Fatigues

Posté par BernartZé le 18 mai 2017

Laissez-moi seule !  (par George Barbier, 1919)

Laissez-moi seule

            

            Si seulement

 

     Serais-je lasse des départs et des défections, des adieux et des désaffections ?

Les fuites et les soustractions se sont ajoutées au fil des années finissant par rejeter une vie dans l’ombre.

J’y joue avec mes papillons et mes oiseaux Dans la pénombre.

 

     Qu’en est-il des relâchements humains ?

Ces êtres s’enflamment vite, à l’excès parfois, et le plus souvent l’exaltation ne dure que quelques saisons.

L’enthousiasme retombe tel un soufflet.

La négligence ouvre sur le vide laissé par les amants et les amis.

Qui étaient-ils pour prendre tant de place dont la mesure n’apparaît que tardivement ?

Une place offerte par l’attente.

Quand il est désormais inutile de s’accrocher telle une championne en herbe jupette au vent Chris Evert à 16 ans (1er US Open, 1971) mieux vaut savoir s’effacer.

Alors on se fait rare, sortant de moins en moins, quitte à frôler l’enfermement, barricadée entre quatre murs.

Face à un monde sans saveur ni passion l’envie se tarit faute de pouvoir remonter à sa source.

Mieux vaut l’indifférence -même feinte- à l’amertume.

 

     La déception est sur les lèvres qui se déforment un peu pour étouffer le cri.

Pourquoi tant d’espoirs contrariés ont-ils mené à cette désillusion et à ce désenchantement absolu ?

Serais-je devenue folle de douleurs rentrées, de trop de pertes et de mensonges entretenus dans ma solitude ?

Le courage me manque.

 

            I (just) want to be alone…mais ne me croyez pas trop.

 

  

''Grand Hotel'' (1932) 

(© 2017/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

Quel grand malheur !

Posté par BernartZé le 16 mai 2016

Fenouil

Le drame absolu

  

            C’était l’hiver.

 

     Le froid était certain tout au nord de là-haut comme à l’extrême ouest d’un pays ravagé par des vents contraires et malvenus.

Le soleil qui ne brillait pas par son assiduité n’y pouvait rien depuis longtemps, ayant même renoncé certains matins à se lever.

Alors évidemment, de retour du dehors où il s’emmitouflait Emmitouflé pour supporter l’épreuve, il rêvait de trouver un peu de chaleur.

Dedans l’humanité ayant déserté son lieu de vie, il se collait au radiateur Vieux radiateur hydraulique sitôt dévêtu, allant jusqu’à glisser ses mains entre les tubes dans l’espoir de les réchauffer.

C’était un peu mieux sans pour autant lui permettre de sentir monter en lui les bienfaits d’une source calorifère plus très jeune et souffrant de problèmes de circulation.

Son métabolisme n’était pas davantage fiable depuis qu’il avait perdu en trois mois la moitié de son poids, quitte à basculer dangereusement dans un état de dénutrition pouvant le mener tout droit aux urgences de l’hôpital du coin situé à environ cent-cinquante kilomètres de chez lui.

Il s’en fichait, obsédé par son envie de se refaire une beauté, comme du temps où il était jeune…et pas spécialement beau.

 

     Sa recette secrète était d’une grande simplicité : il ne mangeait que des feuilles de fenouil, sans assaisonnement bien sûr, directement sorti du réfrigérateur ; un authentique délice en plein cœur de l’hiver !

A hue et à dia armé de son couteau à même la planche de bois Feuilles de fenouil il s’échinait à trancher pour préparer son festin.

Puis assis, trois couches de fausse laine sur le dos (deux pulls et un gilet) il prenait tout son temps pour mâcher en s’efforçant de ne pas grimacer ni frissonner.

C’était délicieux, un véritable régal !

Certes, flottant dans ses vêtements, il ne ressemblait plus à rien, mais l’important n’était-il pas d’avoir atteint l’objectif qu’il s’était fixé ?

Le soir de son premier malaise, se réveillant à même le sol, il eut un léger doute sur la méthode employée.

Quelques médecins le prirent pour un fou au point de vouloir l’interner de force.

Il leur sut gré de leurs bons conseils et s’en retourna chez lui parfaire sa condition physique et son procédé (jamais officiellement déposé).

Pour retrouver un peu de goût et de vigueur -il s’autorisa de temps en temps des cèpes piochés à même le bocal Bocal de cèpes ; bien égouttés sans plus de kilocalories, c’était une bonne alternative.

Et après un détour de quinze secondes par le micro-ondes il pouvait enfin manger chaud.

 

            A trente-et-un ans il était fier d’avoir réussi à supporter l’épreuve du miroir en pied, malgré la nécessité de marcher désormais avec une canne sur laquelle s’appuyer dignement dans la rue.

 

     Il déteste désormais le goût de l’anis.

 

  

Anis vert  Canne en bois

(© 2016/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

C’est l’été…

Posté par BernartZé le 18 août 2015

Les Hasards heureux de l’escarpolette (Fragonard, 1767)

Tous s’en balancent

  

            Il fait beau il fait chaud…

 

     Dans les parcs ou les sous-bois se trouve encore de la fraîcheur.

Tandis que certains partent à la cueillette des Champignons des bois d’autres batifolent et prennent l’air, poussant nonchalamment l’escarpolette Raphael Kirchner (1910).

 

     « Poussez, poussez l’escarpolette

     Poussez pour mieux me balancer !

     Si ça me tourne un peu la tête,

     Tant pis ! Je veux recommencer. »

 

     Entre sérieux et gravité se balancent les soupirants, l’un peut être un brin moqueur tandis que l’autre se prend au jeu tout en arborant une apparente légèreté.

Tiens un cèpe Cèpe de Bordeaux malencontreusement écrasé sous le pied ; mais tous deux s’en balancent.

On folâtre sous le chêne Chêne (forêt de Brocéliande) pour le plaisir de se sentir vivant.

La gaité et la grâce sont de mise et personne ne songerait à prendre l’autre au sérieux.

 

            Et pourtant…

Combien de promesses lancées à la légère dans l’ombre de la lumière ne seront-elles pas tenues ?

 

 

''Véronique'' d'André Messager (1898)

(© 2015/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

Hommage implicite…

Posté par BernartZé le 7 juillet 2015

2046 hôtel

En 2046…

  

            Je serai seul, je ne serai plus ou sur le toit d’un autre monde.

 

     J’espère ne plus être alors mais dans le cas contraire -s’il me reste quelques muscles- que me soit offerte la possibilité de danser sur le bord de ma tombe Toujours tenir ses promesses.

Sur le rythme saccadé d’une vie massacrée je retournerai -malgré moi- sur les lieux du crime originel et j’entendrai les murmures de quelques témoins survivants qui tous en chœur applaudiront.

Et tout le monde rira ; si certains venaient à grimacer Tête grimaçante (Franz-Xaver Messerschmidt) de mauvaise grâce, qu’ils prennent…un laxatif ou la direction d’un autre cimetière !

 

     Bague argent, symboles chinois Même si j’ai perdu la bague que tu m’avais offerte un mois après notre rencontre Première rencontre je n’ai rien oublié de nous malgré l’ouvrage de plusieurs décennies.

 

 

            Je t’aimais, je t’aime, je t’aimerai comme disait le poète…

 

2046 (B.O.) 

(© 2015/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

En résumé…en conclusion (?)

Posté par BernartZé le 24 février 2015

Statuette en bronze longiligne (Aphrodite)

I comme…insignes honneurs

(remises de prix)

  

            Me voilà aujourd’hui statufié !

 

     En moins d’une semaine j’ai reçu une ribambelle de récompenses, toutes plus ou moins méritées (évidemment).

Le marathon commença très dignement avec le prix du « meilleur petit vieux qui a mal » Meilleur petit vieux...qui a mal mais qui fait semblant d’être plié de rire ; paradoxalement (ou pas ?) j’ai reçu dès le lendemain celui -très sportif- de la « meilleure plongée en eaux troubles » Meilleure plongée en eaux troubles.

Si j’ai raté de peu le titre du « plus beau ‘’cornu’’ de l’année » Plus beau ''cornu'' et de beaucoup celui du « meilleur père » Statuette meilleur père (faute de descendance), je me suis rattrapé à l’heure de la reconnaissance officielle de mes talents ménagers Compression de couverts en argent (César) !

Cette compression en argent digne de César (et pour cause) m’est allée droit au cœur.

Ces fourchettes ces cuillères qui cherchaient leurs couteaux pour composer une famille…

Un grand moment d’émotion à l’instant du discours ; les mots m’ont quelque peu manqué.

 

            L’ultime trophée Portrait de compression Montres Swatch (le plus lourd et volumineux) reçu au titre de « celui qui est toujours en retard » me laisse encore perplexe.

après terme (!) au mauvais siècle, pédalant comme un beau diable sur mon petit vélo pour arriver à l’école juste avant la sonnerie (idem avec la mobylette au temps du lycée), que de rendez-vous, de métros, et de trains manqués (souvent de peu) !!

Combien de personnes ai-je fait attendre dans des cafés au cours des décennies passées ?

Ce sont elles qu’il aurait fallu justement récompenser.

Le temps élastique, toujours trop ou pas assez ; l’apprentissage de la patience ne cesse jamais.

Je me demande encore ce qui m’a valu cette distinction particulière.

 

     Ce que la vie est ironique et (souvent) moqueuse !

 

  

Oscar logo

(© 2015/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | 2 Commentaires »

Des allées, ah !

Posté par BernartZé le 9 février 2015

Machine à larmes - Philippe Lafontaine (1992)

Pleureuse !

  

            Tandis que Madame rêve... tu inondes la moquette.

 

     En cessant un instant de geindre et de te lamenter tu pourrais deviner l’attente qui l’occupe tout entière Fanny A..

Si tu n’y prends pas garde elle va devenir folle Folle de douleur et de désespoir.

Oublie un court instant ton mal de vivre qui vous empoisonne ; elle saura bien faire taire tous tes mensonges Taire les mensonges si tu lui en laisses le temps.

 

            Une moquette se remplace…contrairement aux sentiments (!).

 

Bashung 

(© 2015/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

La vraie vie (!)

Posté par BernartZé le 3 mars 2014

Jumelles rutilantes barrées

Mon voisin de palier…

(qui n’est toujours pas mort)

           

            …est toujours bien en vie.

     Nul besoin de jumelles dans le théâtre de nos vies distantes et parallèles pour l’entendre rentrer de sa promenade d’une minute et ½, le temps de permettre à son chien (aboyant) de se soulager ; à 23h59 comme à 6h32 la cérémonie semble être la même.

 

     Sans doute est-ce le propre des voisins d’être énervants (horripilants parfois) ; mais pas tous les jours et à de multiples reprises !

Dissipons tout possible malentendu : aucune fenêtre, aucun vis-à-vis entre nous, bien heureusement !

Pas d’espionnite aiguë (par manque d’intérêt avant tout !) d’une part ou de l’autre, mais des atomes fort peu crochus qui flottent en permanence dans un air vicié depuis de longues années.

 

     Difficile d’expliquer ce que l’on conçoit à peine.

Toujours est-il que…c’est comme ça !

Ainsi va la vie : quand on n’aime pas Un franc ''désamour''…on ne compte pas davantage.

 

     L’indifférence la plus neutre constituerait le meilleur des statu quo.

Cette éventualité ne paraît pas à l’ordre d’un jour prochain ; l’envisager relèverait du domaine de l’extravagance ou de la plus pure divagation.

L’un est suffisamment mal éduqué pour généralement ne pas répondre au « bonjour » (juste poli) de l’autre…inarticulé et le regard dans le vague, ce qui, de la part d’un myope, n’a rien de vraiment étonnant.

Des corps se frôlent à distance mesurée…

A chaque croisement de chemins, la température ambiante chute brutalement !

 

     Dans un souci de tendre vers la « paix des âmes », plus précisément celle des voisins Paix, et de normaliser le quotidien, serait-il possible de revenir en arrière afin de se souvenir de l’origine d’une animosité jamais officiellement avouée ni totalement exprimée, encore moins verbalisée ?

Et de creuser Pelle dans le passé mémoriel commun (si peu) à la recherche du premier instant de désaccord ou de la première anicroche.

Comment s’installa ce climat peu propice à la zénitude Zénitude, et cette atmosphère Arletty franchement désagréable (doux euphémisme) ?

Tâche ardue autant que malaisée pour quiconque voudrait répondre, alors qu’il serait tellement plus simple d’oublier.

Le début du commencement de serait-il dû à un tapage nocturne, à des infiltrations aqueuses et parallèles, à un ascenseur non renvoyé, à un chien ou un chat furieusement échappé sur le palier, à un paillasson déplacé d’un coup de pied négligent ou rageur ?…

Ou peut-être, non tout de même pas (!), à une jalousie Pet Shop Boys - Jealousy (1991) née de la découverte d’une liaison dangereuse Une liaison dangereuse immiscée entre voisins ?!

 

     Nom d’une bobine à corde tressée Bobine à corde tressée, tout le monde s’en moque complètement aujourd’hui et dans les grandes largeurs !!

Pas plus que de vieillir nous ne tournerons jamais ensemble Bobine, même pas dans le plus mauvais film !

 

            L’un de nous aura bientôt fini de déménager

  

 

 Déménagement

(© 2014/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | 3 Commentaires »

La vraie vie (!)

Posté par BernartZé le 3 mai 2013

La vraie vie (!) dans La vraie vie (!) oreille-gauche-bis1-87x150

Sur écoute

 

            Seule est née mon oreille gauche.

 

     Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet ; mieux vaut se taire et continuer de prêter une oreille que nul ne rendra.

 

 

autoportrait-a-loreille-bandee-fevrier-1889-150x150 dans La vraie vie (!)

 

 

(dans le miroir)

(© 2013/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

La vraie vie (!)

Posté par BernartZé le 8 novembre 2012

La vraie vie (!) dans La vraie vie (!) hurricane-ivan-bis yaourt-nature-taillefine-150x150 dans La vraie vie (!)

 Hurricane !

                 

            Comme un ouragan ( ouragan-bis1-150x99 ?!) elle est passée par , avec ses quatre pots de yaourt allégé au fond d’un panier à roulette panier-a-roulettes-150x150 vide.

 

     Tel un cyclone tropical empli de rage, elle a fendu l’air en longeant d’une seule traite le rayon des chocolats rayon-chocolats-supermarche-bis1 ; impressionnante !

 

     Pas le moindre regard, pas le plus petit haussement de sourcil.

Un règlement de compte à l’arme blanche et à fleurets à peine mouchetés armes-blanches-bis1 ?…

 

                Fascinant…

 

taillefine-150x150

 

 

(© 2012/droits réservés)

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

La vraie vie (!)

Posté par BernartZé le 8 août 2010

jenniferjonesmadamebovaryvincenteminnelli1949.jpg  lapromenadeclaudemonet.jpg

Elle s’ennuie…

           

            Pas tout le temps de chaque jour.

Suffisamment, cependant, pour en souffrir.  

                        

     Cela tenait souvent à rien, pour ne pas dire à pas grand-chose.

Quand elle prenait un livre, souvent elle se passionnait, puis il finissait -moins de deux heures après- par lui tomber des mains.

Elle s’en voulait tout d’abord, et, de guerre lasse, cessait de s’en rendre responsable.

Après tout, si ce livre n’était pas assez bon…

C’était un peu pareil avec ses autres distractions.

    

     Elle avait, par exemple, commencé bien des puzzles et n’en avait jamais fini aucun.

A chaque fois, ramenant un nouveau sujet méticuleusement choisi, elle rentrait chez elle pleine d’espoir et d’impatience.

Elle prenait le temps de s’installer sur une table assez grande et de choisir la musique adéquate (Schubert et Mozart avaient ses faveurs lors de cet exercice).

Après s’être munie du support en carton taillé aux dimensions précises (pour un puzzle de 2000 ou 3000 pièces, mieux valait être bien équipée), elle commençait à faire le tri.

Mettre de côté les quatre angles et « les bords », puis, en fonction de la photo (image, peinture, dessin…), sélectionner les pièces d’un ciel plus ou moins bleu et nuageux, celles de « la verdure », ou de la mer, de la neige, de la montagne ou du drapé d’une robe.

Elle faisait plein de tas qu’elle finissait par abandonner là au bout de plusieurs jours ; et la poussière tombait.    

                     

     Même son enfant n’avait pas manqué de l’ennuyer en de moins de sept années.

Le genre de chose impossible à avouer pour une mère ; et pourtant…!

Passé le temps des biberons, des couches et des premiers babillages, elle avait eu du mal à maintenir son attention.

Elle avait donc fait semblant, et personne d’autre que sa fille ne s’en était rendu compte.

Tout en l’aimant, elle ne pouvait s’empêcher de trouver qu’elle prenait trop de place dans sa vie, simplement parce qu’elle en était responsable, alors qu’elle s’en serait bien passé.

A quinze ans, l’idée de la maternité l’avait bien taraudée, mais cela n’avait pas duré plus de deux ou trois saisons.

Quand, une fois mariée, quelques années plus tard, elle était tombée enceinte, elle s’était dit que cela faisait fatalement partie des aléas de l’existence.

Lorsque l’enfant parut, elle improvisa, jusqu’à ne plus en éprouver l’envie.

Elle se sentit alors manquer de force ou de courage et de toutes les autres qualités que les mères sont censées posséder.

Alors, elle avait commencé à dériver un peu. 

    

     Le nez presque collé à la vitre de sa chambre, elle pouvait passer des heures à regarder et écouter la pluie tomber.

 

                               pluie.jpg 

Et elle tombait, souvent, dans sa trop verte région de Normandie.

De son côté, sa fille grandissait sagement, la dérangeant le moins possible, jouant ou peut-être bien rêvassant aussi.

L’instinct maternel de plus en plus éteint et le moral en berne, elle ne manqua pas de s’offrir une petite dépression hivernale qui dura un peu plus d’une saison.

Son mari s’inquiéta, quand il en eut le temps, et lorsqu’il remarqua les traits singulièrement tirés de sa chère et tendre.

Il voyageait beaucoup, à l’étranger souvent, et n’avait pas tout à fait conscience de l’état critique de sa femme, accaparé qu’il était par son travail, qui l’abonnait à un absentéisme confiant.

Passées les premières années du mariage, étant assuré de ses sentiments et de ceux de son épouse, il n’avait pas de raison de craindre ce que tout mari peut redouter, exceptés les suffisants et certains inconscients.

Et tandis que sa carrière prenait de l’élan, son allant n’en finissait plus de lui donner des ailes. 

    

     Un beau matin, où il ne pleuvait pas, elle ne voulut pas se lever.

En panne sèche d’envie, pas même celle de continuer à sauver les apparences, ne serait-ce que pour sa fille.

Simplement trop lasse pour poursuivre sa route déjà toute tracée.

On fit venir un médecin qui voulut la faire hospitaliser.

Elle refusa.

Bien qu’alarmé par l’état général de sa patiente, il ne put que la convaincre d’accepter son ordonnance.

Elle prit le pli d’avaler une petite pilule tous les matins en buvant son jus de pamplemousse.

La pilule se révéla plus amère que prévue quand elle réalisa son effet…« désappointant ».

Au lieu de lui faire voir la vie en rose (malgré une teinte vert pâle), elle l’incommodait systématiquement.

Son système gastrique ne la supportant pas, elle dut se résoudre à s’en priver, sans réel regret et sans en informer le médecin.

Elle avait quand même perdu treize kilos en trois mois, alors qu’elle n’en avait nullement besoin.

S’ensuivit une longue et douloureuse période où tous ses membres la torturèrent, où tous ses muscles -ceux qui lui restaient- appelaient à l’aide, à la rescousse, asphyxiés et amenuisés.

On la soigna, la gava, l’aidant à reprendre sept kilos lors des huit mois suivants.

Elle put enfin se relever seule de sa baignoire sans se mordre les lèvres, juste pour retenir un cri de douleur.

Alors qu’elle se déplaçait à nouveau chez elle sans trop souffrir, ses côtes flottaient encore sous sa chair.

De temps en temps, pour se distraire, elle s’amusait à les recompter par paire de une à douze, puis à rebours.

Retrouvant une certaine autonomie domestique, elle émit le vœu de sortir se promener ; dans le jardin, d’abord, où le printemps accomplissait nouvellement son miracle annuel, puis au-delà.

Elle s’offrit quelques promenades avec sa fille, toujours aussi patiente et muette et adorablement discrète.

Sa mère lui revenait et avec elle l’espoir de moments d’abandon et d’élans de tendresse. 

    

     Cette embellie ne dura qu’un temps.

Celui de retrouver ses marques, ses habitudes, puis de s’ennuyer à nouveau.

Mortellement !

Et ce mortel ennui lui donna des idées.  lennui.jpg

Au fur et à mesure qu’elle le sentait s’appliquer à coller aux parois (sans oublier les sous-pentes) de son cerveau, elle se mettait à songer à toutes celles, bien avant, qui l’avaient trompé, d’une manière ou d’une autre.

La lecture, puis les puzzles ne l’avaient pas satisfaite, ni la musique, ni les balades, ni son enfant, ni rien ni personne, ni son époux toujours en partance ou sur le point de rentrer.

On lui suggéra de prendre un amant.

Un amant ? Pour quoi faire ?

Et puis où le trouver et comment le choisir ?

Et s’il se révélait rapidement plus encombrant que son propre mari, tout en étant plus ennuyeux ?

Finalement trop à perdre et bien trop fatigant pour un esprit comme le sien !

Et ce n’était pas de cela que son cœur était privé. 

    

     Dans un excès de lucidité, un jour elle comprit qu’elle n’avait jamais cessé d’avoir besoin de se sentir utile ; telle la plupart des êtres humains, en somme.

Ses parents l’avaient élevée et aimée, comme s’ils avaient pratiqué une activité sportive supplémentaire.

Un homme l’avait épousée.

Sa fille, tout en grandissant, patientait toujours.

Si seulement son instinct maternel avait su perdurer !

Au lieu de se sentir pleinement fille, épouse et mère, elle ne percevait que le vide d’une vie en perpétuel devenir.

Or, elle n’avait plus vingt ans, et sa trentaine était largement entamée.

Elle devinait confusément des tas d’urgences, sans savoir y remédier.

Et le manque de discernement risquait bel et bien de devenir aujourd’hui sa plus grande faiblesse et de la mettre définitivement en péril.

    

     Comment tromper l’ennui, sans se tromper soi-même ou se mentir, ni se fourvoyer encore ?

Elle avait toujours été solitaire et, de tous temps, cela lui avait paru illustrer son état naturel.

Impossible, cependant, de se vouer aux autres en restant dans son coin.

Et puis, sans le faire exprès, elle retrouva les premiers cahiers de son « journal intime » qui n’avait rien de personnel, ni de passionnant, mais qui lui rappela qu’elle avait aimé écrire, comme ça, au fil de la plume.

Peut-être l’envie de raconter des histoires, voire d’en inventer ; qui mieux que des enfants pour se laisser conter ?

Elle s’essaya dans cet exercice et se surprit non seulement à y prendre grand plaisir, mais surtout à se relire sans éprouver l’irrépressible envie de tout déchirer d’un grand geste.

Elle travailla, elle y prit goût, écrivant trois histoires en l’espace d’un sommeil qu’elle s’était refusé de bonne grâce.

Quelques jours plus tard, après diverses corrections, elle avait pris son élan pour proposer à sa fille la lecture de l’un de ses contes.

La surveillant, pour la toute première fois, du coin de l’œil, elle l’avait vue attentive et apparemment captivée.

Une vraie découverte, pour l’une et l’autre ! 

    

     Que pouvait-elle attendre de ce premier test encourageant ?

Quels espoirs raisonnables lui était-il permis d’entretenir ?

Elle ne manqua pas de se rêver écrivain, tels George Sand, Maupassant, Balzac ou Flaubert, publiant au fil des ans des contes, des nouvelles et des romans qui deviendraient intemporels.                                     

           

            Et puis, décidément…non !

Elle continua à écrire, elle continua à essayer, manqua d’inspiration, mais voulut s’entêter.

Elle le fit si bien qu’elle finit par s’écœurer toute seule.

Puis le dépit et la désillusion ; la lassitude lui revint de plus belle.

Et son cortège d’ennui ne tarda pas à la rattraper en pleine gloire mornée !         

    

     Aux dernières nouvelles, elle cherchait encore à se divertir en apprenant à se tirer les cartes.

Bientôt, elle saurait enfin ce que l’avenir lui réservait…

 madamebovaryclaudechabrol1991.jpg

(© 2010/droits réservés) 

Publié dans La vraie vie (!) | Pas de Commentaire »

12
 

60 millions de cons somment... |
riri1524 |
Le Plateau Télé de KeNnY |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Soft Liberty News
| t0rt0ise
| Bienvenue au Thomaland