Sur ton cou
Il faisait chaud, il faisait froid en cette pleine nuit de plein été.
Nul courant d’air, mais de quoi songer à ressortir du placard ton chèche 100% coton, aussi réchauffant que rassurant.
Le soleil, depuis longtemps couché, avait quitté les lieux et si la nature pouvait paraître hostile, elle n’avait rien de désertique.
Le chocolat avait -très légèrement- commencé à fondre, tendance Nutella, mais tu n’en finissais pas d’hésiter à t’enrubanner le col de ton foulard, façon Isadora.
En long, en large et en travers, ma gorge avait eu, cette nuit-là, le temps de se nouer au fil des heures, comme au cours des années passées ensemble à nous chercher.
Un autre soir, à la belle étoile, nous avions réellement eu peur de ne pas réussir à nous trouver.
Pas question de dormir sur cette plage étrangère ; plutôt nous reposer en restant vigilants.
Pas de danger à l’horizon, pas de quoi nous sentir vulnérables.
Et pourtant nous l’étions, vis-à-vis l’un et l’autre.
Au jeu du chat et de la souris, nous n’en finissions pas de perdre le peu de terrain gagné l’instant d’avant.
Les silences pesants, toujours faciles à dénoncer, n’étaient pas les seuls responsables.
Tu m’avais prévenu : « Je ne sais plus où j’en suis » ; du coup, je savais de moins en moins comment t’aimer encore quand tu semblais en fuite.
A défaut de pouvoir commander à ses sentiments, on apprend parfois à les taire. Et à force de se faire léger, on se retrouve soudain sur la pointe des pieds, au risque de se mettre soi-même en pointillés.
Le désengagement était enclenché.
Au lointain, sur le sable, le son d’un harmonica commençait sérieusement à me chatouiller l’hémisphère gauche.
Passées deux minutes trente, difficile d’endurer l’attaque frontale que cet instrument de musique opère généralement sur un système nerveux ; même le plus équilibré de tous finit par se sentir vitriolé.
Ce fallacieux (!) prétexte me donna envie de larguer les amarres et de rompre le silence de cette nuit prête à se rétamer.
Au-delà du supportable, à quoi bon persister à demeurer sur la photo ?
Je ne pouvais cependant pas envisager de m’effacer…
Non contente (?) de ne plus entrevoir notre avenir commun, tu t’apprêtais à partir sans (presque) plus de remords que de heurts.
A moi d’accepter ta décision, alors qu’elle était improbable à mes yeux.
C’est ainsi que tu m’avais conté ta dérive, celle de tes sentiments, et celle de tes humeurs.
Un coup de sang, un coup de tête pour un bel hidalgo ?…
Mieux, une vraie rencontre ; pire, ta propension à « bovaryser » et tes élans qui t’avaient déjà emmenée loin de nous.
Souvenirs de jeunesse, rêves marqués de l’enfance…?
Toujours était-il que ton romanesque semblait t’inciter à une fuite en avant, afin de compenser, sans doute, l’insatisfaction éprouvée dans ta vie, dans la nôtre.
N’y étant certainement pas pour rien, mais ne me trouvant pas être davantage le bon Docteur Freud que Lacan ou l’un de leurs collègues de travail, je me suis égaré, un temps, dans le labyrinthe de tes rêves comme dans celui de tes passions.
Eperdu pour perdu, et franchement plus à un modèle de grille-pain près (les nôtres ne vivaient jamais plus de deux mois !), je ne résistais pas désormais à l’envie de désintégrer nos petits-déjeuners, de plus en plus sinistres, qui n’auraient pas été plus électrocufiés avec une théière intégrée !
Que d’eau dans le gaz…
L’électricité de l’air que nous nous forcions à respirer encore provenait d’un courant continu ; étouffant.
Comment envisager un supplément d’avenir ?…
Cette nuit-là sur le sable nous étions particulièrement beaux à voir : une sirène en détresse et son triton échoués !!
La scène, un brin irréelle, relevait autant du pathétique que du comique de situation.
Sans le savoir, ce qui nous éloignait nous rapprochait aussi.
Au lieu de nous laisser aller à agoniser à l’air libre, nous luttions chacun pour ne pas mordre définitivement la poussière.
Beaucoup trop de coques et de couteaux dans ce sable croquant !
Et pas vraiment l’envie d’en finir aussi vite.
En partage, nos culpabilités respectives et notre sens du ridicule que nous ne pouvions pas faire semblant de négliger, malgré le déni.
Sans le savoir (bis), nous nous apprêtions à passer toute une saison en enfer qui durerait plus d’un trimestre.
Après coup, après tout, cela semble si dérisoire de revenir sur un passé que tu as oublié.
J’imagine qu’aujourd’hui tu ne songes plus à ce temps révolu ; tant mieux.
Tandis que l’araignée tissait sa toile, mon cerveau se laissait progressivement envahir par de méchantes humeurs.
Le terrain grignoté étant déjà propice à se laisser corrompre, il fut difficile pour moi de ne pas m’abandonner à ma rancœur. Atteint d’un cancer, je me serais sûrement mieux porté. Voilà bien toute la subtile bêtise d’un être dans la peine.
Je connaissais la tienne et ta prédisposition à te charger de tous nos maux.
Mais ce n’était pas toi que l’on s’apprêtait à abandonner ; je m’efforçais pourtant de ne pas en faire un drame…
De là ma fâcheuse tendance à relativiser, en filant tout droit vers une dépression tue et bien dissimulée.
Un conseil : à éviter !
De même, mieux vaut ne pas trop se complaire dans sa douleur et ne pas se laisser subjuguer par les sirènes du renoncement.
Celles du ressentiment étant -aussi- souvent mal venues, je me trouvais momentanément dans une impasse…
Et puis, contre toute attente, tu te transfiguras.
Sans explication, tu donnas l’impression de revenir en arrière, comme prise de remords ou dépassée par tes tourments.
Trop de souffrances et d’états d’âme peut-être ?…
Tu nous revins, tout simplement.
Je ne te demandai rien, ne me sentant pas le droit de te questionner plus que tu ne l’avais fait toi-même.
D’autres années passèrent, apparemment sans dommages.
Evidemment le compte-à-rebours était bel et bien enclenché.
Un brouillard à couper au couteau finit pas nous tomber dessus sans crier gare.
Le temps était venu de nous rendre des comptes ; nous ne pouvions plus éviter les justifications d’usage.
Il serait vain aujourd’hui de reprendre en détail le fil de notre « désalliance ».
Ce fut long, ce fut court ; en bref, ce fut douloureux.
Jusqu’à cette nuit estivale où tu as eu trop chaud et trop froid à la fois.
Au point que j’ai songé à t’offrir l’un de mes lungis indiens (aussi seyants autour de la taille que du cou) en guise de cadeau d’adieu.
Attachante petite bête que cette vulgaire étoffe de coton ; même ce choix-là te parut cornélien !
Le chocolat avait fini de fondre ; tout juste bon à se faire ramasser à la petite cuillère.
Dire que notre séparation fut juste malheureuse serait un euphémisme.
Mais elle devait se dérouler et nous fûmes bien obligés d’y faire face.
Sans nous résigner, sans trop de reproches (quelques inévitables griefs bien sûr !), sans tambour ni trompette, nous dénouâmes nos derniers liens, sans nous retenir plus que de nécessaire.
C’est ainsi que nos chemins se décroisèrent : posément, en apparence, alors que je souffrais mille feux inutiles ; ton départ était déjà consommé et il n’aurait servi à rien de m’entêter.
Dans la magie des derniers instants, je crus apercevoir…
J’ai certainement rêvé.
Revenus d’assez loin, mais revenus tout de même, nous aurions pu penser que notre histoire avait duré deux fois plus longtemps que prévu.
Etait-ce écrit ?
J’en doute ; mais sait-on jamais ?…
What a wonderful life !…celle où l’on parvient à se détacher de l’autre sans se défaire entièrement.
Personnellement j’ai eu du mal à nous quitter, alors qu’il s’agissait simplement d’apprendre à rompre avec un pan de (ma) vie.
Une fois nos murs tombés, j’ai compris que je perdais mon temps à vouloir ressusciter un passé révolu.
Tu l’avais réalisé bien avant moi.
Comme nous avions tous deux feint la légèreté avant de nous en aller, tu m’avais lancé : « Si je meurs, je te téléphone ! » ; tu ne m’as jamais rappelé.
Tant mieux…
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