Noyade
Posté par BernartZé le 17 septembre 2017
31,8
Que la vue paraissait belle
« J’ai tourné autour du soleil, m’y suis brûlé les ailes.
Pour qui me suis-je pris ?
Jour après jour, toujours plus loin, j’ai poussé la folie jusqu’à rompre mes digues.
Non pas que je me croyais invincible, mais j’avais tant de rêves sans lesquels j’étais sûr de ne pouvoir vivre et pour certains survivre.
Il ne m’a pas fallu attendre longtemps pour me trouver à bout de souffle.
Alors j’ai commencé à me penser fou, malade, pas tout à fait comme les autres.
Je crois que j’ai toujours été différent, dès le plus jeune âge.
Beaucoup d’enfants le ressentent ou l’espère ; je n’ai rien demandé, peut-être un sort m’a-t-il été jeté ?
J’ai grandi et beaucoup continué à rêver, trop.
J’ai rêvé d’être mille autres et pour ce faire j’ai pensé qu’il suffirait de travailler sans relâche.
Baccalauréat en poche vite direction l’université ; j’aimais le statut d’étudiant…tout en sachant pertinemment que l’obtention d’un diplôme ne me servirait pas dans ma quête.
Une quête que mes créateurs considéraient totalement irraisonnable.
Quand bien même !
Au bout de quatre années inutiles je choisissais d’entrer dans le monde du travail.
Ce n’est que des années plus tard que j’ai découvert un cursus universitaire plus en rapport avec mes goûts et qui aurait (peut-être) pu me servir à progresser vers mon but ; cette voie existait-elle alors ?
Parallèlement à mon travail j’étudiais autrement dans un cours privé.
Plein d’enthousiasme de joie et d’envies je parvenais à croire à la concrétisation possible de mon rêve jugé fou.
J’étais intimement persuadé qu’au bout d’un long chemin difficile et laborieux je verrai la lumière.
Le travail et la foi ; vint le doute.
Et si je n’étais pas digne d’atteindre ce rêve que d’autres disaient insensé ? Et s’ils avaient raison ?
Et si -surtout- je m’étais fourvoyé dès mon plus jeune en m’imaginant que tel était mon destin ?
J’ai continué à travailler et à y croire le plus longtemps possible même si cela devenait de plus en plus difficilement compatible avec mon travail « officiel ».
Tout en ayant la foi j’ai découvert que je pouvais accepter les sacrifices pas les compromissions.
Elles m’écœuraient, d’autres les ayant admises étaient parvenus à obtenir ce qu’ils désiraient.
Était-ce à dire que je n’étais pas prêt à tout pour que mon vœu se réalise ?
Ou bien que je n’étais tout simplement pas préparé à affronter la réalité d’un monde dont les règles m’échappaient ; trop innocent et désarmé.
Ensuite très vite tout à commencé à m’échapper en même temps que mon rêve.
J’ai eu la sensation de me décomposer littéralement ; tout se désagrégeait dans ma tête et mon corps et devenait hors de contrôle.
J’étais pris à mon propre piège : ne pas pouvoir vivre sans ce rêve, à peine y survivre. »
Tel est le témoignage écrit qui m’a été adressé par un ami que je n’avais pas vu depuis de longues années.
Il était accompagné d’une courte lettre rédigée par un membre de sa famille m’informant de son décès subit ; entre les lignes on pouvait deviner son suicide.
Je suis resté un long moment interdit avant d’essayer de me souvenir des images que j’avais conservées de lui.
Nous nous étions connus en faculté qui l’intéressait peu mais où il aimait vivre et rencontrer d’autres étudiants venus d’horizons divers.
Je me suis effectivement rappelé son exaltation et sa foi suprême en un avenir qui l’amènerait à atteindre son but.
Je me suis soudain senti très triste.
C’était il y a plusieurs mois et j’ai depuis souvent repensé à son témoignage, essayant de comprendre ce qui lui était arrivé.
Mais les méandres du cerveau sont infiniment difficiles à appréhender.
L’être humain est ainsi fait que son esprit et son corps peuvent lui échapper sans qu’il ne soit conscient de l’ampleur de son mal.
Lui avait entrevu le soleil et la nuit l’a avalé.
À D.A.
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