. Comment allait-il faire pour poursuivre son chemin sans jamais savoir ce qu’il m’arriverait ensuite ?!
Quelques instants après, mes sacs déposés à un mètre de moi, je commençais à tendre ma feuille de papier.
Il était environ 20h30, un soir ensoleillé d’été ; j’avais donc à priori encore plus d’une heure à bénéficier de la lumière du jour.
Un soleil à l’œil bien rond veillait sur moi, me faisant juste face. Aucun nuage menaçant en vue susceptible de nous faire de l’ombre.
Clara Sean Baker et moi bénéficions de circonstances idéales pour humer le fond de l’air tout en faisant de l’auto-stop.
Sans même songer à tenir compte de mon humeur du moment et de mon avis, elle entama violemment le concerto n°1 de Tchaïkovsky, à même les touches de son piano, dont les premières notes commencèrent à résonner dans ma tête à l’instant précis où je tendais mon ardoise papier indiquant ma destination à tous mes futurs candidats au titre de (deuxième) bienfaiteur du jour !
J’aurais très bien pu fredonner mentalement le premier mouvement, mais c’est elle qui avait préféré le jouer. Dans de telles conditions, comment ne pas rester optimiste et patienter avec entrain sur le bord de la route.
Clara S. B. s’entêtant à tue-tête (pardon pour l’allitération évidente et facile !), je ne pouvais qu’avoir foi en l’avenir immédiat.
Tandis qu’elle s’échinait presque couchée sur son clavier, je me rendis vite compte que mes jambes battaient la mesure dans une position faussement décontractée.
Faute d’avoir encore l’âge, d’après mon seul état civil, de tendre le pouce (les deux bras en l’occurrence), je devais estimer, tout à fait inconsciemment, devoir paraître, à distance, jeune et désinvolte, voire un brin nonchalant !
Mes lunettes de myope (mais photochromiques !) bien juchées sur mon nez, je scrutais tranquillement l’horizon, plus exactement le rond-point situé quelques vingt ou trente mètres en deçà de ma voie, nationale, mais royale.
Avant même la fin du concerto, je déplorais, non sans étonnement, une légère crampe musculaire sur le flanc extérieur de ma cuisse gauche.
Déjà !? Certes, je me rendis alors compte que mes deux jambes un peu écartées ne se situaient pas exactement sur le même plan (petite dénivellation sur le bas-côté !), mais de là à imaginer une défaillance aussi précoce !
Quatre ou cinq coups de poing plus tard, je me remettais dans une position quasiment identique, un sourire de Joconde aux lèvres.
Moi-même légèrement surpris, je savourais l’instant présent totalement improvisé !
Au lieu de me trouver à cette heure à mi-chemin environ du trajet retour prévu par voie ferroviaire, j’étais planté là, sur le bord d’une nationale ensoleillée, seul piéton spectateur d’un balai de voitures allant et venant dans les deux sens. Finalement j’étais assez tranquille, me fondant dans un grand espace uniquement constitué d’un rond-point, dans mon horizon immédiat, et d’une route droite, trait de bitume entre deux étendues parfaitement bucoliques. Certes, il me revint soudainement à l’esprit que mon sac à dos contenait, outre des conserves et autres denrées non périssables, des produits censés demeurer frais, du genre crevettes et poissonnailles diverses à base de surimi et d’ingrédients tout aussi naturels et sains.
Ne pouvant strictement rien faire pour l’heure afin de les sauvegarder, je choisis de vite effacer ce problème (très relatif) de ma mémoire, et advienne que pourra !
Tant qu’à faire abstraction des problèmes, je m’efforçais aussi de décharger mon esprit des plus sérieux (pour moi, en tous cas), susceptibles de me freiner dans mon élan. Délestons, délestons ! Allégeons-nous jusqu’à la décorporation la plus complète !
Durant la première demi-heure, deux voitures s’arrêtèrent quelques mètres derrière moi. Si je n’hésitais pas à décliner l’offre initiale qui m’aurait vu déposé à peine quelques kilomètres plus loin, je fus plus circonspect ensuite, alors que la deuxième occasion pouvait me déposer aux abords de la ville suivante, seul arrêt ferroviaire opéré par le train de Paris.
Estimant pourtant qu’il était encore relativement « tôt », espérant mieux des demi-heures suivantes, je me crus obligé de remercier le plus chaleureusement possible celui qui ne deviendrait jamais « mon » conducteur, pas même le temps de parcourir un ou deux kilomètres.
Et je repris ma pose apparemment décontractée.
Je restais optimiste, songeant tout de même aux hôtels situés non loin à la sortie de la ville, offrant mon air le plus naturellement dégagé.
Le temps passait, les voitures aussi, le soleil arborait une mine de plus en plus rouge, congestionnée par l’effort consistant (pour lui !) à aller -déjà- se coucher.
Sans parler des voitures bretonnes qui auraient pu se montrer solidaires en souvenir de ma jeunesse, j’en vis passer plusieurs immatriculées en Île de France, première ou deuxième couronne. Autant d’occasions me filant sous le nez de me rapprocher de la capitale, à charge pour moi de sauter dans un RER pour finir le trajet.
Avant que ne disparaisse définitivement le soleil de mon horizon, je pus dénombrer trois arrêts de véhicules : celui d’une jeune et jolie charmante femme rousse ; l’habitacle du deuxième dirigé par un père de famille semblait déborder d’enfants et d’objets très variés (l’unique place restante n’était qu’à moitié vacante !) ; enfin celui d’un as (fou ?) du volant qui avait d’abord failli m’écraser avant de freiner sèchement plusieurs mètres derrière moi.
La manœuvre un poil périlleuse m’avait simplement obligé à deux ou trois pas d’esquive sur le côté, tandis que lui avait dû, de façon toujours vive et anarchique, procéder à une marche arrière sur une certaine distance. Je compris ainsi que son intention initiale avait plus été de me prendre à son bord que de m’écraser sauvagement. En me penchant à la portière côté passager, je vis rapidement à quel bonhomme j’avais affaire. Sans vouloir préjuger (hâtivement) des apparences, il faut avouer qu’elles ne plaidaient pas réellement en sa faveur : mis à part un art non dissimulé du désordre, il paraissait aussi échauffé sous le capot que devait l’être les disques de ses freins (?). Il me proposait de me déposer quelques kilomètres plus loin…devant la cabane des Schmitt (ou bien Schmidt…?).
N’ayant pas l’honneur de connaître cette famille-là, mon ignorance le contraint à une traduction supplémentaire me faisant comprendre qu’il s’agissait de la gendarmerie du prochain patelin. D’après lui, en moins d’un quart d’heure d’attente vaine, les porteurs de képi se dévoueraient forcément pour me conduire plus loin, ne serait-ce qu’à « l’hôtel » le plus proche (d’une ville située…?), histoire de ne pas me laisser coucher dehors.
L’hypothèse me laissa momentanément sans voix !
Au fur et à mesure que je l’écoutais développer sa « thèse », je réalisais qu’il me faudrait une bonne dose…d’inconscience pour monter en voiture ; mon intuition me soufflait de ne pas le suivre dans son plan et donc de ne pas l’accompagner. Un peu honteux de ressentir à priori une telle méfiance, je mis en avant le fait (réel) que je préférais ne pas m’éloigner de cette zone située non loin de positions de repli (les hôtels !) stratégique à l’heure prochaine de la fin du jour ; pas pour si peu de kilomètres, en tous cas.
Son bolide et lui repartirent donc aussi vivement qu’ils étaient venus et je repris aussitôt ma posture désinvolte, mélange de patience et de décontraction.
Qui sait si je n’avais pas échappé là à un égorgeur d’auto-stoppeurs, voire pire ?!…
Toutes choses devant avoir une fin, les moins bonnes comme les meilleures, je m’étais fixé pour limite temporelle le coucher du soleil. Plus exactement, l’instant précis où sa boule rouge aurait définitivement disparu derrière les arbres de mon horizon, ceux du rond-point situé en droite ligne dans ma mire.
Durant les dernières minutes précédant le coucher de son altesse diurne, j’ai plus d’une fois hésité à lâcher brièvement ma pancarte (en papier) pour aller chercher, vite fait, mon minuscule appareil photo numérique (resté sur le bas-côté, dans une poche de l’un de mes sacs) afin d’immortaliser et l’instant et (surtout) ce royal et rougeoyant déclin.
Mais bêtement -il faut bien l’avouer- je n’ai pas osé manquer éventuellement une dernière occasion de décoller de mon petit bout de macadam.
Passé le moment du décret officiel (juché sur mes pointes de pieds) de la disparition totale du soleil, je n’ai (évidemment !!) pas ramassé prestement mes affaires pour déguerpir fissa : impossible de ne pas compter encore une ou deux fois deux ou trois voitures, avant de renoncer définitivement. Il n’était pas tout à fait 22 heures, et j’avais encore le temps de rebrousser chemin en profitant des dernières et rassurantes lueurs du jour.
J’ai donc marché un peu, au-delà du (fameux) rond-point derrière lequel rien ni personne ne se cachait plus, longeant à rebrousse poil la route…de la sortie de la ville.
J’aperçus enfin à courte distance les lumières indiquant l’hôtel « number one » , catégorie premier prix, en deçà duquel je n’aurais pas eu d’autre choix que celui de dormir à la belle étoile. Trop fatigué et plus assez jeune pour ça.
Et tant pis s’il me fallut faire face à un imprévu supplémentaire d’ordre exclusivement financier ; vive la carte bleue !
En oubliant la petite famille qui me grilla la priorité d’un souffle, je ne vis personne et n’eus affaire qu’à un terminal d’ordinateur pour enregistrer ma demande et me réserver une chambre, contre un paiement inévitable.
L’idéal à cette heure (environ 22 heures et un petit quart) pour ma lassitude, ma fatigue, mes « bagages » et moi-même !
Le temps de grimper un escalier extérieur et je refermais derrière moi la porte n° 9.
Ouf !
Je découvris alors ma vaste chambre de moine trappiste allouée pour une nuit…avec quelques aménagements et conforts supplémentaires !
Pour être honnête, la superficie devait bien atteindre les 16 ou 18 m², soit peut-être (je n’ai toujours pas effectué ma première retraite dans un monastère) près du double d’une cellule de frère.
De toutes façons, j’étais si content de pouvoir enfin recréer ma bulle dans un espace délimité, que j’aurais bien accepté de me terrer dans un trou de souris, même sans gruyère ! Et puis pour y vivre à peine plus d’une dizaine d’heures, je n’avais vraiment pas lieu de me plaindre.
Mon palace était non seulement pourvu d’un large lit à deux places (aucun risque d’en tomber en s’y retournant brusquement), mais surtout d’une salle d’eau, petite, compacte, regroupée à l’extrême, mais complète : douche, toilettes, lavabo, le tout ramassé en moins de trois mètres carrés ; grand bravo au concepteur d’un tel phénomène dans l’art d’occuper l’espace de façon optimale !
Enfin, the icing on the cake : une télévision avec télécommande.
Comment en effet imaginer en ce XXIème siècle une chambre d’hôtel privée d’un média aussi primordial ?!
Personnellement, j’aurais très nettement préféré avoir une petite radio FM sous la main, histoire d’écouter un peu de musique classique. Mais à défaut, je me résolus à allumer la petite lucarne « gracieusement » mise à ma disposition. Il y avait neuf ou dix chaînes, aucune musicale, et surtout pas une seule dévolue aux news en continu. C’est à ce moment précis que je réalisais ma totale désinformation accomplie en moins de quarante-huit heures.
Quelque chose d’important (obligatoirement !) s’était produit quelque part sur la planète, et je l’ignorais encore totalement.
Tant pis pour cette nuit ; j’avais du reste bien mieux et plus urgent à faire dans la salle d’eau : me laver enfin, me défatiguer et me relaxer autant que possible. Et je pris tout mon temps…aussi bien au lavabo, aux toilettes, que sous la douche dont le bac était si peu dénivelé par rapport au sol de la pièce, qu’il était parfaitement impossible de se doucher sans arroser (malgré le rideau) dans les grandes largeurs. Heureusement que deux grandes serviettes étaient prévues…dont une serpillière !
Je sortis de là un peu plus frais et moins las.
Il était bien l’heure de prendre du repos et d’essayer de dormir. Faute de « Radio Classique », je mis une émission musicale tardive pour me bercer, lumières éteintes. Mais trop bavarde et pas assez musicale pour ce que j’en attendais alors, je finis par faire le noir complet dans ma cellule de nanti.
Ce n’est pas pour autant que je réussis à dormir. Trop chaud, trop fatigué et beaucoup trop en activité subcrânienne, je ne fis que me tourner et me retourner (sans jamais tomber), rabattre couverture et drap, pédaler en vain dans mon lit, pour mieux m’impatienter et finalement m’énerver.
Après un certain nombre de debout/couché, vint l’heure (environ 3h30) de chocolater.
Si je voulais me donner une petite chance d’avoir l’air vaguement humain le lendemain…tout à l’heure, à celle de reprendre enfin ma route et le moyen de transport ferroviaire dont je n’avais pu (et pour cause !) utiliser le billet la veille, il me fallait entamer largement mon stock de tablettes que je ramenais chez moi.
J’avais à ma disposition exactement 500 g (2×200 + 100) ; soyons précis, hors de question de plaisanter avec tout ce qui touche au cacao !!) pour faire meilleure figure à mon réveil (…à condition de réussir ensuite à dormir un moment…tout en digérant).
C’est bien la première fois que me fut donnée (« imposée », par les circonstances, serait plus exact !) l’occasion de rentrer chez moi bredouille…mais allégé en cours de route.
Il m’aurait d’ailleurs fallu une réserve de chocolat plus conséquente pour être et me sentir davantage présentable.
Faute de mieux, je dus puiser encore dans mes ressources psychiques (si, si ! nul n’est autorisé à rire !) pour affronter le monde extérieur (…)
J’ai finalement dormi deux heures et demie ou trois grâce, j’imagine, à une dose de fatigue nettement dépassée.
A mon réveil, un coup d’œil rassurant aux horaires de trains, même s’il n’était plus utile de me ruer à la gare pour rentrer « plus tôt » (!), et je me mis tranquillement en mouvement pour me préparer.
Toujours pas la moindre information à me mettre sous un repli de cerveau. Encore des bombes quelque part et d’autres morts sûrement dans le monde, mais où ?
Je pris tout mon temps pour revisiter la salle d’eau et refaire connaissance avec la douche, avec les mêmes inévitables retombées. Et la serpillière de secours se remit en action.
Cette fois, pour ce matin-là, j’avais exceptionnellement prévu « très large », question horaire. Pas loin d’une heure et demie pour rallier la gare à pieds ! Même s’il m’était difficile d’estimer la distance kilométrique qui m’en séparait, je ne pouvais pas imaginer m’en être éloigné la veille au point de devoir marcher aussi longtemps.
Un coup d’œil extérieur par la fenêtre, une fois le volet roulant rembobiné : grise mine du temps en cette fin juillet. On aurait même bien dit…qu’il pleuvait ; aussitôt et pratiquement vérifié en mettant le nez dehors d’un pas en avant.
Machine arrière, toute !!
Songeant à la longueur inestimable du parcours et faute de parapluie (délaissé par mégarde dix mois plus tôt sur un quai de métro), je perdis un bon petit quart d’heure avant de me décider à lever le camp, la pluie ayant l’air de vouloir cesser de retarder mon rapatriement.
Allez ouste dehors ! Il me restait près d’une heure et quart pour attraper le dernier train de la matinée ; sinon, il serait bien temps de dénombrer tous ceux de l’après-midi comme autant de chances de rentrer enfin chez moi…avant le prochain coucher du soleil, pour peu que les nuages daignent se retirer, passée l’ondée !
Il ne pleuvait quasiment plus, ce qui me permit de rechausser mes lunettes, quand je me mis en route. Regagnant la nationale à grandes enjambées, le ciel ne semblant pas tellement plus à la fête qu’au moment de l’averse, je respirais avidement l’air d’un tout nouveau jour, celui où je n’allais certainement pas rater mon train et qui me verrait rejoindre sans faute mon cher domicile.
Contrairement à mon sac d’appoint maintenu en bandoulière, mon sac à dos devait peser autant qu’avant. Une grande différence cependant : j’avais réussi par une plongée aveugle d’une main à déplacer très sensiblement…une boite de conserve qui n’avait cessé la veille de s’incruster dans le bas de mon dos, une empreinte très marquée pouvant en témoigner (en cas de doute, qui plus est de litige !).
Cette confortable amélioration ne pouvait que m’inciter à l’optimisme. N’avais-je d’ailleurs pas une simple ligne droite à reproduire en sens inverse et à pieds pour revenir à la gare !?
En définitive, quelle importance pour moi d’ignorer le nombre de kilomètres à parcourir ?
Je m’étais retapé, tout seul comme un grand, un moral flambant neuf, et je marchais tête droite en admirant le paysage et les bas-côtés. De toute évidence cette sortie de la ville, dont je m’efforçais vaillamment de rejoindre le centre, était vouée aux grandes surfaces du style « tout pour la maison, du sol aux plafond et même pour vos bidons ». De quoi rester un bon moment rêveur, en songeant (mon imagination faisant l’essentiel du travail de création !) aux mètres carrés de tapis et aux moquettes moelleuses, aux dizaines -centaines ?- de rayons de bricolage et à toutes les travées regorgeant de denrées alimentaires !
Euh…traçons, traçons, tout droit vers ma maison !!
Je fus accompagné dans ma balade par la pluie qui fit rapidement son retour sous forme de bruine légère (à ne surtout pas confondre avec le « crachin breton », qui n’est d’ailleurs pas réservé aux seuls départements de l’ouest hexagonal ; en aucun cas une A.O.C. donc !).
Je marchais ainsi sous la grisaille, le cœur léger et le bagage plus lourd.
Changements notables avec la veille au soir : je voyais cette fois « de dos » les voitures défiler en me dépassant et je ne tendais ni mon pouce ni une pseudo pancarte. Aucune chance d’être ainsi pris en stop, même si l’idée m’effleura l’esprit. A tort ou à raison, sans bien savoir pourquoi, je n’aurais pas osé de nouveau enfiler le costume de l’autostoppeur voulant rallier la gare sans se mouiller.
A une dizaine de mètres de me permettre de griller sans vergogne un feu , ma pensée m’échappa, fit un bond de côté et profita d’une fenêtre ouverte pour se transmettre d’elle-même au conducteur le plus proche.
A ma grande surprise (tout de même !), je le vis se pencher côté passager et m’adresser la parole ; le temps de couper la musique qui saoulait mes oreilles, et j’eus peine à les croire, les supposant mal dégrisées.
Sans rien avoir demandé (à personne), je m’entendis proposer d’être conduit plus loin, en fait directement jusqu’à la gare.
Si le désintéressement dans ce bas monde se fait de plus en plus rare, il n’empêche qu’il existe encore, pouvant survenir m’importe quand et n’importe où…même à quelques mètres d’un feu rouge !
Un total inconnu, simplement désireux de me rendre service, avait supposé qu’il y avait promenade plus agréable que celle entreprise sous une pluie fine.
Croyant difficilement possible une telle aubaine, je ne pus m’empêcher de faire part de mon sentiment à mon bienfaiteur, comme s’il venait de me sauver la vie !
Lui, au contraire, trouvait ça tout naturel, d’autant que, passant par le centre ville, me déposer devant la gare ne constituerait pas un détour particulier à l’entendre ; puisqu’il le disait, pourquoi le contredire ?!
Nous devisâmes tranquillement en route : rien de très personnel ni de trop banal ; juste ce qu’il fallait pour éviter les pièges d’une conversation ennuyeuse et gênante pour tous deux. Bref, mon hôte s’avéra en tous points remarquable !
Et jusqu’au bout, puisqu’il me laissa devant l’entrée de la gare. Question d’éducation sans doute, je ne pus me retenir de réitérer mes plus sincères remerciements en témoignage de ma réelle reconnaissance.
Presque aussi incrédule qu’un quart d’heure plus tôt, je fis mon entrée dans la gare avec une avance royale d’une cinquantaine de minutes.
Bien heureusement pour moi !
Le temps de vérifier l’heure et le quai de mon futur train, les yeux rivés, écarquillés sur l’écran listant les prochains départs, les lunettes enfoncées quasiment vissées cette fois sur mon arête nasale, et je réalisais subitement qu’ayant composté mon billet la veille, il me fallait impérativement prendre le temps de m’adresser à un guichet dans le hall, histoire d’expliquer mon cas, sans trop me perdre (si possible) dans tous les détails de mon aventure.
Je ne revis pas la jeune et aimable personne de la veille ; sans doute dormait-elle encore en cette fin de matinée du lendemain, histoire de se remettre de sa garde nocturne.
Deux guichets ouverts en plein été un vendredi midi ; félicitations la SeNeCeFe !
Bref ! J’eus affaire au premier à se libérer. Je fis en sorte de présenter mon « problème » et la situation dans laquelle je me trouvais, le plus simplement du monde, enfin toutes proportions gardées, vue mon incapacité congénitale à ne pas compliquer…ce qui ne l’est pas à l’origine !
Je réussis cependant à me faire comprendre, ce qui m’amena à m’entendre confirmer que mon billet composté la veille n’était plus valable. J’avais très bien pu, éventuellement histoire de tuer le temps (?!), aller à Paris et en revenir ce matin, presque dans la foulée !
Oui, c’est vrai, pourquoi pas ?
Argumentant en prétextant de ma bonne foi, je vis bien que le guichetier cherchait juste un moyen de satisfaire ma demande sans pour autant violenter la réglementation qu’il se devait de respecter ; tradition et héritage quasi ancestral obligent !
Euréka ! Il trouva, ayant soudain l’idée de me demander si j’avais une preuve, une trace, une facture papier de ma nuit passée dans les environs. Il en fit prestement une photocopie, ratura et griffonna mon billet de train initial qu’il me remit tel un laissez-passer.
Problème résolu, aussitôt oublié !
Je m’autorisais alors, en ayant clairement le temps, à aller siroter un café, tranquillement assis à une table, au sein même de la gare. Ma montre -tout sourire- prit la pause en évidence pour m’épargner le moindre risque.
Et quand bien même…d’autres trains étaient prévus au cours de l’après-midi !!
Pour une (très rare) fois, je montais calmement dans l’un d’eux sans avoir failli le rater.
Une portée de minutes avant midi, j’étais enfin assis et véritablement en route, presque déjà chez moi.
« Sereinement » (toutes proportions gardées pour qui me connaît un peu), je songeais au temps écoulé depuis mon premier (faux) départ : seize heures, à une ou deux minutes près.
Rien d’original, si j’avoue que ma première idée se résumait à « c’est tout ?! » ; évidemment, j’avais la sensation d’avoir vécu plusieurs jours durant ce laps de temps.
En y réfléchissant un peu plus (comment ne pas le faire ?), je réalisais que toutes ces heures passées hors de « ma bulle » avaient nécessairement compté double ou triple (au minimum). Pas de quoi se vanter, même si cela avait constitué pour moi une épreuve, un exercice de résistance mentale (le physique dans ces cas-là devant se plier à la loi « marche ou crève ! »), voire un défi personnel à relever.
Tout en ayant bien conscience de l’aspect anecdotique de ma situation, telle qu’elle pouvait logiquement être considérée par tout un chacun (« flûte de zut alors ! il vient de manquer son dernier train ! »), je ne pouvais pas nier le fait que je m’étais brutalement retrouvé perdu au milieu d’un no man’s land, le dernier pont aérien définitivement rompu avec ma bulle, ma matrice, mes quatre murs quoi !
Excessif ? Ridicule ? Très certainement.
Il n’empêche que, ne pouvant attendre (encore moins espérer !) l’intervention d’un deus ex machina, j’avais été obligé de me faire violence.
Faire d’abord le deuil définitif d’un retour simple et rapide chez moi pour reprendre ensuite activement les choses en mains si je voulais éviter de m’enraciner sur un quai de gare étranger avant la fin de l’été !
Il m’avait « juste » fallu improviser pour me sortir d’une situation « banale » (pour -presque- tous, sauf pour moi), qui allait pourtant me contraindre à puiser davantage dans mes réserves mentales.
N’ayant pas le choix, j’avais été mis (par moi-même !) en demeure de faire totalement abstraction de mes contingences matérielles et terrestres.
Ma liberté d’agir n’avait pu s’exercer qu’après une totale -quoi que temporaire- décorporation !
J’arrivai en gare seize heures pile poil après celle initialement prévue…la veille !
Rien que de très logique, finalement…
Mais oui ! C’était bien sûr ! Puisque je n’empreinte cette ligne de train qu’une fois tous les seize ans !
Pas de quoi tartiner seize (+ une) pages ; quel gâchis d’arbres et de papier !…
(© sept 2006-2016/droits réservés)
C’est tout de même un peu long et difficile à suivre.
Pas tellement drôle non plus.
Concernant la « longueur » la couleur était annoncée (cf. la catégorie de l’article) ; tout le monde était donc prévenu .
Désolé cependant d’avoir mis à mal votre animalité et votre concentration…
B.