D’outremer
Posté par BernartZé le 30 août 2017
32,6
Je ferme les yeux
Allongée, la chaleur du soleil m’enveloppe.
Je suis bien, je suis belle.
Cela fait si longtemps que je n’ai pas eu cette sensation de calme et de bien-être que je crois rêver ; peut-être est-ce d’ailleurs le cas.
Il est juste de parler de caresses lorsque le soleil n’est ni tiède ni trop chaud.
L’impression est alors celle d’un bain de douce torpeur qui gagne progressivement tout le corps jusqu’à emplir le cerveau.
A moins que je n’entre dans un état de lévitation quasi divine.
Devenue omnisciente je note que mon bras rejeté en arrière fait exactement un angle de 32,6° avec le sable.
Je repense naturellement aux vacances de mon enfance.
Je n’étais qu’une petite fille quand je nageais déjà avec un immense plaisir sous la surveillance de mes parents assez fiers de ne pas me voir affublée de brassards gonflables ou d’une bouée ridicule.
Je me souviens particulièrement d’un été passé en Espagne sur la Costa Blanca.
Je ne revois qu’une immense plage de sable blanc mais je me souviens parfaitement des grands plats de paëlla rapportés à pieds par mon père et des churros dont mon petit frère raffolait.
Ah ! les sans lesquels il prétendait parfois défaillir !
C’était il y a si longtemps…
Je me revois plus tard, toute seule avec mes parents, nous étions moins heureux et j’avais compris alors qu’ils ne riraient presque plus désormais.
D’autres vacances à la plage, moins éloignées, me restent en mémoire.
Même si elles se déroulaient dans des contrées où la mer était moins chaude ou plus agitée, j’ai toujours emporté avec moi sur le chemin du retour l’indicible ravissement du contact de l’eau glissant tout le long de ma peau.
Et le jour de la rentrée des classes j’avais l’impression de pouvoir encore goûter le sel en léchant discrètement le dessus de ma main.
Le soleil frappe à présent ou bien ne suis-je plus en lévitation ?
Retour en arrière mais cette fois à la montagne en été.
L., à peine quatre ans, jouait au badminton devant la fenêtre de la cuisine du chalet loué.
Pourquoi ce souvenir sans mer ni sable ?
Pourquoi aussi revoir tout d’un coup une gravure que nous avions rapportée de là-bas peu après l’accident ?
Je me demande bien pour quelles raisons mes parents avaient fait le choix de ces chardonnerets.
Est-ce parce qu’ils ont symboliquement la réputation d’être emplis de compassion ?
Elle est très longtemps restée accrochée sous verre dans le salon ; y est-elle encore aujourd’hui alors que la maison a été vendue ?
Je me sens moins bien, nettement moins belle.
Je ne sens plus les rayons du soleil ni le sable sous moi.
Je ne ressens plus grand-chose mais j’entends des murmures autour.
L’heure de la béatitude semble révolue.
Des gens me bougent me portent me déplacent.
Je ne vois ni ne perçois plus mon corps, j’entends encore des derniers mots.
Il semblerait que je sois morte.
(© 2017/droits réservés)
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