![Tableau de ''Laura'' (film d'Otto Preminger, 1944)](http://bernartze.unblog.fr/files/2017/07/tableau-de-laura-film-dotto-preminger-1944-248x300.jpg)
Par le bout du nez
La curiosité peut mener loin.
J’avais à peine huit ou neuf ans et nous avions emménagé dans une maison flambant neuf d’une rue sans issue.
C’était le projet de vie de mes parents : non de devenir bâtisseurs mais simplement propriétaires d’une habitation correspondant à leurs plans.
C’est pourquoi ils suivirent de près toutes les étapes de la construction en venant régulièrement visiter le chantier.
De temps en temps j’étais autorisé à les accompagner, le jeudi (l’ancêtre du mercredi) ou en fin de semaine.
J’étais excité et impatient comme on peut l’être à cet âge où le temps paraît prendre d’interminables pauses et avancer à la vitesse d’un escargot souffreteux
.
Échappant parfois à leur attention, je jouais dans nos futurs murs, découvrant des pièces qui pour moi ne correspondaient à rien d’autre qu’aux décors en pierre dure d’un théâtre en carton.
J’imaginais des changements à vue, de hauts rideaux de velours et des escaliers ne menant nulle part
.
Puis les étages et de vrais escaliers se construisirent.
Lorsque les pièces du 1er (en fait le vrai rez-de-chaussée au dessus du garage) virent le jour et que les portes-fenêtres donnant sur le balcon furent installées, je fis une gigantesque découverte : j’étais un passe-muraille !
Les vitres n’ayant été posées qu’en fin de chantier j’eus le temps de m’amuser à passer à travers les cadres
en me glissant souplement (vu mon âge !).
Fatalement le jeu ne dura qu’un (long) temps.
Une fois installés dans notre nouvelle demeure, faute de pouvoir continuer, je cherchais d’autres distractions une fois mes devoirs faits évidemment.
Mes yeux se portèrent un jour sur l’autre côté de la rue où se trouvait une vieille bâtisse apparemment à l’abandon.
De hauts murs et des pierres mangées par des plantes grimpantes à l’aspect sauvage et inquiétant ; une haute muraille semblait interdire tout accès, empêchant de pousser plus loin la curiosité.
Une seule question pour moi : comment franchir ces remparts ?
Après les travaux d’approche à rôder autour, je me décidais enfin à prendre d’assaut le château (une malouinière en fait).
Quel que soit le côté l’escalade apparaissait aussi difficile ; il fallait prendre son élan et son courage en mains (plus de deux si possible).
Je me mis donc, à mes risques et périls, à jouer les premiers de cordée, sans pic ni corde de rappel et surtout sans compagnon d’aventure.
A ma grande surprise, pas à pas pierre par pierre, le défi fut moins ardu que prévu.
Au bout d’une demi-heure j’étais en haut du mur.
La descente de l’autre côté s’avéra nettement plus facile : il me suffit de me jeter en bas sur…une sorte de grand matelas de réception pour sauteurs en hauteur.
Que faisait-il là oublié et livré aux intempéries ?
Les feuilles mortes ajoutèrent de la poussière à ma chute.
Le tour du jardin fut rapide : il n’y avait rien à voir ; il me servit seulement à repérer le côté du château le plus accessible…en fonction de ses fenêtres.
Je choisis la plus basse et, alors que j’allais jouer du coude, j’aperçus l’ouverture béante laissée par une vitre cassée.
A moi la grande aventure !!
Je mis près de deux heures à explorer toutes les pièces une à une sur les quatre (hauts) étages.
Beaucoup de poussière et de meubles recouverts de tissus autrefois blancs ; les chambres étaient vastes et richement décorées ; trois salons aux parquets encore parfaitement vernis, des cheminées dans toutes les pièces.
L’une d’elle retint particulièrement mon regard.
Non par son aspect mais pour le tableau au-dessus.
Le portrait d’une femme mystérieuse et mélancolique, belle et fascinante ; un peu rêveuse aussi.
Durant des années je suis souvent revenu vers elle tant j’étais captivé par sa lumière.
Quand mes épaules et mes hanches ne me permirent plus de passer à travers la fenêtre je l’ai forcée afin de poursuivre mon rêve sans jamais savoir qui elle avait été.
Un jour mes études m’ont contraint à quitter la maison mes parents et cette inconnue…
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