Une histoire
Posté par BernartZé le 6 mai 2017
Gironde
On la disait bien en chair quand elle avait 20 ans.
Ses formes harmonieuses étaient alors autant appréciées que moquées, suivant les modes et les goûts de chacun.
En fin d’année 1984 elle adorait danser voluptueusement sur , un pur délice selon ses dires confirmés par l’évident plaisir qu’elle y prenait.
C’est peu après la nouvelle année qu’elle tomba réellement amoureuse et qu’elle eut la folle idée de plaire davantage à un jeune homme d’une trentaine d’années qui ne l’avait pas remarquée lors de la fête d’anniversaire de son amie d’enfance.
Dès le lendemain elle ne parla plus que de lui, y pensant à longueur de journées et de nuits, ses rêves lui étant consacrés.
Elle qualifiait son coup de foudre d’apparition céleste et de vision divine, rien de moins !
Si elle avait pu le faire elle aurait épinglé un poster géant de son « amoureux » au-dessus du lit de sa chambre d’étudiante.
Mais les seules photos constituant son album se trouvaient dans sa tête.
Le 19 janvier 1985 elle décida de se mettre au régime pour ne plus peser .
De ce nombre tout rond elle voulut ne faire qu’une bouchée.
Du jour au lendemain elle arrêta de manger ou presque.
Son alimentation se résuma à des feuilles de salade fraîches, des tranches de concombre et du fenouil en provenance directe du bac (bien froid) du réfrigérateur.
Une pomme aussi de temps en temps.
Parallèlement elle se mit à la marche intensive pour suivre et espionner l’objet de son obsession.
Partout où il allait elle le suivait à distance, tentant de le photographier dans l’espoir d’obtenir un portrait digne de la première vision qu’elle avait eu de lui.
Avec un appareil-photo proche du jouet d’enfant !
Elle fit développer des dizaines de pour ne conserver que quelques clichés.
Plus elle perdait de poids, plus son image s’effaçait troublant sa perception d’elle-même et sa lucidité.
Elle entra dans une zone , navigant entre deux eaux deux mondes deux destinées, quitte à se perdre.
Personne à qui se confier ; son amie, après avoir encouragé sa démarche, avait pris peur et ses distances en réalisant l’ampleur de sa « folie ».
Et ses parents l’avaient vue maigrir sans s’inquiéter de la méthode ; au contraire.
Partie étudier dans une autre ville ils ne la virent pas se désintégrer en jouant avec le feu.
La maladie dont elle ignorait le nom œuvrait sans qu’elle ne puisse l’arrêter.
Des personnes, pas même des amis, tentèrent de l’alerter sur son état de plus en plus inquiétant en lui conseillant de se faire hospitaliser.
Elle refusa l’emprisonnement, la perte d’autonomie et de maîtrise d’elle-même.
Elle nia tant et plus l’ampleur du mal et de sa déraison.
Quand elle parvint à ne plus peser qu’un tiers de son poids elle ne se trouva pas spécialement mince en dépit des derniers regards croisés effrayés par une vision évoquant une sortie de camp.
Le jour où à bout de forces elle comprit que le point de non-retour avait été franchi elle choisit son plus doux coussin pour s’endormir à jamais après des convulsions répétées auxquelles elle fit face en serrant les dents.
Elle ne se souvenait même plus de son « amoureux » d’autrefois qui était passé juste à côté d’elle sans la voir.
(© 2017/droits réservés)
Qu’elle lise donc « En lisant Tourgueniev »….
Je ne suis pas sûr qu’une fois morte cela puisse encore lui remonter le moral ni remplumer son pauvre corps sacrifié…
…B.