Toi (…qui n’est pas né)
Tu aurais des raisons de beaucoup m’en vouloir.
Souvent, très souvent autrefois, j’ai songé à toi.
Aujourd’hui encore, cela peut -parfois- m’arriver.
En vain, évidemment, puisqu’il est trop tard pour l’un comme pour l’autre.
A quoi peut bien tenir une « vie » ?
A une rencontre faite, ou non, au bon, ou au mauvais moment.
A un certain degré d’inconscience ?
A un excès de conscience, au contraire ?(!)
J’imagine déjà certains s’écrier en rétorquant d’emblée : « Quel égoïsme que de ne pas donner la vie ! ».
C’est nier rapidement qu’elle est (d’abord et dans tous les cas !) imposée !
Passons sur les refrains les plus us(it)és du genre « c’est la plus belle aventure du monde » ; « c’est un tel bonheur ! » ; … ; « c’est si adorable ! »
C’est surtout oublier (ou n’y avoir jamais…réfléchi ?!) bien vite qu’il grandira et que, une fois né, le plus difficile restera à faire : c’est-à-dire…l’élever !
Mon enfant…mon fils (ma fille), pense à la douleur, qui t’aura ainsi été épargnée, de naître et puis de vivre.
Toi mon fils, ma bataille…perdue d’avance, tu n’imagines même pas ce à quoi tu auras pu échapper !
Tu ne sais pas l’ascendance, l’hérédité et l’influence qui t’auraient -sans nul doute- marqué à vie !
Tu ignores encore tout le mal que j’aurais pu -involontairement- te faire en te donnant le meilleur de moi-même.
Comme une plante grimpante -avec tuteur(s)- tu aurais eu autant (?) de « chances » de bien que de mal pousser… !
Et ensuite ?
Aujourd’hui tu trouverais aisément tous les mobiles de ce bas monde de m’en vouloir et de me tenir pour responsable de la plupart de tes maux ; d’autres ont pu, avant toi, faire de même !
Mon Dieu ! L’inconséquence des parents ; quelle belle bande d’amateurs (!)
Ainsi, je t’aurai épargné des souffrances inhumaines que tu auras le bonheur de ne jamais connaître.
Figure-toi que ce n’est pas rien.
En cela, je suis…ton bienfaiteur !
Oui, j’ai sûrement bien fait de ne pas pas…de ne même pas pas m’envisager sérieusement père.
Et un patient de moins sur le divan d’un psy !!
A cause de ton ascendance et de ta bonne mauvaise éducation, tu aurais très bien pu très mal tourner : cleptomane, ou alcoolique ; finir drogué(e) et/ou prostitué(e) ; faire bien plus que quatre cents coups, attaquer les petit(e)s vieux (-illes), t’en prendre -qui sait ?- aux caisses de leurs épargnes, aux bureaux de Poste, aux banques (malgré leurs propres faillites !…), et tuer par mégarde, voire délibérément !
J’en ai presque la nausée…
Mais, heureusement, je peux m’en laver les mains (!) en pensant à tout ce qui ne se produira jamais.
A ce grand soulagement, il est temps d’ajouter et de révéler -par souci de transparence- le tout premier (?) péril auquel j’ai voulu -à toutes forces- me soustraire : celui de ne pas savoir…ne pas te mal aimer.
Selon moi (en mon fort intérieur !), tu m’aurais -forcément- été trop ou pas assez attaché !
J’aurais manqué de distance et de discernement.
J’aurais eu toutes les peines du monde à te donner le goût de la liberté et de l’indépendance d’esprit, en m’efforçant de ne pas trop t’influencer, tout en espérant -secrètement- réussir à te transmettre certaines valeurs fondamentales.
Et lors de ton adolescence, savoir vivre -sûrement- ton rejet, d’une manière ou d’une autre…
Des ponts coupés, définitivement, peut-être ; voire dans le pire des cas…
Non ! J’ai trop d’exemples funestes qui me viennent à l’esprit.
Ta mère et moi (n’est-ce pas la formule « consacrée » quand tout commence à déraper ?!) en aurions été marris…
Je n’aurais pas su, je n’aurais pas pu…
Avec l’âge et le temps, il est devenu de plus en plus certain, selon moi, que le pessimisme et la paternité sont cruellement antagonistes !
Et pourtant tant de gens -dits « adultes »- (f)ont des enfants comme ça, sans même y penser !
Avec eux, tu aurais sans nul doute eu ta chance…
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