A chacun ses mystères
Posté par BernartZé le 29 septembre 2017
Des cigarettes et autres…
L’enfant trônait sur le mur.
Je me souviens très bien de ce tableau tranquillement installé dans son bureau au-dessus de deux vieux fauteuils de cuir rouge.
Il m’a toujours fasciné par la pâleur du visage mais c’est surtout son air rêveur qui me laissait à la fois étonné et admiratif.
J’aimais le contempler -parfois même en cachette- pour essayer de deviner à quoi il pouvait bien songer.
De plus je n’ai jamais cessé de me demander si l’enfant était assis dans un fauteuil ou sur un creux de rocher y ressemblant ; le confort n’étant pas tout à fait le même.
Mais « ce Petit Lord Fauntleroy » ne s’en souciait pas le moins du monde.
Il avait l’air pénétré et totalement perdu dans ses pensées.
Aurais-je voulu inconsciemment lui ressembler ?…
Ce bureau était son antre, porte toujours fermée quand il y travaillait.
Il y passait de nombreuses heures chaque jour à peaufiner des problèmes de physique de chimie ou d’électronique pour ses élèves qu’il aimait bien obliger à raisonner et réfléchir, parfois jusqu’à la prise de tête (!).
En retour, il prenait du temps pour corriger en détails leurs copies.
En période d’examens on ne le voyait presque plus sortir que pour les repas.
Ce n’était pas un secret, il y fumait aussi ; c’était le seul endroit où il y était autorisé par son épouse que la cigarette insupportait et qui refusait la moindre odeur de tabac froid dans tout le reste de la maison ; et puis pour les enfants tout de même !
La lecture occupait une grande part de ses loisirs ainsi que la musique classique (surtout Schubert) ; par contre il détestait l’opéra que son épouse adorait et qu’elle écoutait dans le salon à ses heures perdues…aussi rares que les siennes.
Son studio, ainsi qu’il l’appelait en fait, était également la pièce où nous étions « invités » à l’heure des mises au point destinées à vérifier l’apprentissage de nos connaissances en maths physique et chimie.
Malheur à celui qui ne comprenait pas assez vite !
Et inutile de faire semblant au risque de se faire systématiquement piéger à la première question suivante.
L’exercice pouvait virer à la torture psychologique quand lui venait par impatience d’impressionnantes poussées de colère ; un poil soupe-au-lait le bonhomme !
Il faisait vraiment peur alors qu’il n’aurait jamais levé la main sur l’un de nous.
Mais les murs du studio paraissaient presque autant trembler que ceux qui avaient le sentiment de se faire remonter les bretelles.
Je jetais un coup d’œil à la dérobée au Petit Lord qui ne se rendait évidemment compte de rien.
La table basse en verre sise aux pieds des fauteuils subit un jour un terrible malheur.
Un grand maladroit eut la mauvaise idée de s’asseoir sur un bord et…crac plus qu’un tas de !
La colère s’abattant sur le coupable fut phénoménale ; il doit encore se souvenir de cet épisode marquant de son enfance, sauf s’il est déjà mort.
Bien sûr le tapis fut vite débarrassé des débris et ne demeurèrent que les pieds durant plusieurs jours ; étrange vision.
La table de verre fut remplacée à l’identique, taillée sur mesure.
Qu’est devenue la bibliothèque installée contre le mur faisant face au tableau ?
Elle avait une particularité : une planche de bois coulissante que l’on pouvait sortir de sa cachette pour se transformer en petit bureau…à condition d’y travailler debout !
Très pratique pour surveiller du coin de l’œil celui qui avait été mis là -quasiment au piquet- pour refaire des exercices qui venaient d’être réexpliqués ; hum…
Qui était-il cet homme qui avait lui-même choisi cette peinture d’enfant ?
L’histoire ne le dit pas.
Sorti de son studio on ne sait rien de lui et pas davantage de sa femme.
Où vivait-il ?
A-t-il survécu lorsqu’il a dû prendre sa retraite ?
Sans doute est-il mort depuis longtemps laissant la peinture exprimer l’âme d’un jeune rêveur.
A moins que « le Petit Lord » ne soit sorti du cadre en quatrième vitesse avant la vente de la maison ou sa démolition…pour aller faire sa vie ailleurs.
Dans d’autres circonstances cet homme aurait pu être mon père.
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