
La dictature du souvenir
(subtils détours)
Il suffit parfois de presque rien pour que remontent des images et des fantômes du passé.
Rien ne se perd tout se recycle semble-t-il ; notamment grâce aux internautes obsédés par l’idée d’informer de leur existence l’humanité entière en semant des traces un peu partout tels des incontinents des réseaux sociaux.
Ils se racontent se « selfient » et s’auto-promeuvent à tout va pour se mettre en valeur ou (peut-être ?) apaiser quelques angoisses.
Être en vue pour (se) prouver qu’ils existent et qu’ils sont nés pour de bonnes raisons, à savoir jouer un rôle important ici-bas.
Les personnalités publiques ont de tous temps montré la voie, qu’ils soient artistes politiques ou criminels ; certaines interférences entre ces catégories ne manquent par ailleurs pas de sel (!).
Pour les individus lambda le besoin de reconnaissance est souvent tel qu’ils ne peuvent se contenter -comme autrefois- de passer à la télé ou de faire la une des journaux.
Il leur est indispensable de se mirer dans les regards si possible admiratifs du plus grand nombre.
Se paître et se repaitre du sentiment de leur importance devient vite une addiction.
En guise de preuves ils s’abreuvent de chiffres qui sont supposés être les indices de leur notoriété grandissante.
Qu’il s’agisse de « like » (l’image du pouce levé
correspond-il au verdict des arènes romaines ?) de « followers » (toujours en alerte) ou de « retweets » copiés/collés machinalement à l’infini, tout est bon pour prendre la mesure de sa part d’audience au cœur des médias.
Jusqu’à l’excès l’overdose et le suicide parfois.
En gage d’estime d’affection voire d’amour ils se contentent de signes de messages ou de déclarations écrites (non sans fautes de grammaire et d’orthographe
) généralement dépourvues d’argument.
Un temps rassurés, leur quête sans fin doit reprendre sans tarder.
L’inquiétude de perdre l’attention des suiveurs est omniprésente, dévorante, obsessionnelle.
La lumière peut s’éteindre à tout moment et d’autant facilement que la renommée est faite de vent.
Le filtre de la toile est un voile qui leur cache la vérité de ce qu’ils ne sont pas.
L’anonymat permet tous les mensonges, toutes les flagorneries toutes les supercheries.
Il est plus de oisifs que de surfeurs en mer.
Et c’est ainsi que l’on découvre un jour par hasard sa bobine sur une vieille photo de classe dont on ne se souvenait même pas.
Troublant, un brin perturbant…d’autant plus que l’on se reconnaît à peine faute de ne pas avoir consacré toutes les années passées à se regarder dans le miroir.
A la loupe on scrute on observe on cherche à se souvenir.
Que font donc là ces têtes inconnues, celles qui ne disent strictement plus rien ?
Et lorsque l’on se rappelle seulement sept ou huit noms des camarades d’autrefois, l’alerte Alzheimer semble devoir être lancée !
La question immédiate « que sont-ils tous devenus ? » laisse rapidement place à celle qui interroge sur les raisons qui font que certains se sont finalement avérés plus mémorables que d’autres.
Est-ce une question de personnalité ou d’affinités d’alors ?
Nathalie Jérôme Christine Marc Frédérique Bertrand Bruno Suzette (…j’ai un doute) je ne vous avais apparemment pas totalement oubliés.
Ne pas se fier à l’apparente véracité d’une photo détournée…

(© 2017/droits réservés)