Poèmes d’amour et de sang
Trois-quarts de siècle avant les lignes dédiées à Max Ernst par Louis Aragon -quel copieur celui-là !- a été publié un petit fascicule de vingt-cinq poèmes, un par page.
Le titre « Poème de sang et d’amour » commis en 1946 par Aragon n’est que pur plagiat sous couvert d’inversion de mots.
Son sujet surréaliste n’ayant rien à voir avec l’œuvre de Paul Cézan il est pardonnable en regard de l’histoire de la littérature ; mais qu’on ne l’y reprenne pas (mort depuis quelques décennies les risques sont toutefois limités) !
Le pauvre Cézan (rien à voir avec un peintre célèbre) n’est pas passé à la postérité, c’est le moins qu’on puisse dire.
Publiés d’abord à compte d’auteur puis par une petite maison d’édition suisse, ses vers ont sombré dans l’oubli.
Seule demeure en témoignage de ses amours contrariées pour Suzanne une statue (sorte de piéta sans enfant) ; œuvre de Paul Cabet son ami le plus proche.
Des vingt-cinq poèmes il n’y a étrangement que deux titres à retenir : « Je t’aime » et « Je te hais » ; alternés d’une page à l’autre, Cézan a de toute évidence cherché à exprimer la complexité d’une relation amoureuse aussi violente qu’impossible.
Suzanne et lui s’aimaient sans jamais se comprendre dans le même moment.
Apparemment, faute de certitude ou de traces écrites, elle était -parfois- la plus indifférente.
D’où la souffrance réitérée d’un poète démuni en mal de mots.
Leur relation ne dura que six années au cours desquelles il écrivit ce recueil énigmatique inclassable et parfois bouleversant.
Chaque poème était constitué de seulement cinq lignes.
Un choix certainement formel.
Ces lignes relevées :
« Je ne te comprends plus
Mais c’est plus fort que moi
Aimer condamne et tue
Et pourtant mon émoi
Jamais ne m’a repu »
Pas terrible ni très original ?!
Pas de quoi tomber à la renverse ou envoyer un bouquet de fleurs en urgence à sa dulcinée.
D’amour peut-être mais dans quelles veines le sang a-t-il coulé ?
Pour appréhender l’intention du poète il faudrait pouvoir lire les vingt-quatre autres pages qui justifient le crime de lèse-poésie apparent.
Seul l’ensemble de l’œuvre révèle le sang coulé.
Page après page les sentiments se tendent s’expriment se défient et se meurent avant de renaître.
De toute évidence c’était plus fort que lui ; il n’a survécu que dix ans à cet amour lâche éperdu.
L’histoire ne retiendra même pas sa mort à trente-neuf ans en tombant de vélocipède…
Il n’y a pas d’amour heureux…
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