Ça n’arrive pas qu’aux autres
Posté par BernartZé le 5 octobre 2017
Un ver dans le potage
Que s’est-il soudain passé à l’instant du séisme ?
A-t-on entendu un craquement sinistre, le bruit d’une explosion souterraine ou alors assisté à un immense déchirement du ciel ?
Non tout ça était impossible, cette chose-là ne concernait que lui et personne d’autre.
Le reste du monde n’en avait rien su et heureusement subi aucune conséquence fâcheuse.
Il serait resté bouche bée s’ils en avaient parlé au journal télévisé.
Toute sa vie il n’avait demandé qu’une seule chose : vivre en paix et le demeurer le plus longtemps possible.
Ce n’était tout de même pas une attente extravagante dans l’existence.
Il n’avait jamais rêvé devenir riche et célèbre, ni espéré gagner un jour au loto (encore eut-il fallu jouer) ; il n’avait même pas recherché « la femme de sa vie » et aucune n’était venue le trouver.
Il avait simplement été un petit fonctionnaire gratte-papiers, un anonyme au milieu de tant d’autres.
Et c’était très bien ainsi.
Ses voisins d’immeuble ne le connaissaient pas, pas même ceux de son étage.
Il se cachait parfois pour ne croiser personne et évitait toujours de prendre l’ascenseur si quelqu’un s’y trouvait ; il préférait faire semblant de vérifier sa boîte aux lettres et attendre que la cabine redescende.
Pas sauvage, mais tout comme.
Il sortait peu, juste pour le strict minimum et ne partait jamais en promenade, ça l’ennuyait de marcher inutilement.
En fait il préférait largement passer son temps confiné chez lui à lire ou à écrire.
Un jour il commença à se sentir un peu bizarre.
Sa vision se troublait par intermittence et sa main pour écrire paraissait mal assurée.
Il mit ça sur le compte d’un peu de fatigue et se coucha plus tôt que d’habitude.
Mais deux jours plus tard il se sentit faible et une de ses jambes faillit se dérober et le faire tomber.
Il prit de l’aspirine et attendit quelques jours avant de consulter pensant avoir attrapé un virus dans un lieu public.
On l’ausculta le palpa l’interrogea.
Puis vint la prise de sang vite suivie par d’autres examens de plus en plus poussés.
Entre temps sa vue avait baissée et il peinait pour lire correctement.
Et le verdict tomba : ce n’était pas un virus mais une sclérose en plaques.
A cette annonce il fut prit de vertiges et son ciel s’assombrit.
Il en avait bien sûr entendu parler mais n’en savait presque rien.
Un médecin lui expliqua calmement la maladie et son évolution à court moyen et long terme.
Il lui parla aussi de traitements et de soins susceptibles de le soulager.
Il ne retint qu’une chose : un jour ou l’autre il ne marcherait plus et serait condamné au fauteuil roulant.
Son monde venait de s’écrouler sur lui.
Les jours suivants il les passa à s’observer et à noter chaque changement, chaque trahison de son corps même le plus infime.
La liste s’allongea au fil des semaines et des mois.
Jour après jour il réfléchissait immanquablement à son futur hypothéqué.
Il pourrait très bien mourir d’une infection respiratoire ou d’une maladie opportuniste bien avant de finir en fauteuil.
Que préfèrerait-il ?
Pour lui en dehors de l’issue fatale sur roulettes, tous les maux semblaient se valoir à partir du moment où sa vie avait déjà changé.
Il ne pouvait plus vivre en paix et les jours d’angoisse se faisaient plus nombreux.
Sa vision parfois devenait trop trouble pour pouvoir lire ou écrire.
Alors il se couchait en s’efforçant de ne pas rêver, se contentant d’espérer que le lendemain serait une journée plus favorable.
Ainsi serait désormais partagé son temps, balançant entre espoir et désespérance.
Incapable de prévoir quelle nouvelle surprise viendrait le cueillir, il avait bien du mal à rester philosophe.
Parfois sa situation le faisait suffoquer au point d’éprouver de grandes difficultés à respirer.
Oui le ver était dans le fruit et lui serait de plus en plus souvent dans le potage…
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