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A chacun ses mystères

Posté par BernartZé le 29 septembre 2017

The Red Boy - Master Charles William Lambton (1825) by Thomas Lawrence

Des cigarettes et autres…

  

            L’enfant trônait sur le mur.

 

     Je me souviens très bien de ce tableau tranquillement installé dans son bureau au-dessus de deux vieux fauteuils de cuir rouge.

Il m’a toujours fasciné par la pâleur du visage mais c’est surtout son air rêveur qui me laissait à la fois étonné et admiratif.

J’aimais le contempler -parfois même en cachette- pour essayer de deviner à quoi il pouvait bien songer.

De plus je n’ai jamais cessé de me demander si l’enfant était assis dans un fauteuil ou sur un creux de rocher y ressemblant ; le confort n’étant pas tout à fait le même.

Mais « ce Petit Lord Fauntleroy » ne s’en souciait pas le moins du monde.

Il avait l’air pénétré et totalement perdu dans ses pensées.

Aurais-je voulu inconsciemment lui ressembler ?…

 

     Ce bureau était son antre, porte toujours fermée quand il y travaillait.

Il y passait de nombreuses heures chaque jour à peaufiner des problèmes de physique de chimie ou d’électronique pour ses élèves qu’il aimait bien obliger à raisonner et réfléchir, parfois jusqu’à la prise de tête (!).

En retour, il prenait du temps pour corriger en détails leurs copies.

En période d’examens on ne le voyait presque plus sortir que pour les repas.

 

Cigarettes Kent Ce n’était pas un secret, il y fumait aussi ; c’était le seul endroit où il y était autorisé par son épouse que la cigarette insupportait et qui refusait la moindre odeur de tabac froid dans tout le reste de la maison ; et puis pour les enfants tout de même !

La lecture occupait une grande part de ses loisirs ainsi que la musique classique (surtout Schubert) ; par contre il détestait l’opéra que son épouse adorait et qu’elle écoutait dans le salon à ses heures perdues…aussi rares que les siennes.

 

     Son studio, ainsi qu’il l’appelait en fait, était également la pièce où nous étions « invités » à l’heure des mises au point destinées à vérifier l’apprentissage de nos connaissances en maths physique et chimie.

Malheur à celui qui ne comprenait pas assez vite !

Et inutile de faire semblant au risque de se faire systématiquement piéger à la première question suivante.

L’exercice pouvait virer à la torture psychologique quand lui venait par impatience d’impressionnantes poussées de colère ; un poil soupe-au-lait le bonhomme !

Il faisait vraiment peur alors qu’il n’aurait jamais levé la main sur l’un de nous.

Mais les murs du studio paraissaient presque autant trembler que ceux qui avaient le sentiment de se faire remonter les bretelles.

Je jetais un coup d’œil à la dérobée au Petit Lord qui ne se rendait évidemment compte de rien.

 

     Table basse en verre La table basse en verre sise aux pieds des fauteuils subit un jour un terrible malheur.

Un grand maladroit eut la mauvaise idée de s’asseoir sur un bord et…crac plus qu’un tas de Verre brisé !

La colère s’abattant sur le coupable fut phénoménale ; il doit encore se souvenir de cet épisode marquant de son enfance, sauf s’il est déjà mort.

Bien sûr le tapis fut vite débarrassé des débris et ne demeurèrent que les pieds durant plusieurs jours ; étrange vision.

La table de verre fut remplacée à l’identique, taillée sur mesure.

Qu’est devenue la bibliothèque installée contre le mur faisant face au tableau ?

Elle avait une particularité : une planche de bois coulissante que l’on pouvait sortir de sa cachette pour se transformer en petit bureau…à condition d’y travailler debout !

Très pratique pour surveiller du coin de l’œil celui qui avait été mis là -quasiment au piquet- pour refaire des exercices qui venaient d’être réexpliqués ; hum…

 

            Qui était-il cet homme qui avait lui-même choisi cette peinture d’enfant ?

L’histoire ne le dit pas.

Sorti de son studio on ne sait rien de lui et pas davantage de sa femme.

Où vivait-il ?

A-t-il survécu lorsqu’il a dû prendre sa retraite ?

Sans doute est-il mort depuis longtemps laissant la peinture exprimer l’âme d’un jeune rêveur.

A moins que « le Petit Lord » ne soit sorti du cadre en quatrième vitesse avant la vente de la maison ou sa démolition…pour aller faire sa vie ailleurs.

 

     Dans d’autres circonstances cet homme aurait pu être mon père.

 

   

Sir Thomas Lawrence (autoportrait, 1788)

(© 2017/droits réservés)

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Tout simplement

Posté par BernartZé le 20 septembre 2017

Paris au bord des larmes  

 

            Un jour comme un autre, ou presque.

 

     Ce jour-là était gris foncé dans sa tête sans raison apparente.

Depuis tôt le matin il avait commencé à décliner le nuancier des gris Nuances de gris passant rapidement d’une teinte à la suivante comme on descend un escalier.

Le midi il s’était à peu près stabilisé à la huitième couleur.

Pas faim ; sa pause lui avait une fois de plus permis d’aller rôder du côté d’un grand magasin fournisseur depuis trois ans qu’il travaillait à deux pas de bon nombre de ses disques.

Son choix se porta sur un requiem -un de plus dans sa collection- d’un parfait inconnu pour lui : Sigismond von Neukomm, auteur de cette œuvre de commande écrite à la mémoire de Louis XVI.

Son choix s’était fait intuitivement en tournant et retournant le cd ; au feeling comme d’autres disent.

Il aurait bien aimé pouvoir respirer son odeur, mais il était bien sûr sous film plastique et puis ce n’était (tout de même) pas un livre.

Il était content de sa découverte qui lui mettait du baume au cœur.

 

     L’effet ne dura qu’un instant car lorsqu’il ressortit il délugeait à toute vapeur, des trombes d’eau s’abattaient sur lui Déluge.

Il pressa le pas sous son parapluie cabossé ce qui ne l’empêcha pas d’arriver à moitié trempé au bureau.

Ses collègues finissaient à peine de manger en discutant des derniers bruits de couloir qui se portaient systématiquement sur les prétendues relations d’un tel et d’une telle ; les mêmes noms tournaient en boucle ; rasoir !

Il s’assit silencieux et repris son passionnant travail de plumitif qu’il faisait avec application mais de plus en plus à la limite de l’ennui.

 

     Une fois chez lui il se dépêcha de se débarrasser des vêtements encore mouillés pour s’installer et écouter sa nouvelle découverte.

 

 

Dès l’Introit, au fur et à mesure de la lente montée musicale, il commença à comprendre ; sa figure s’éclaira puis aussitôt s’assombrit.

Il la revit sur son lit de mort, telle qu’elle était partie vingt-trois ans plus tôt, le visage à peine touché par la maladie.

Mon dieu ! C’était donc ça depuis le matin, comment avait-il fait pour ne pas y penser dès son réveil ?

Chaque année il avait l’habitude d’aller se recueillir sur sa tombe avec un bouquet de lys roses, les fleurs qu’elle préférait entre toutes.

Ce soir il était trop tard ; c’était la première fois qu’il manquait leur rendez-vous.

Il irait demain.

 

Pour l’heure il revoyait des instants partagés au cours des trop courtes six années passées à l’aimer.

Elle était drôle intelligente fière et si douce.

Et elle détestait la musique classique qu’il n’avait jamais réussi à lui faire écouter plus d’une minute.

Son grand truc c’était le trip hop et le rock alternatif qu’il avait fini par apprécier à petites doses homéopathiques, pour lui faire plaisir aussi.

Ce soir-là il se perdit dans de lointaines pensées et préféra se coucher sans tarder.

 

            Tôt le lendemain matin, avant de partir travailler, il tint sa promesse.

Il ne pleuvait plus mais lui était au bord des larmes en revoyant la tombe toute simple -presque anonyme- qu’elle avait voulue ainsi.

Elle était morte un 22 janvier alors que la capitale était incroyablement tapissée de neige.

Il ne s’en était même pas rendu compte.

   

 

Requiem de Neukom (2017)

(© 2017/droits réservés)

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Amoureuse ?

Posté par BernartZé le 8 septembre 2017

32,0

L'amour à distance

Un divertissement

  

            En ce temps-là en regardant par la fenêtre tomber la pluie je pleurais toujours.

 

     Il faut dire que je m’ennuyais fermement les après-midi chez moi en vacance d’emploi.

J’avais l’impression de n’avoir plus rien à lire, la flemme de sortir pour une séance de cinéma, pas même pour revoir un vieux classique, et les programmes télé d’après-midi me donnaient l’impression d’avoir cinquante ans alors que j’allais en avoir trente-deux.

J’aurais pu aussi tricoter faire des puzzles ou rempoter les jardinières que nous avions sur le balconnet auquel la baie vitrée du salon donnait accès.

Mais je n’avais pas envie de me salir les mains.

 

Les matinées étaient consacrées à mes recherches d’emploi, n’importe lequel ou presque au point où j’en étais et en dépit d’un Master d’Anglais qui ne m’avait servi qu’à me perdre dans l’enseignement supérieur durant cinq longues années difficiles ; j’avais assez donné pour ne pas vouloir retomber dans cet écueil.

Dès sept ou huit heures du matin je m’installais devant mon ordinateur pour pianoter lire des annonces et des offres, déposer des CV en ligne et des courriers de motivation même s’ils étaient le plus souvent mensongés.

Au sortir de l’hiver, toujours pas la moindre réponse.

Un jour de pluie, triste et seule (l’homme qui partageait ma vie s’était absenté une semaine pour des raisons professionnelles) j’eus la curieuse idée (pour moi) de chercher un forum de discussions.

J’ai trouvé des sites de rencontres ; j’en avais vaguement entendu parler, sans plus.

J’ai cliqué sur un nom au hasard ; pas d’inscription obligatoire juste un pseudonyme à donner ce qui m’arrangeait bien vu que je ne venais que le temps d’une petite visite.

J’ai découvert des pseudos plus ou moins fantaisistes ou prétentieux, des messages parfois étranges ainsi que des profils flatteurs et des photos avantageuses.

Tout le monde ou presque avait l’air beau jeune frais et désintéressé.

J’ai parcouru une longue liste et, alors que je commençais à m’ennuyer, mon regard s’est arrêté sur le détail d’un message : « …aime particulièrement observer son poisson rouge tourner dans son bocal ».

Poisson rouge dans son bocal J’ai trouvé ça drôle et décalé.

 

     Je me suis aventurée à en lire davantage sur…un certain David (son vrai prénom ?).

Il s’avait écrire et s’exprimait intelligemment sur divers sujets qui m’intéressaient comme la musique la littérature et le cinéma.

S’il se disait seul il se gardait bien de décrire le physique d’une femme qu’il aimerait rencontrer, ne parlant que de son intelligence et de sa sensibilité.

De beaux mots, certes !

Au bout d’un long moment passé à hésiter, à peser le pour et le contre et à me souvenir (tout de même !) que j’avais laissé de côté mes recherches d’emploi depuis près d’une heure, je me suis lancée.

Après tout mon « profil » se résumait à mon pseudonyme et à mon genre féminin ; je ne prenais pas de risque et je n’avais rien à perdre.

Mon premier message a dû à peu près être « Bonjour, comment se porte votre poisson rouge ? ».

Et lui de me répondre « Très bien merci. Vous en avez également un ? »

Et ainsi de suite…

Évidemment nous avons vite enchaîné sur d’autres sujets plus aptes à exciter nos neurones et nos cellules grises.

 

J’ai attendu trois jours pour retourner sur le site et David était toujours là.

Lui demandant s’il passait ses journées à pianoter il me dit que non mais qu’il venait simplement chaque matin lire d’éventuels messages.

- « Et vous en avez beaucoup ? » ; – « Non, pas du tout, mon poisson rouge ne semble pas attirer les pêcheurs en ligne ».

Il ajouta que je lui avais manqué et qu’il avait beaucoup apprécié notre premier échange.

Par la suite nous avons pris le pli de nous retrouver tous les deux jours, et rapidement l’habitude est devenue quotidienne.

 

     Au fil des semaines nous avons fait plus ample connaissance.

Je commençais à avoir des scrupules : mon « mari », qui était bien sûr rentré depuis longtemps, ignorait tout de mes recherches d’emploi matinales.

Mais n’ayant pas le sentiment de le tromper en lui taisant ce coin de jardin secret, j’ai poursuivi mes visites sur le site.

[Toujours pas la moindre réponse concernant toutes les offres d’emploi auxquelles je continuais de postuler]

 

     Et ce qui devait logiquement se produire est arrivé : nous avons échangé nos numéros de téléphone.

S’en est suivi une série de discussions téléphoniques de plus en plus longues chaque matin qui a vite mis un terme à ma quête d’emploi, ce dont je n’étais pas fière.

Je sentais bien que je m’attachais, lui-aussi apparemment.

J’aimais toujours mon « mari », mais David représentait une forme de nouvelle jeunesse sentimentale, un coin bleu dans mon ciel gris pour utiliser une image rebattue.

J’avais besoin de m’aérer la tête et de sortir de mes murs.

 

     Passage Jouffroy (9ème) Notre premier rendez-vous (« pour nous voir enfin ») eut lieu à l’entrée du Passage Jouffroy, côté boulevard Montmartre.

Nous nous sommes reconnus tout en nous découvrant.

Il avait choisi ce lieu qu’il aimait parce qu’il avait passé une grande partie de son enfance non loin, à deux rues de là.

Tandis que je m’avouais le trouver très séduisant, je l’écoutais me raconter le quartier.

Moi la provinciale jusqu’à l’âge de vingt ans n’eus pas d’effort à faire pour m’émerveiller.

 

La fois suivante je fixais le rendez-vous devant la fontaine Saint-Michel, un des rares lieux emblématiques de Paris que je connaissais bien pour des raisons…médicales !

Et ainsi de suite ; à chacun notre tour nous proposions un nouvel endroit pour nous revoir.

C’était l’occasion de belles balades, d’arrêts dans des cafés et de discussions débridées.

Jusqu’au jour où il m’embrassa, où je l’embrassai.

 

     Passé le temps des aveux, la rencontre physique était inévitable.

Elle eut lieu en terrain neutre, dans un très bel hôtel du 7ème arrondissement.

J’ai trompé mon « mari » alors que je l’aimais.

David était passionné, tendre et prévenant ; véritablement amoureux, plus que moi sans doute.

Notre liaison, puisque tel est le terme, a duré exactement deux mois.

Et nous nous sommes quittés d’un commun accord.

Il a compris que je voulais retourner vers mon « mari » que j’aimais en dépit des apparences.

Chacun est parti de son côté ; je suppose qu’il a continué à aller sur le site de rencontres que j’ai effacé de ma mémoire.

 

            Finalement cette petite aventure restera comme un beau souvenir de vacance de sentiments et…d’emploi.

Quand je serai bien vieille, au soir, à la chandelle…j’y songerai sûrement avec plaisir et une pointe d’émotion tue.

Et mon mari, avec ou sans guillemets alors, me fera la lecture du journal pour ne pas fatiguer mes yeux.

Et je lui sourirai…

 

 

L'envolée 

(© 2017/droits réservés)

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Un homme…

Posté par BernartZé le 19 août 2017

Étude d'un Boiteux Homme (huile de Thomas Couture)

Diable d’homme

  

            Il y avait exactement mille ans qu’il était né ce même jour.

 

     En fait on disait « mille ans » par habitude, sans connaître son âge ; lui-même ne le savait plus ayant cessé de compter ou de le fêter.

Qu’aurait-il d’ailleurs eu encore à célébrer ? Le poids des ans ? Sa solitude ? Son humeur versatile qui l’avait fait se retirer du monde ? Sa joie légendaire peut-être ?!

Non. Toutes les années étaient passées comme des siècles et l’avait marqué une à une, le débarrassant du peu qu’il avait en naissant.

 

     Il était né boiteux.

Pas de quoi faire virer le lait frais mais pas non plus de quoi se réjouir.

Petit, cela lui avait valu beaucoup de moqueries et autres misères de la part d’enfants qui -bien sûr- ne pensaient pas à mal.

Les enfants sont toujours innocents comme chacun sait…

Sa claudication jamais soignée était due non seulement à une jambe plus courte que l’autre mais surtout à une malformation de la hanche qui s’était légèrement déboîtée au premier jour et s’était par la suite soudée ainsi.

D’où une douleur avec laquelle il avait été obligé de grandir et des larmes qu’il cachait tant bien que mal dans son enfance pour ne pas peiner ses parents.

 

     Il avait traversé deux ou trois guerres, sans pouvoir y participer vu son invalidité.

Combien de fois avait-il pu la maudire quand il apprenait la mort d’un ancien camarade d’école ?!

Comment ne pas se reprocher ce satané handicap qui l’avait empêché d’aider ou de secourir quiconque ?

Cette jambe…était le fardeau de tous les instants de sa vie ; impossible de l’oublier, impossible d’en supporter la vue nue ; impossible de se laisser aimer.

Oh ! bien sûr certaines avaient vaguement tenté de lui conter fleurette par jeu ou par vilain défi à relever.

Une fois il avait cru lire de la sincérité dans un regard mais n’avait rien osé laisser paraître.

Très vite il avait abandonné tout rêve, toute illusion de ne pas finir seul une existence qui s’annonçait morne et vide.

Elle le fut, mais pas entièrement.

 

     Après avoir quitté l’école à quatorze ans il se fit cordonnier (un sens de l’humour particulier ?), faisant son apprentissage sur le tas auprès d’un oncle rémouleur Rémouleur et bottier dont il avait découvert l’existence lors du mariage de la fille du frère de la cousine de sa femme (pas celle de l’oncle mais du frère !).

Ils s’étaient vite entendus (l’oncle et lui) et avaient convenu d’une formation durant au minimum trois ans sous réserve d’un talent plus ou moins confirmé ; le sien le fut avant l’heure et il prit son indépendance à peine passées les deux premières années.

Cordonnier donc à son compte ; c’est ainsi que s’écoula sa vie.

Les clients entraient et sortaient rapidement ; peu osaient lui parler comme s’il portait sur son visage une marque inquiétante les tenant à distance.

Il n’en prit pas ombrage et fit toute sa vie son métier en bon professionnel héritier de l’ancien temps.

N’avait-il d’ailleurs pas toujours été bien plus « ancien » qu’eux tous ?

 

            En se réveillant ce matin-là, en ce jour anniversaire, sans doute n’avait-il pas mille ans ; pas tout à fait.

Il ne s’est pas souvenu que cejourd’hui était supposé être « son jour ».

Il s’est juste senti las et immensément fatigué, incapable de se lever ou de décider de quoi que ce soit.

 

     On l’a certainement retrouvé -un jour ou l’autre ou plus tardtranquillement allongé à côté de ses cannes, presque à côté de sa jambe.

 

 

Ancienne prothèse de jambe 

(© 2017/droits réservés)

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Épopée culinaire

Posté par BernartZé le 7 août 2017

Saumon fumé en tartare - Palais des Mets

Mais…

  

             Dare-dare dit le saumon.

 

     Au palais résidaient un lapin une carpe un poisson rouge et un saumon.

Ils vivaient là heureux ; jusqu’à ce que…

Jusqu’à ce qu’un étranger ne fasse irruption dans cet univers à l’origine bien ordonné qu’il bouleversa complètement en moins de temps qu’il ne faut à un poisson rouge pour faire le tour de son bocal.

 

     Dès son arrivée il parut à tous rugueux et sombre L'étranger (by Colin Vearncombe) dangereux et peut-être violent.

Il se présenta au maître des lieux comme étant le cuisinier envoyé par Sir d’Albray notable connu et respecté en Aveyron.

Depuis que le chef des fourneaux était accidentellement mort d’un coup de poêle bien asséné en guise de légitime défense (une vertu à sauvegarder) rien n’allait plus en cuisine.

Des ordres contraires volaient en tous sens et nul n’obéissait plus.

Son autorité naturelle suffit à mettre aussitôt le holà et chacun rentra dans le rang pour se consacrer uniquement à sa tâche.

Dès son entrée dans la place il fit clairement montre de sa préférence pour les viandes et de tout son art pour les accommoder.

La chasse au sanglier reprit de plus belle, les faisans et les perdrix firent leur apparition et d’énormes pièces de bœuf se frayèrent un chemin jusque sur les étals de cuisine.

On coupait découpait hachait scalpait et guillotinait à longueur de journée.

Sa spécialité : un tartare de bœuf étonnamment délicat que ses grandes mains sortaient de sa toque Tartare de bœuf.

Il recueillit aussitôt l’approbation et les louanges de la table d’hôtes.

Et pendant ce temps poissons lapin et carpe vivaient tranquilles.

 

     Plus pour longtemps.

Un jour d’humeur méchante ou particulièrement créative il décida de faire un sort aux rares poissons croisant encore dans un aquarium situé dans un angle au fond de la cuisine.

Et d’une anguille de plus de dix ans il fit un délicieux tartare.

Le saumon n’attendit pas pour prendre sa queue à son cou et filer dans la rivière la plus proche, abandonnant carpe et lapin.

Il fut pêché et dégusté en grillade moins de trois mois après son retour à la nature.

 

            C’était il y a fort longtemps dans un vieux château médiéval.

   

 

Château de Montrozier

(© 2017/droits réservés)

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Sur un coup de tête

Posté par BernartZé le 4 août 2017

#86 number

L’âge déraison

  

            De passage à Taba au Japon elle aurait pu fêter son quatre-vingt-sixième anniversaire.

 

     Bon pied bon œil elle s’était envolée pour Varsovie un 4 juillet.

Une idée comme ça qui lui était venue un soir de juin après avoir enterré son mari.

Il lui fallait partir vite et loin et si possible longtemps.

Seule désormais, plus rien ne la retenait à Pelleport son petit village de Haute-Garonne.

Plus de famille ni d’amis, plus rien à espérer non plus.

 

     Son projet était simple : partie de Toulouse, à une trentaine de kilomètres de chez elle, elle devait atterrir en Pologne huit heures plus tard en empruntant un vol économique deux fois moins cher qui devait (initialement) durer deux fois plus longtemps.

Mais quelques vents contraires rallongèrent son parcours.

 

     Avion noir Tout d’abord, à cause d’un orage, son vol partit avec une heure et demie de retard ; « pas grave » se dit-elle, elle avait tout son temps.

Mais en survolant la République Tchèque trois individus eurent la drôle d’idée de vouloir s’emparer de l’appareil, sans doute désireux de partir en vacances ailleurs à peu de frais (pour eux).

D’abord menaçants ils devinrent franchement inquiétants, suffisamment pour convaincre la compagnie aérienne de leur obéir.

Un seul autre problème logistique : le manque de carburant prévisible pour une bien plus longue distance.

Il fallut donc faire une halte en Ukraine pour un copieux ravitaillement ; la compagnie essaya tant bien que mal d’en profiter pour réclamer des victuailles supplémentaires sous l’œil vigilant des preneurs d’otages.

Elle n’obtint qu’une cinquantaine de plateaux repas pour poursuivre l’aventure et sustenter les passagers.

On s’organisa, certains affolés, d’autres étrangement sereins ou inconscients…comme elle.

Elle n’eut pas peur et pris ce coup du sort comme un regain d’aventure particulièrement excitant.

Quand l’avion redécolla elle apprit en même temps que tous qu’elle se réveillerait dans une dizaine d’heures au Pays du Soleil Levant.

 

     Ils atterrirent tous le lendemain du jour d’avant ou de celui de la veille ; plus personne ne savait l’heure qu’il était après tant de décalages et d’heures supplémentaires.

Les organismes étaient épuisés, les esprits à bout, et elle-même riait moins en commençant à sentir ses forces l’abandonner.

Pour la première fois depuis bien longtemps elle se souvint de son âge sans savoir qu’elle n’était pas la doyenne à bord.

Le mystère plana longtemps sur les raisons de ce détournement traité de façon mineure si l’on se fit à l’absence de couverture médiatique ; seule une ligne en bas d’écran d’une chaîne info.

Les trois preneurs d’otages furent cueillis à l’arrivée à Osaka, les passagers s’évanouirent dans la nature.

Personne ne songea même à se prendre en photo en souvenir !

 

     Bien que faible elle eut la curiosité de prendre un train au hasard histoire de jeter un coup d’œil au pays.

Elle s’arrêta à Taba et y mourut sans rien visiter de ce minuscule village encore plus perdu que le sien.

 

            Son corps ne fut pas réclamé et les autorités embarrassées décidèrent au bout d’un mois de la faire incinérer dans la ville d’à côté le jour de son anniversaire ; le dernier qu’elle n’aura pas eu le temps de célébrer.

La boucle était bouclée…

 

  

Drapeau japonais

(© 2017/droits réservés)

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Un amour de jeunesse

Posté par BernartZé le 14 juillet 2017

Tableau de ''Laura'' (film d'Otto Preminger, 1944)

Par le bout du nez

  

            La curiosité peut mener loin.

 

     J’avais à peine huit ou neuf ans et nous avions emménagé dans une maison flambant neuf d’une rue sans issue.

C’était le projet de vie de mes parents : non de devenir bâtisseurs mais simplement propriétaires d’une habitation correspondant à leurs plans.

C’est pourquoi ils suivirent de près toutes les étapes de la construction en venant régulièrement visiter le chantier.

De temps en temps j’étais autorisé à les accompagner, le jeudi (l’ancêtre du mercredi) ou en fin de semaine.

J’étais excité et impatient comme on peut l’être à cet âge où le temps paraît prendre d’interminables pauses et avancer à la vitesse d’un escargot souffreteux Escargot.

Échappant parfois à leur attention, je jouais dans nos futurs murs, découvrant des pièces qui pour moi ne correspondaient à rien d’autre qu’aux décors en pierre dure d’un théâtre en carton.

J’imaginais des changements à vue, de hauts rideaux de velours et des escaliers ne menant nulle part Escaliers, décor de théâtre.

Puis les étages et de vrais escaliers se construisirent.

Lorsque les pièces du 1er (en fait le vrai rez-de-chaussée au dessus du garage) virent le jour et que les portes-fenêtres donnant sur le balcon furent installées, je fis une gigantesque découverte : j’étais un passe-muraille !

Les vitres n’ayant été posées qu’en fin de chantier j’eus le temps de m’amuser à passer à travers les cadres Porte-fenêtre en me glissant souplement (vu mon âge !).

Fatalement le jeu ne dura qu’un (long) temps.

 

     Une fois installés dans notre nouvelle demeure, faute de pouvoir continuer, je cherchais d’autres distractions une fois mes devoirs faits évidemment.

Mes yeux se portèrent un jour sur l’autre côté de la rue où se trouvait une vieille bâtisse apparemment à l’abandon.

De hauts murs et des pierres mangées par des plantes grimpantes à l’aspect sauvage et inquiétant ; une haute muraille semblait interdire tout accès, empêchant de pousser plus loin la curiosité.

Une seule question pour moi : comment franchir ces remparts ?

Après les travaux d’approche à rôder autour, je me décidais enfin à prendre d’assaut le château (une malouinière en fait).

Quel que soit le côté l’escalade apparaissait aussi difficile ; il fallait prendre son élan et son courage en mains (plus de deux si possible).

Je me mis donc, à mes risques et périls, à jouer les premiers de cordée, sans pic ni corde de rappel et surtout sans compagnon d’aventure.

A ma grande surprise, pas à pas pierre par pierre, le défi fut moins ardu que prévu.

Au bout d’une demi-heure j’étais en haut du mur.

La descente de l’autre côté s’avéra nettement plus facile : il me suffit de me jeter en bas sur…une sorte de grand matelas de réception pour sauteurs en hauteur.

Que faisait-il là oublié et livré aux intempéries ?

Les feuilles mortes ajoutèrent de la poussière à ma chute.

 

     Le tour du jardin fut rapide : il n’y avait rien à voir ; il me servit seulement à repérer le côté du château le plus accessible…en fonction de ses fenêtres.

Je choisis la plus basse et, alors que j’allais jouer du coude, j’aperçus l’ouverture béante laissée par une vitre cassée.

A moi la grande aventure !!

Je mis près de deux heures à explorer toutes les pièces une à une sur les quatre (hauts) étages.

Beaucoup de poussière et de meubles recouverts de tissus autrefois blancs ; les chambres étaient vastes et richement décorées ; trois salons aux parquets encore parfaitement vernis, des cheminées dans toutes les pièces.

L’une d’elle retint particulièrement mon regard.

Non par son aspect mais pour le tableau au-dessus.

Le portrait d’une femme mystérieuse et mélancolique, belle et fascinante ; un peu rêveuse aussi.

 

     Durant des années je suis souvent revenu vers elle tant j’étais captivé par sa lumière.

Quand mes épaules et mes hanches ne me permirent plus de passer à travers la fenêtre je l’ai forcée afin de poursuivre mon rêve sans jamais savoir qui elle avait été.

 

            Un jour mes études m’ont contraint à quitter la maison mes parents et cette inconnue…

 

 

Gene Tierney 

(© 2017/droits réservés)

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Fatalitas !

Posté par BernartZé le 11 juin 2017

Forêt de Brocéliande

A la renverse

  

            Dans la forêt forée loin de Paimpol Paul cherchait la sortie.

 

     Descendu du nord de la Bretagne il s’était aventuré jusque dans les terres et les bois sans boussole.

Le voyage à vélo de Paimpol à Paimpont était un défi qu’il voulait relever : les 130 kilomètres avaient nécessité plus de sept heures d’effort, sans compter celles des pauses.

Parti de chez lui au petit matin il avait atteint son but en fin d’après-midi quand la nuit commençait à tomber.

Emmitouflé dans son duvet, fourbu, il s’était calé au pied d’un arbre gigantesque pour dormir.

Un cerf matineux l’avait réveillé lui apportant café et croissants sur un plateau d’argent.

 

     Sorti soudainement de son sommeil il avait mis un moment à se souvenir de ce qu’il était venu faire au cœur de cette forêt dont il avait tant entendu parler.

Brocéliande pensez donc !

Mais moins d’une heure après son réveil il se sentait déjà perdu dans l’immensité écrasante des lieux.

Son taïji Taïji en poche ne semblait d’aucun secours ici, ne l’aidant aucunement à se repérer dans ce dédale d’arbres non balisé ; il en avait même croisé deux qui se serraient fraternellement la pince Salut !

En marchant au hasard il surprit un escargot Une pause s'impose en pleine sieste et c’est au pied de l’un de ses amis champignons qu’il découvrit un trésor ancestral Vieille bague ou ce qu’il prit pour tel.

Il commença à s’imaginer une histoire vieille de plusieurs siècles et se mit à voir des yeux partout.

Tous les arbres l’observaient !

Mais au fait contre lequel avait-il la veille garé son Vélo (2) ?

Comment le retrouver alors que lui-même était totalement perdu ?

 

     Parti initialement à l’aventure en toute insouciance, il se mit en quête de sortir du bois sans dommages avant d’être envahi par une peur panique.

Il tourna tourna, en rond en carré en losange, se figurant découvrir un panneau indiquant le moyen d’échapper à ce milieu de plus en plus hostile.

Il hésita pendant des heures, s’essouffla et revint sur ses pas où les traces qu’il pensait avoir laissées.

En vain.

Pris de vertiges il dut s’asseoir pour ne pas tomber.

De l’autre côté du même arbre était adossé un korrigan en train de faire la sieste Korrigan.

Espiègle et furieux d’avoir été réveillé en sursaut il lui joua un mauvais tour.

 

            Trop de forages peuvent nuire à la santé…

  

 

Attention aux chutes d'arbres

(© 2017/droits réservés)

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Inconsciente jeunesse

Posté par BernartZé le 21 mai 2017

Double face (Pierre Dalmas)

Ton double honni tu frapperas

  

                J’ai eu hier dix-sept ans.

 

     Quand j’écris « je » je veux bien sûr dire « nous » : mon compagnon de cellule et moi.

Celui qui a tout partagé de ma vie jusqu’à son départ précipité n’a pas soufflé avec moi nos bougies.

Son prénom était sur toutes les lèvres durant notre anniversaire sans que personne n’ose y faire allusion.

Le grand absent de la « fête » hantait d’autant plus nos esprits qu’il nous imposa un douloureux tête-à-tête triangulaire au cours duquel je fus seul face à nos parents qui s’efforçaient de faire bonne figure malgré leur profonde tristesse.

Sous prétexte d’honorer le repas nous avons peu parlé et chacun semblait se forcer à manger de peur de glisser un mot malheureux dans la conversation.

Même nos regards étaient fuyants.

 

     Un an plus tôt, le soir de nos seize ans, je l’avais menacé de tout révéler s’il ne le faisait pas lui-même.

Coup de folie de jalousie ou de dépit ?

Il était le préféré le fils chéri, celui que l’on console au moindre bobo, quitte à lui inventer des malheurs.

Notre mère était en permanence à son écoute, comme branchée sur une onde radio via un cordon ombilical qu’elle avait refusé de couper.

Enfant je ne comprenais pas ; dès le début de l’adolescence je n’ai plus supporté une situation que je trouvais aussi injuste que cruelle.

Je devins jaloux et ombrageux, presque méchant.

Enfants nous étions toujours ensemble dans les rires et les jeux ; lorsqu’il a mis une distance entre nous j’ai suspecté un secret qu’il voulait me cacher.

J’ai commencé à l’espionner à pieds ou à Vélo, à le suivre à la trace le plus loin possible avant qu’il ne m’échappe.

Je l’ai pourchassé dès la sortie du lycée jusqu’à ce que je découvre ce qu’il ne voulait pas partager avec moi.

Tout le monde a quelque chose à taire pour se préserver d’un jugement négatif.

 

     Je connaissais d’autant mieux ses craintes que je les redoutais également dans mon coin, sans avoir jamais osé me confier à lui.

En le suivant à distance je l’avais vu heureux dans ses moments intimes ; un bonheur qu’une honte entretenue m’avait privé de vivre en rejetant cette part de moi-même inavouable.

Je me trouvais infâme et lui paraissait épanoui.

Mais pas au point de rendre public ce que j’avais découvert et que nos parents ignoraient encore.

Il n’était pas prêt à leur faire une déclaration qui bouleverserait forcément leur vie.

Il n’était pas prêt je le savais, et pourtant j’avais voulu le contraindre à tout leur dire comme si le faire équivaudrait à parler également en mon nom.

Malgré la pression imposée il avait gardé le sourire toute la soirée, en dépit de mes regards insistants.

Nos parents furent heureux pour la dernière fois.

 

     Le lendemain j’étais plus que jamais honteux et avant de pouvoir lui exprimer mes remords il avait disparu.

On ne le retrouva que trois jours plus tard en bord de Loire Bord de Loire où il avait cherché refuge à l’abri des regards pour s’ouvrir les veines.

Nos parents furent dévastés ; il n’était désormais plus question de leur asséner le coup de grâce en leur parlant de moi.

Ils mirent longtemps à découvrir le secret de mon frère -le nôtre- qu’ils finirent par percer en retournant les tiroirs de son bureau.

Des lettres et quelques photos…

 

     J’en voulais d’autant plus à mon frère que je l’estimais responsable d’entretenir mes propres tourments en soulignant mon incapacité à admettre ma vraie nature.

Il aurait eu le courage de s’affirmer ouvertement si je lui en avais laissé le temps.

Mon ressentiment nous aura privés de cette connivence.

 

            Un an plus tard restent mes parents et leur douleur, ma culpabilité et mon devoir de m’assumer pour deux…

 

  

Coup de poignard

(© 2017/droits réservés)

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Une histoire

Posté par BernartZé le 6 mai 2017

33%

Gironde

 

             On la disait bien en chair quand elle avait 20 ans.

Ses formes harmonieuses étaient alors autant appréciées que moquées, suivant les modes et les goûts de chacun.

 

     En fin d’année 1984 elle adorait danser voluptueusement sur Smooth operator (Sade,1984), un pur délice selon ses dires confirmés par l’évident plaisir qu’elle y prenait.

 

C’est peu après la nouvelle année qu’elle tomba réellement amoureuse et qu’elle eut la folle idée de plaire davantage à un jeune homme d’une trentaine d’années qui ne l’avait pas remarquée lors de la fête d’anniversaire de son amie d’enfance.

Dès le lendemain elle ne parla plus que de lui, y pensant à longueur de journées et de nuits, ses rêves lui étant consacrés.

Elle qualifiait son coup de foudre d’apparition céleste et de vision divine, rien de moins !

Si elle avait pu le faire elle aurait épinglé un poster géant de son « amoureux » au-dessus du lit de sa chambre d’étudiante.

Mais les seules photos constituant son album se trouvaient dans sa tête.

 

     Le 19 janvier 1985 elle décida de se mettre au régime pour ne plus peser 100 kg.

 

De ce nombre tout rond elle voulut ne faire qu’une bouchée.

Du jour au lendemain elle arrêta de manger ou presque.

Son alimentation se résuma à des feuilles de salade fraîches, des tranches de concombre et du fenouil en provenance directe du bac (bien froid) du réfrigérateur.

Une pomme aussi de temps en temps.

 

Parallèlement elle se mit à la marche intensive pour suivre et espionner l’objet de son obsession.

Partout où il allait elle le suivait à distance, tentant de le photographier dans l’espoir d’obtenir un portrait digne de la première vision qu’elle avait eu de lui.

Avec un appareil-photo proche du jouet d’enfant Appareil-photo ancien !

Elle fit développer des dizaines de Pellicule pour ne conserver que quelques clichés.

 

     Plus elle perdait de poids, plus son image s’effaçait troublant sa perception d’elle-même et sa lucidité.

Elle entra dans une zone Clair-obscur, navigant entre deux eaux deux mondes deux destinées, quitte à se perdre.

Personne à qui se confier ; son amie, après avoir encouragé sa démarche, avait pris peur et ses distances en réalisant l’ampleur de sa « folie ».

Et ses parents l’avaient vue maigrir sans s’inquiéter de la méthode ; au contraire.

Partie étudier dans une autre ville ils ne la virent pas se désintégrer en jouant avec le feu.

La maladie dont elle ignorait le nom œuvrait sans qu’elle ne puisse l’arrêter.

Des personnes, pas même des amis, tentèrent de l’alerter sur son état de plus en plus inquiétant en lui conseillant de se faire hospitaliser.

Elle refusa l’emprisonnement, la perte d’autonomie et de maîtrise d’elle-même.

Elle nia tant et plus l’ampleur du mal et de sa déraison.

 

     Quand elle parvint à ne plus peser qu’un tiers de son poids elle ne se trouva pas spécialement mince en dépit des derniers regards croisés effrayés par une vision évoquant une sortie de camp.

Le jour où à bout de forces elle comprit que le point de non-retour avait été franchi elle choisit son plus doux coussin Coussin arsenic pour s’endormir à jamais après des convulsions répétées auxquelles elle fit face en serrant les dents.

 

            Elle ne se souvenait même plus de son « amoureux » d’autrefois qui était passé juste à côté d’elle sans la voir.

 

 

Madame Bovary 

(© 2017/droits réservés)

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