• Accueil
  • > Un peu de lecture inédite

Sentiment tu (?)

Posté par BernartZé le 10 octobre 2016

Non amour de vacances

Une histoire d’autrefois

  

            Ce ne fut pas un amour de vacances ; encore moins une intrigue rose bonbon.

 

     Nous ne nous sommes pas rencontrés sur la plage mais un mercredi de novembre Nuit de novembre froid et humide ; le crachin du soir ne pouvait que nous forcer à nous précipiter dans un café en quête d’un peu de réconfort.

Tu avais semble-t-il éprouvé ce besoin avant moi.

C’est ainsi qu’en entrant j’ai tout d’abord aperçu ta nuque Nuque ; l’effet de perspective donnait à penser que tu conversais avec une plante verte du décor !

Intrigué j’ai fait le tour de la salle pour m’asseoir non loin et avoir tout loisir de t’observer discrètement de trois-quarts.

Fumant nerveusement d’une main tu griffonnais de l’autre entre deux gorgées de café.

Le monde autour de toi ne paraissait pas exister tant tu étais plongée dans tes pensées.

Pâle malgré une pointe de rouge-à-lévres carmin qui soulignait ta blancheur, ta tristesse contenue me peina.

Bizarrement j’ai soudain repensé à une musique lancinante To kill a dead man - Portishead (1994) que j’écoutais alors et qui m’hypnotisait.

Au fur et à mesure que je te regardais, je m’avouais une certaine attirance ; un mélange confus dû à l’expression de ton visage qui m’intriguait et à ma propre imagination galopante qui me projeta subitement une vue d’hôpital Pâle figure d'hôpital.

Je me suis plus tard longtemps demandé si cette image fugace avait été prémonitoire.

J’étais troublé.

 

     Ce soir-là dans ce café où le hasard m’avait conduit j’ai fait une chose que je n’ai faite qu’une fois dans ma vie et dont je ne me croyais pas même capable : lorsqu’au bout d’un très long moment ta tête s’est redressée nos regards se sont croisés et je me suis spontanément levé ; à ma grande surprise je me suis vu marcher jusqu’à ta table te demandant si je pouvais m’asseoir un bref instant.

Évidemment surprise tu esquissas un mouvement de recul et un léger sourire pour savoir la raison d’une telle question.

Aucune tentative de séduction de ma part (j’en ignorais tous les ressorts), j’étais si intrigué et fasciné par ton visage que je n’avais pu retenir mon élan.

L’idée apparemment t’intrigua aussi, assez pour acquiescer.

Contre toute attente, de l’un et l’autre, quatre heures plus tard nous discutions encore.

Je crois que ceci fut le début d’une merveilleuse amitié.

As time goes by…

 

     Nous nous sommes beaucoup revus par la suite et durant des années.

Ta tête pencha souvent La tête penchée et je fis mon possible pour t’écouter et te soutenir.

Jusqu’au jour où je t’ai retrouvée « pâle comme un linge » dans un lit tout blanc d’hôpital suite à un malencontreux mélange d’alcool et d’anxiolytiques.

Suivirent de douloureux mois et de multiples étapes dans ta convalescence (…)

Tu grandis, tête de plus en plus droite Croquis de Marie Meesters, et tu pris ton envol.

Le Téléphone ancien ne sonna plus jamais.

 

            Certains parleraient d’un amour platonique ; je ne sais…

 

 

Rouge à lèvres

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Contes et légendes

Posté par BernartZé le 28 septembre 2016

Bague avec filin d'acier

Mauvaises ondes

(heurts de ménage)

  

            Jean rencontra Sabine.

Ils se marièrent.

 

     Elle était belle et fière le soir de leurs noces ; vibrante libre amoureuse Anna LaCazio (2).

Lui mi timide mi fanfaron Peter Kingsberry dissimulait mal son sentiment tant il était heureux.

Ils se firent la promesse de ne jamais se mentir.

Leur voyage de noces aux confins du désert mexicain les brûla légèrement The biggest fool of all - Cock Robin (1987).

 

     Installés dans un deux pièces du sud-ouest ils vécurent d’amour d’eau fraîche et de petits boulots.

Un Cactus saguaro géant se mit à pousser dans la cuisine entre le réfrigérateur et le Four à micro-ondes.

Ils n’y prirent pas vraiment garde préférant éviter les épineux problèmes de la vie de couple auxquels ils n’échappèrent pourtant pas davantage que les autres.

Des petits riens des agacements des quiproquos et des malentendus qui font mauvais ménage avec le quotidien et sont le plus souvent incontournables.

Vint l’heure des non-dits et des légers mensonges sous forme d’arrangements avec la vérité.

Des silences soutenus instaurèrent une distance qu’ils ne purent rapidement plus nier.

Et puis, alors que le torchon brûlait, c’est le micro-ondes qui prit feu Les ondes incandescentes après une série d’étincelles.

 

     L’obsolescence programmée a-t-elle cours pour les couples comme pour les objets ?

Porterions-nous caché derrière une oreillette du cœur un code-barres L'obsolescence annoncée annonçant malgré nous la fin de nos amours ?

L’idée seule fait frémir alors que dans les faits peu d’amours s’achèvent sereinement dans la joie et la bonne humeur (!)

 

            C’est lorsque deux continents s’éloignent qu’apparaissent leurs dérives.

 

 

Worlds apart - Cock Robin (First love, last rites - 1989)

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Des silences effacés

Posté par BernartZé le 19 septembre 2016

Esquisse F.H. (Comment te dire adieu, 1968)

Pour toute réponse

  

            Je la savais capable de tout.

De tout quitter sur un coup de tête ; elle est partie ailleurs.

 

     Un soir elle m’a dit « J’suis pas bien » ; elle ne parlait jamais ainsi, c’est dire comme elle devait aller mal.

Il a fait particulièrement froid ce soir-là dans sa tête.

J’aimerais pouvoir lui présenter mes excuses pour n’avoir pas compris son mal-être.

 

     Elle avait fini par s’ennuyer ; je crois même que ce sentiment l’avait de tous temps envahie au point de devoir toujours lutter contre ce qu’il pouvait entraîner de malheurs.

Son BoVaRysme était inné ; son insatisfaction existentielle l’avait cueillie au berceau.

Elle avait grandi sans même savoir son inclination à la désillusion.

Je me souviens qu’elle aimait beaucoup cette aquarelle Fillette au chapeau bleu et noir - Marie Laurencin (1913 -14) dont l’attente muette lui ressemblait peut-être.

Je l’avais même surprise une fois s’abîmant dans la contemplation d’une petite reproduction qu’elle ne cachait plus, l’installant en bonne place sur sa table de nuit.

Elle n’eut pas à répondre à la question que je n’avais pas osé lui poser.

 

     Un matin où je m’étais levé après elle j’ai trouvé son trousseau de clefs Le trousseau de clefs rouillées d'après Line Chamaux sur la table du salon ; j’ai pensé à un oubli.

Elle n’est jamais rentrée n’éprouvant certainement plus le désir de le faire.

Ses clefs abandonnées n’avaient plus de sens pour elle, de même que toutes les affaires qu’elle avait laissées dans les placards et les tiroirs.

Je n’ai jamais su où et peut-être vers qui l’avait conduit son exil.

Des amis bien intentionnés m’avaient dit l’avoir vue en bonne compagnie ; d’autres l’avaient croisée lors d’un week-end à Londres ; quelqu’un l’avait vue de ses yeux vue au bord du Gange en train de faire ses ablutions du matin.

Mais pourquoi tous ces gens voulaient-ils à tout prix faire d’une histoire simple une légende ?

Pensaient-ils ainsi me consoler et répondre à mes interrogations ?

De mon côté j’ai préféré l’imaginer toujours diaphane évanescente dans un paysage à moitié effacé Crépuscule après l’orage (aquarelle de Jacques Albert) tout en me contentant de son silence pour toute réponse.

 

            Un sentiment demeure teinté d’une once d’amertume.

  

 

Ailleurs

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Une histoire de village

Posté par BernartZé le 5 août 2016

Topaze (tête de gendarme !)

Le gendarme et le petit mitron

  

            L’un n’était pas plus militaire que l’autre apprenti boulanger.

 

     Leurs comportements respectifs prêtant à confusion il y avait de quoi s’interroger sur leurs identités.

Voisins, ils se donnaient des airs comme pour mieux se défier du regard alors qu’ils ne s’adressaient jamais la parole.

L’aîné -de toute évidence le plus âgé- arborait une mine sévère et se baladait le dimanche à travers le village avec un splendide képi de colonel Képi colonel de gendarmerie dont il était particulièrement fier ; personne n’osait plus le verbaliser pour ce port abusif d’un élément d’uniforme.

Son voisin, pour le toiser peut-être, avait essayé de trouver une toque digne de sa lubie Toque de boulanger ; faute de commerce de boulange encore en activité dans le village, il avait dû…monter sur un toit pour en redescendre autrement coiffé Mitron - sortie de cheminée (après nettoyage).

Sa tête penchait un peu sous le poids mais il était ravi.

 

     Le village Village de T., bien plus de pierres que d’habitants, s’amusait de ce concours de frappadingues.

Durant la semaine les paris étaient ouverts : au lieu de perdre leur argent aux courses, les quarante-six autres administrés se réunissaient à la mairie pour miser sur le bon cheval, à savoir celui qui aurait l’air le plus stupide au sortir de la messe ; nul ne pénétrait couvert dans l’église.

Les critères étant aussi nombreux que subjectifs ils ne tombaient jamais d’accord.

Le but du jeu était de faire partie de la majorité (relative) pour espérer partager les gains : dix francs (nouveaux) misés par personne sauf pour les cinq ou six qui venaient là au spectacle dans l’unique but de se distraire.

Les semaines fastes les gagnants pouvaient rêver remporter cinq francs en plus du remboursement de leur mise.

Pas de quoi déménager (nul n’en avait envie) ; ces deux-là le faisaient tellement bien pour eux tous !

 

     Personne ne se souvenait quand et comment ce jeu de barjots avait commencé entre eux deux.

Sûrement plusieurs décennies mais moins d’un demi-siècle vu l’âge du cadet.

Quelle idée aussi de venir habiter tout à côté…dans la maison mitoyenne qui plus est !

Des rumeurs avaient couru ; on avait dit qu’il était revenu de Chine avec des images de guerre plein la tête bien éloignées de ses rêves calmes et tranquilles originels Chine, 2014.

Sa mère était paraît-il morte en son absence d’une mystérieuse et foudroyante maladie ; il n’en fallait pas davantage pour inventer une légende au cœur du village.

A peu près à la même époque son futur voisin avait commencé à jouer les gendarmes n’hésitant pas à user du Sifflet pour asseoir son autorité afin de faire régner l’ordre dans la bourgade qui lui semblait aller à vau-l’eau.

Il avait rapidement choisi son couvre-chef dans le but d’être pris au sérieux.

Peine perdue, tous riaient sous cape sans s’inquiéter de sa folie légèrement galopante.

Quand le Chinois avait emménagé, son sifflet s’était fait entendre de manière plus stridente et répétée, devenant ainsi son seul mode d’expression.

Il avait toujours l’air furax, comme un coucou hystérique voulant constamment s’échapper de l’horloge Coucou !.

Et lorsqu’il croisait son voisin sa colère semblait redoubler.

 

     Le jour où celui-ci fit une chute mortelle d’un toit après avoir voulu changer de chapeau il n’émit plus un son se renfrogna et ne sortit plus de chez lui.

 

            C’est après l’enterrement que l’on sut qu’il venait de perdre son fils.

 

 

Chat noir, chat blanc

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Envers et contre (tout)

Posté par BernartZé le 21 juillet 2016

Me (by Colin Vearncombe)

Le sourire et la grimace

 

             Sur son visage la tristesse, dans son regard le désespoir.

 

     Épuisé de mourir à petit feu, d’un feu qui le ravageait quotidiennement le plus souvent avec violence, Sypheis avait plus d’une fois envisagé le pire.

 Mais il avait vite réalisé que, le vivant déjà, il ne pouvait pas craindre un sort plus funeste.

Alors sans se plaindre il avait enduré cette épreuve qui avait fini par emplir toute son existence.

Il avait engagé le combat absurde qu’une force supérieure semblait avoir choisi de lui imposer, par provocation par jeu ou par défi peut-être.

A lui d’apprendre l’endurance, à lui de serrer les dents et les poings et de refuser le rôle de victime désignée.

Il ne se livrerait pas.

 

     Il lui était impossible de se souvenir de l’instant où sa vie avait basculé ; sans doute avait-elle plutôt glissé progressivement alors qu’il n’en prenait pas véritablement conscience les premières années.

La lutte lui paraissait alors « normale », imaginant que chacun vivait ainsi sans pour autant en faire étalage.

Il mettait un point d’honneur à se montrer aimable, quitte à arborer un sourire de façade.

Les « discussions entre collègues » de bureau lui enseignèrent que beaucoup étaient satisfaits de la vie qu’ils menaient, partagés entre le travail qui les épanouissait et une harmonie familiale qui les rendait globalement heureux.

Se satisfaire d’une existence globalement heureuse ne lui faisait pas envie.

Il avait eu des rêves de grandeur pleins de prétention et des espoirs aussi extravagants que déraisonnables.

Il avait eu vingt ans, puis trente ; des amis bien intentionnés lui conseillèrent d’aller consulter Psy assis couché ou debout ne serait-ce que pour tenter de reprendre la maîtrise d’un esprit qui leur semblait vaciller un peu.

Il n’en fit rien mais c’est alors qu’il commença sérieusement à s’interroger sur son quotidien et les raisons pour lesquelles il avait de plus en plus de mal à vivre.

Les questions existentielles défilèrent une à une, puis vint l’heure de reconnaître l’évidence de son dysfonctionnement chronique qui le poussait souvent à agir contre son intérêt.

Le ver était dans le fruit ; le compte-à-rebours était lancé.

 

     Au fil des ans le piège se referma sur lui ; de plus en plus pris dans un engrenage dont il ne pouvait échapper il se durcit dans l’épreuve en espérant continuer à faire illusion.

Quand son physique commença à donner des signes réguliers de fatigue, son mental, déjà bien éprouvé, apprit à repousser ses limites.

Quand vint la maladie, il n’était plus l’heure de nier que son corps commençait véritablement à ne plus en pouvoir.

Les problèmes de santé se succédèrent à un rythme éprouvant jusqu’à le rendre exsangue.

Jetant un regard à son miroir il vit qu’il n’était plus capable de sourire tant la douleur s’était emparée de son corps en de multiples endroits.

C’est à force de croiser dans la rue des inconnus qui le regardaient avec un air compatissant que, retournant au miroir, il vit qu’une grimace avait remplacé toute esquisse de sourire Grimace (Franz-Xaver Messerschmidt).

Il avait l’air d’autant plus pathétique qu’il croyait passer inaperçu.

 

            Sypheis ne cessa jamais, chaque jour, d’être surpris de ne pas avoir encore lâché prise en découvrant que ses limites étaient presque sans fin, lui permettant d’endurer plus que ce qu’il pensait pouvoir supporter.

Ne croyant pas davantage à une malédiction qu’à une punition divine, il n’essaya plus de comprendre pourquoi sa vie avait ainsi dérapé au point de lui en faire perdre le contrôle.

 

     Il n’a plus jamais réussi à sourire.

 

 

Around midnight (by Colin Vearncombe)  Passé minuit des algues semblaient lui pousser sur la tête…

(Merci à C.V. R.I.P pour sa contribution artistique)

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | 4 Commentaires »

Nyctalopie

Posté par BernartZé le 18 juillet 2016

Noctambus  Noctilien

Changement de siècle

  

            Contrairement aux chats les bus de nuit ne sont pas tous gris.

Certains êtres le sont parfois…

 

     Il y a fort longtemps, au XXème siècle, il m’arrivait fréquemment d’utiliser les bus de nuit ; à cette époque les Logo Noctambus n’avaient pas encore été remplacés par ceux du réseau Logo Noctilien et le N°21, par exemple, n’avait pas alors eu l’idée de pousser le Noctambus J dehors, substituant ainsi des numéros à l’alphabet.

Qu’importe puisqu’il leur est avant tout demandé de rouler la nuit lorsque le métro a fermé ses grilles.

 

     Ces longues nuits passées loin de chez moi ne donnaient jamais lieu à une tournée des bars ou des boîtes dites branchées dont je n’avais (déjà) que faire.

Il s’agissait simplement de soirées entre amis, en nombre très restreint, durant lesquelles nous parlions beaucoup, mangions plus ou moins et buvions parfois un peu trop ; certains fumaient en plus.

Rien d’extravagant ni de décadent, juste le plaisir de partager des heures et le bonheur de goûter à la convivialité.

Cette notion m’était totalement inconnue, ne faisant pas partie de mon éducation familiale ; je l’avais découverte, étonné, quelques années auparavant.

J’étais plus jeune (évidemment !) et avec une naïveté non feinte je ne cessais de me demander si je ne rêvais pas en réalisant qu’il était possible de ne pas être constamment seul dans sa tête mais -au contraire- de bénéficier des pensées et des réflexions d’autrui.

C’était le plus souvent ludique et spontané, allant jusqu’aux actions « coup de tête » comme cette nuit où nous étions tous soudain descendus vers une ou deux heures du matin de la chambre de bonne (sous les toits bien sûr) pour aller acheter un jeu de Monopoly au Drugstore Publicis Drugstore Publicis qui faisait l’angle au carrefour.

Et de jouer comme des gamins tout le reste de la nuit…à coups de cola et de pâte à tartiner !

Pour moi qui n’avais jamais été insouciant c’était une vacance salutaire.

 

     Et donc, passées ces années de première jeunesse (!), je retrouvais chaque semaine ces autres amis qui n’habitaient pas sous un toit ni dans un espace de 9 m² ; pas de soupente mais des hauts murs un véritable canapé et un balcon fleuri.

Le confort chez les autres avait pour moi l’aspect d’un décor de théâtre, une scène offerte sans rôle à jouer.

A chaque fois j’aimais retrouver ces lieux sachant que nous passerions des heures que je garderai ensuite précieusement au fond de mon cœur.

J’aimais me rendre utile multipliant pour eux sans effort les allées et venues entre le salon et la cuisine.

Ce n’était pas du dévouement ; je ne faisais que goûter au plaisir de faire si possible plaisir.

Les heures s’écoulaient à une vitesse incroyable ; je ne me fatiguais pas, eux finissaient par lâcher un peu prise en s’éteignant doucement.

Pour éviter de me sentir poussé gentiment dehors je les encourageais à aller se coucher quand je voyais leurs paupières se fermer de plus en plus souvent.

Afin d’anticiper l’heure de partir je pensais aux horaires du bus de nuit qu’il me faudrait prendre ; un passage par heure, avec l’interdiction de le manquer sous peine de devoir parfois attendre dans des conditions climatiques -en plus de la fatigue qui commençait à se faire sentir- peu sympathiques.

Un œil sur la montre, je me faisais, tandis qu’ils dormaient déjà, un « devoir » de débarrasser la table afin de faire place nette dans le salon et de…faire sans bruits la vaisselle.

Personne ne m’avait jamais rien demandé mais sans doute était-ce pour moi une façon de me retirer ensuite sur la pointe des pieds.

 

     Dehors la nuit, souvent vers trois ou quatre heures du matin, le froid et la crainte d’avoir raté le bus qui avait certaines fois l’idée saugrenue d’être en avance.

C’est ainsi qu’il m’est arrivé, pour ne pas piétiner là une heure, de rentrer chez moi à pieds en traversant toute la ville ; armé de mon seul courage et en rythme Walkman !

La plupart du temps, j’avais heureusement le loisir de voir défiler les rues que je connaissais bien diurnes by night les voyant sous un autre « jour » et avec un tout autre état d’esprit.

Un recul sous forme de décalage dû certainement à l’alanguissement qui me prenait mais surtout à la présence de toute une population hétéroclite et étonnante regroupée dans ce véhicule qui nous ramenait tous chez nous.

La seconde ligne de noctambus qu’il me fallait emprunter pour retrouver mon home sweet home était emplie de gens joyeux las ou fatigués.

Écrivant par jeu dans mon calepin, je notais les mines de chacun : ceux pour qui la nuit n’était peut-être pas encore finie, ceux qui revenaient d’un travail harassant et ceux qui sombraient déjà dans un sommeil profond, plus noirs que gris.

Dans un espace réduit se trouvaient par hasard des individus concentrés le temps d’un parcours ; malgré la promiscuité ils ne se voyaient pas et ne se reverraient sûrement jamais.

Seuls parlaient à voix haute des fêtards noctambules, les autres ayant apparemment perdu cet usage par trop de lassitude.

 

            Sans jamais avoir -moi non plus- parlé à personne je quittais ces inconnus avec une pointe de regret, cependant soucieux de ne pas manquer mon terminus ; cela s’est naturellement produit une ou deux fois par mégarde ou par pure distraction.

Une cinquante de mètres plus bas j’étais de retour chez moi où le chat installé au coin du lit m’attendait avec l’impatience du félin dont l’heure du diner était depuis longtemps passée.

 

 

Coussin chat 

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Une fille des fils

Posté par BernartZé le 9 juin 2016

En route pour la gloire

En route pour la gloire

  

            De sa Thaïlande natale elle avait conservé très peu d’images : deux ou trois photos et quelques souvenirs.

 

     Elle se rappelait très bien par exemple le goût de la soupe au poulet et aux vermicelles de soja Soupe thaï au poulet et aux vermicelles qu’on lui servait tous les midis et tous les soirs ; elle mangeait souvent seule, ses parents étant très occupés ailleurs.

Tous deux enseignants missionnés par l’état français pour aller planter quelques graines de culture dans un pays inconnu, ils étaient partis à l’aventure cinq années avant sa naissance qui n’était pas précisément attendue et qu’ils prirent en souriant comme toutes les surprises -bonnes ou mauvaises- que leur réservait le destin.

Sa mère s’était dépêchée d’accoucher afin de ne pas perdre un temps précieux et vite retrouver son mari et leurs croisades.

Elle n’allaita pas, une autre le fit pour elle ce qui était fort pratique ; et puis après tout la petite ne pouvait voir la différence, le plus important étant qu’elle fût nourrie à heures régulières et qu’elle dormît bien.

Dans la maison sur pilotis Maison sur pilotis en bord de route, parents et enfant ne se croisaient pas souvent pour de simples questions d’horaires assez peu compatibles.

Elle revoyait bien le jour où une gouvernante l’avait conduite à son premier goûter d’anniversaire ; elle se souvenait parfaitement des deux frères Deux frères qu’elle n’avait pas quittés durant la « fête » (un peu triste), un grand sage aux oreilles décollées et un petit joufflu.

L’aîné au nœud papillon était supposé être au cœur de toutes les attentions le jour de ses six ou sept ans et il paraissait oublié dans son coin, flanqué de son frère à la mine apeurée.

Elle ne les revit jamais.

 

     C’est le lendemain que les médecins décelèrent chez elle un souffle au cœur et que ses parents alertés prirent la décision de retrouver leur mère patrie, neuf ans après l’avoir quittée, pour la faire soigner au mieux.

Assez rapidement fut diagnostiqué l’aspect bénin (anorganique) de ses souffles cardiaques et tout rentra dans l’ordre.

Ils purent enfin défaire tous les trois les cartons et s’installer dans un joli petit mas de Provence Mas de Provence tout pierreux tout fleuri…directement construit sur un terrain herbeux.

Tandis que ses parents éprouvaient certaines difficultés à se réadapter à une vie plus quotidienne, elle grandit en rêvant, reprenant tranquillement des couleurs non loin d’un champ de tournesols PICT5827.JPG ; un vrai cliché d’enfance !

En surveillant son souffle, à plat ventre sur son lit, elle dévorait émerveillée les pages d’une revue de cinéma Revue Cinemonde (n°475 - 1937) très en vogue.

Elle se voyait déjà…

 

     Elle avait une mauvaise vue ; myope et astigmate, ce qui faisait beaucoup pour voir loin !

Même dotée d’une ancienne paire de jumelles de théâtre Ancienne paire de jumelles de théâtre (héritée de sa grand-mère paternelle qu’elle n’avait pas connue), son regard et ses ambitions n’avaient pu la mener jusqu’aux planches, ni sur le moindre écran, pas même le plus petit.

Elle eut heureusement l’intelligence et la présence d’esprit (le courage du renoncement ?) de ne pas en faire un drame.

Elle vécut, aimant plus que jamais les tournesols.

 

            Quand elle devint mère elle se souvint des deux petits garçons du goûter d’anniversaire ; ses fils leurs ressemblaient beaucoup.

 

 

De films en bobines

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Par anticipation rétroactive

Posté par BernartZé le 22 mai 2016

Vous qui Passat (Volkswagen) sans me voir

  

            Ce mardi-là j’étais de bonne humeur ; il ne pleuvait pas et je m’apprêtais à fêter mes trente printemps en cette veille d’un nouvel été.

 

     Je pédalais calme et tranquille sur mon petit vélo Vélib' ; enfin pas tout à fait tranquille étant donné son poids conséquent et mes forces musculaires dignes de quelqu’un toujours à la veille de se remettre à faire un peu de sport, juste histoire de se maintenir en forme.

Ma trop grande négligence faisait que nous n’étions pas très loin d’afficher le même poids !

Mais je m’en balançais ayant décidé de goûter pleinement cette journée du 20 juin 2023 ; hors de question qu’elle puisse s’avérer aussi funeste que celle de l’année précédente qui nous avait laissé nous éloigner d’accord sur nos désaccords définitifs.

Une page s’était tournée, plus lourde que le bicycle sur lequel je transpirais déjà au bout d’un premier quart d’heure d’efforts.

J’avais porté le deuil durant suffisamment longtemps pour refuser de commencer une nouvelle décennie empreint de tristesse et de nostalgie ; inutile de revenir en arrière et de pédaler à rebours comme un pauvre diable !

Et cependant -sans m’en rendre compte- je remontais la Butte-aux-Cailles toisant la piscine et faisant un coucou à Verlaine La Fontaine Verlaine ; j’avais longtemps travaillé dans ce quartier dans lequel je n’avais pas remis les pieds ni les roues depuis de nombreuses années ; ce matin-là l’idée d’une balade m’était venue sous prétexte de me faire du bien.

Quelle drôle d’idée de retourner dans cet arrondissement où j’avais de si nombreux souvenirs !

D’autant que par la suite j’étais redescendu pour rouler un peu vers le nord et traverser le boulevard jusqu’à atteindre les rivages où nous avions vécu.

 

     C’est dans l’avenue des Gobelins dont je connaissais par cœur toutes les salles de cinéma (presqu’aussi bien que celles tant chéries du Quartier Latin) que je me suis soudain arrêté.

Je t’ai aperçue de l’autre côté de l’avenue descendant de voiture ; une familiale qui semblait bien remplie : un passager avant et le plein d’enfants ; une seule année pourtant s’était écoulée.

Vous ne m’avez bien sûr pas vu sur mon « petit » vélo stoppé dans son élan.

J’ignore ce que tu semblais chercher le nez en l’air ; je sais simplement que j’ai regretté cette balade sur les lieux d’hier.

Quel intérêt de se faire plus de mal que de bien en se replongeant ainsi dans un passé qui restera à jamais présent ?

Nous ne sommes plus, soustraits l’un à l’autre.

 

     Ras-le-bol des éternels retours L'éternel retour (Jean Delannoy, 1943), la vie n’est pas un art et fait rarement dans la dentelle !

Ce serpent qui se mord la queue est à bannir désormais ; à vomir Le serpent qui se mord la queue !

 

            Ce 20 juin 2023 s’est achevé seul, comme il était prévu.

La tête dans les nuages plutôt que dans le guidon.

 

Parisien en vadrouille 

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | Pas de Commentaire »

Revoir Paris

Posté par BernartZé le 19 avril 2016

Les yeux au ciel

La consolée

  

            En fait elle devint veuve cinq années après la mort de son mari !

 

     Cette incongruité était survenue un soir, la prenant totalement de court.

Sa journée de travail achevée, il était tombé par mégarde de la fenêtre de son bureau.

Elle le savait maladroit et distrait, pas au point de confondre une porte avec une baie vitrée.

 

     Elle l’avait attendu toute la soirée pour dîner ; les soles avaient fini par tourner de l’œil Soles, étouffées dans un bain de vapeur, cuites et recuites.

Tout en commençant à s’inquiéter, jetant des regards de plus en plus fréquents à l’horloge Carillon mécanique à balancier, elle se rassurait en se souvenant qu’il n’était pas rare qu’il doive improviser des séances de travail nocturne, oubliant parfois de la prévenir.

Et à force de fatigue et d’attente elle s’était endormie sur le canapé, vaincue.

 

     A son réveil, hébétée, elle mit un long moment à se souvenir des raisons pour lesquelles elle n’était pas dans son lit et à réaliser que l’après-midi était bien entamée.

Et le téléphone sonna.

Elle dut se rendre d’abord au bureau de son mari où la secrétaire lui expliqua qu’elle ne comprenait pas, ne savait pas, ne pouvait deviner le pourquoi de sa disparition ; selon elle tout était normal, c’est-à-dire comme d’habitude, quand elle était partie la veille à dix-huit heures ; il lui avait souhaité de passer une bonne soirée comme à chaque fin de journée.

Au commissariat de police on lui dit que la disparition n’ayant pas un caractère inquiétant il n’y avait pas lieu de déclencher si tôt une enquête.

Et elle était rentrée seule chez elle.

 

Elle avait beaucoup dormi tout le reste de l’année.

L’enquête finalement menée avait suivi son cours et au bout de douze mois un diplôme lui fut décerné : un « certificat de vaines recherches » lui fut délivré faute de plus amples informations sur une disparition désormais officiellement reconnue.

Elle continua à l’attendre et à espérer tout en revenant doucement à la vie.

 

     Le temps avait passé, elle avait repris le goût de sortir revoyant quelques amis qui s’abstenaient de lui parler de lui.

Elle vivait toujours seule remontant désormais elle-même l’horloge du salon une fois par semaine ; elle aimait bien le bruit de la clé Clé remontoir pour horloge qu’il fallait lentement tourner.

Cela lui permettait de penser à ses jeunes années.

Pas le temps de devenir mère, juste celui d’être aimée.

 

            Un soir elle découvrit par hasard une lettre à peine cachée à plat désignée par la pointe du pendule.

Il lui disait ne plus supporter sa vie ses mensonges et ses trahisons.

Cinq ans après sa soudaine disparition on fouilla la terre et les bosquets au pied de l’immeuble où il travaillait.

Elle put enfin porter le voile le temps d’une cérémonie, avant de le quitter définitivement.

 

     Levant les yeux au ciel elle revit enfin Paris.

 

 

Office at night - Edward Hopper, 1940  Night Windows - Edward Hopper, 1928 

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | 1 Commentaire »

Un conte anhumain

Posté par BernartZé le 20 mars 2016

Le poids des ans

Le poids des ans

 

            Quelque part, au fin fond de l’Australasie vivait dans un zoo un Flamant rose.

 

     Gentiment surnommé Elder il était veuf depuis plus de vingt-cinq ans, sa compagne n’ayant pas survécu à une attaque de moustiques plus terribles et tenaces que le vent ou le froid cette année-là.

Inconsolable il avait mis longtemps avant de parvenir à faire son deuil au point d’inquiéter gravement les médecins et les soigneurs voués à s’occuper de plus de quinze-mille âmes.

Tous ces habitants partageaient le bonheur de vivre sur près de douze-mille hectares.

Chacun était spécial et unique mais Elder, par son histoire incroyable sans doute, avait une aura particulière.

Il avait beaucoup voyagé, vécu deux guerres et avait été laissé pour mort lors d’un massacre quand il avait douze ans.

Seul un miracle et une intervention divinement humaine l’avait sauvé ; de multiples opérations beaucoup de chaleur et des soins répétés durant près de deux ans lui avait permis de passer d’un presque trépas à une seconde vie.

 

     Dix ans passés avec son alter-égo en talons rehaussés d’une belle nuance de rouge, le deuil, et puis un autre amour au regard pesant Shad qui l’avait captivé dès leur première rencontre entre deux eaux et des branches d’arbre.

Shad était intense hypnotique et secrète ; après dix mois d’amitié ils s’étaient avoués d’autres sentiments, se confiant davantage.

C’est ainsi qu’il avait partagé la perte de ses enfants Slim et Slima quand elle vivait au Zimbabwe.

Leurs peines les avaient réunis ainsi qu’une admiration réciproque ; longs avaient été leurs périples jusqu’en Australasie.

 

     Le jour de son anniversaire il ne cessa de danser sur un pied et puis l’autre, sans parvenir à savoir s’il se sentait heureux d’avoir vécu un demi-siècle ou bien s’il déplorait d’être vivant malgré l’âge et les deuils.

Shad tenta vainement de le rassurer ; les bougies Flamme ascendante se consumèrent en des flammes ascendantes.

Le gâteau plein d’artémies Artémies et de trucs à quinze-mille bouts d’antennes ne le ravit pas faute d’appétit.

Il fit semblant de se réjouir alors qu’il était un peu las et ailleurs.

 

            Demain quatre-vingts ans ; il volera encore…

 

 

time concept, selective focus point, special toned photo f/x

(© 2016/droits réservés)

Publié dans Un peu de lecture inédite | 2 Commentaires »

12345...7
 

60 millions de cons somment... |
riri1524 |
Le Plateau Télé de KeNnY |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Soft Liberty News
| t0rt0ise
| Bienvenue au Thomaland