Monsieur Bovary
Posté par BernartZé le 20 août 2016
Trêve de plaisanterie
Il venait d’avoir dix-huit ans…
Ce jour serait forcément mémorable ; c’est ce qu’il s’était aussitôt dit en se levant ce matin-là.
Il avait mis son réveil pour être sûr de ne pas laisser passer l’heure du changement, celui de la nouvelle ère.
Et à 10h14 précisément il avait presque couru à la salle de bain pour se planter devant le miroir et scruter son image.
Sa moustache avait-elle poussé durant la nuit ?
Son visage s’était-il transformé ?
Le regard planté au fond des yeux il avait essayé de se donner une contenance dans l’espoir de se découvrir autre, un nouvel homme débarrassé des oripeaux de l’adolescence.
Il fut un peu déçu de retrouver des traits qu’il ne connaissait que trop bien, malheureusement.
La journée se passa, ordinaire.
Ses parents partis en vacances sans lui -il avait choisi de rester- l’avaient appelé rapidement le midi avant d’attaquer une randonnée forestière le cœur vaillant (et l’âme fière).
Ses camarades de lycée, bac en poche, s’étaient tous évaporés dans la nature ; le mois d’août était plus que jamais déserté.
Il était allé se promener le long de la plage ; en contrebas les mouettes et les brisants d’un jour un peu maussade en manque de soleil.
Ni gâteau ni bougies à souffler au dessert de cette journée effectivement mémorable…
D’une façon étonnante implacable et régulière tous les « jours J » des mois d’août suivants se déroulèrent à peu près de la même façon ; la mer lui manqua par la suite, ses parents disparus à l’issue d’un crash aérien de haute volée aussi.
Une seule exception, un seul été extraordinaire, celui où il avait connu Fräulein R. Schmitt .
Entre deux Saint Valentin, au beau milieu d’un mois d’août, elle passa dans sa vie ; pas de chance (un grand souvenir) !
Hier, le jour de ses quatre-vingt-huit ans, il s’était souvenu -histoire de se distraire- de Rosanna.
Un groupe en fit même plus tard une chanson pour la célébrer.
Après soixante-dix années d’attentes il avait fini par comprendre qu’il avait toujours beaucoup trop espéré et trop attendu de sa simple vie ; en vain.
La source de bien des désillusions…
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