
La cicatrice
Au cours d’une nuit…sans
(évidemment !), elle s’était écroulée par deux fois sur le sol.
Cela faisait trois semaines qu’elle ne pouvait s’empêcher d’arracher la même croûte qui agaçait diablement son épiderme.
Nulle croûte de cuir sur canapé
, ni canapé en croûte
suite au fin découpage d’un pâté ; elle avait dû s’avouer qu’elle avait un peu trop bu cette nuit-là.
Elle s’était bêtement pris les pieds dans le tapis, légèrement prise de boisson.
Difficile de se souvenir de ce fâcheux incident qui lui laisserait à tout jamais une trace sur l’avant-bras.
Autant qu’elle puisse se rappeler aujourd’hui, elle s’était subitement effondrée parmi un amoncellement de choses hétéroclites.
Des piles de livres saccagées, des cd écrasés, des…moutons poussiéreux à jamais traumatisés sous son poids plume.
Combien de temps avait-elle mis à se relever des décombres qu’elle avait engendrés ?
Sûrement de longues minutes ; dix ou quinze au minimum passées à nager en tous sens et à se débattre dans l’espoir de regrouper ses forces pour revenir à une station plus dignement verticale.
Très peu de souvenirs sauf la cicatrice
qui ne cessait de la démanger et…ce sentiment de honte dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
Selon sa montre sans quartz
(à remonter toutes les trois heures ou presque !) il était temps de prendre une décision radicale.
Arrêter de s’évanouir dans les pâquerettes et veiller à ne plus trébucher sur le moindre grain de sable égaré sur le sol.
Telle une bougie qui flanche
tendant à trop pencher, elle craignait de ne plus savoir désormais se redresser à temps, ne serait-ce que pour sauver la face et se rapprocher (s’il était encore possible) d’une vision idéale droite et carrée
qu’elle avait espéré un jour donner d’elle-même.
Pour se procurer du courage et redoubler d’efforts elle avait inscrit sur le miroir de sa commode
pour signifier « plus jamais ».
Un geste qui -dès le lendemain- lui parut non seulement pathétique mais effroyablement niais ; presque autant que la formule consacrée « Le meilleur est à venir ».
Quel genre d’imbécile avait pu inventer une telle ineptie ?!
…Alors que pour tous le futur se résumait à
; pas de quoi fanfaronner où établir des plans sur des comètes de six pieds trois pouces (la taille de son dernier « soupirant ») !
Ce n’était pas en repensant aux détails de cette relation épisodique qu’elle risquait d’être subitement prise d’une fièvre d’optimisme.
Pourquoi avait-elle un peu trop (!) bu cette nuit-là ?
Il serait ardu de l’expliquer. Une tâche d’autant plus délicate qu’elle ne pourrait que mettre en lumière une multitude de dérèglements affectifs remontant à…hou là !!
Tellement loin, parce que si profondément ancrés dans son subconscient passé, qu’elle-même ne saurait dire les raisons de son propre dysfonctionnement…avéré.
C’était bien là le plus triste.
En résumé : mal barrée, elle était !
Incapable de diriger sa vie sans risquer d’envoyer par le fond sa propre embarcation.
A défaut d’une union
maritale dont elle s’était toujours méfiée, elle avait espéré des fleurs
; seules les épines lui étaient parvenues !
Pirouettes, glissades, verglas et patinoires, elle avait le sentiment d’avoir tout connu et vécu.
Seul le
(drôle d’obsession !) manquait à son tableau ; mais -pour l’heure- cela n’avait absolument rien à voir avec le propos en cours.
Quoi que !…
Elle était constamment à fleur de peau tant l’arrachage des croûtes successives perpétuellement reconstituées par son organisme l’occupait.
Approximativement tous les trois jours elle s’adonnait à cette tâche de façon aussi méticuleuse qu’inquiétante.
A défaut de véritablement souffrir dans sa chair, elle supportait de plus en plus mal cette source d’agacement physique.
Et de gratter gratter gratter jusqu’aux premières gouttes de sang marquant l’issue de son duel à fleurets mouchetés
! ; à plus tard…
Derrière un cœur affaibli
se cache souvent une cicatrice, un désert et de vieux combats.
Tant de murs écroulés, tant de violence pour finir en hiver ; une brûlure au fer rouge à faire froid dans le dos.
Tant de raisons en somme d’avoir la
!
Très bientôt, telle une étoile filante
sans doute déjà morte, sa lumière déclinera laissant dans le ciel une dernière cicatrice qui vite s’effacera…

(© 2013/droits réservés)