Aphorismes, citations, fulgurances et délires verbaux en tous genres (!)
Posté par BernartZé le 12 novembre 2009
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Posté par BernartZé le 12 novembre 2009
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Posté par BernartZé le 8 novembre 2009
Peux plus !
La Mer était vidée, épuisée, à bout de forces, à force de monter et descendre, selon les caprices des marées successives.
Le flux et le reflux…me donnent le mal de mer.
A force, rien d’étonnant si j’en ai des haut-le-cœur !
Toutes ces figures imposées me contraignent à alterner le calme et le déchaîné.
J’en ai vu voguer des barques et des navires, des enseignes de tous poils et de toutes les couleurs, prétendant me prendre pour aller je-ne-sais où, pour y faire je-ne-sais quoi.
Ils m’ont fait toutes les crasses possibles et imaginables, voire davantage.
Entre ceux qui voulaient s’offrir un tour du Monde, en me roulant dessus, et les autres partis chasser les baleines, les sardines ou les cachalots ; j’en ai vu des marins (combien de capitaines ?), bouillant de défier mes océans pour de bonnes mauvaises raisons.
Peu leur importaient alors mon humeur et mon écume, mes états d’âme ou mes graves dépressions.
Et s’ils n’en revenaient pas, c’était forcément de ma faute.
Je suis cyclothymique et n’y puis vraiment rien, malgré tous mes efforts répétés pour me contrôler et me soigner.
De mémoire, il me semble bien, pourtant, qu’un ou deux poètes des siècles passés avaient su me comprendre sans oser me défier.
Etaient-ils d’une nature plus lunaire ou lunatique, ou simplement plus maritime ?
Toujours est-il qu’ils avaient percé certains de mes secrets qui me sont encore trop souvent étrangers.
Dans mes colères, je m’emporte contre la terre entière et tous ses habitants qui me maltraitent sans vergogne et me polluent, sans se soucier des conséquences directes pour ceux que j’abrite en mon sein.
Je les vois, tous les jours, mourir d’asphyxie et d’empoisonnement.
Certains, à peine nés, deviennent vite orphelins, quand ce n’est pas à leurs parents de porter le deuil de leur nouvelle progéniture.
Le chagrin est partout, la désolation règne à présent au cœur de tous mes océans et dans celui de toutes mes filles, mers du Nord ou du sud, d’un hémisphère à l’autre.
Si seulement je savais vers quel astre ou planète, vers quel Dieu me tourner !
De désespoir, tous mes bras m’en tombent.
Et, cernée de toutes parts, la Mer, dans un ultime sursaut d’énergie et d’orgueil, rompit toutes ses digues et envahit les terres…
(© 2009/droits réservés)
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Posté par BernartZé le 27 octobre 2009
Euh…ben si !
On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans ?
Ce soir j’ai quarante-douze ans et je me souviens.
Je me souviens très bien…de ce que je me suis dit ce matin-là, il y a un an, il y a un siècle, il y a une éternité.
On ira où je voudrai, quand je voudrai et…basta !!
J’avais, certes, le tort, alors, de ne boire ni des bocks de bière, ni de la limonade ; nul n’est parfait.
J’étais seulement empli des plus folles espérances, des désirs les plus ardents, et ma tête et mon cœur se partageaient le même champ de bataille.
Je m’inquiétais de tout, sauf de savoir si…l’on s’aimerait encore, même une fois l’amour mort.
Graves erreurs de jeunesse !
Sans doute ai-je manqué de promenades, de tilleuls et de cafés éclatants.
En contrepartie, j’ai connu tant de divagations, de griseries, de frissons, sans même recourir à une seule flûte de champagne !
Sans -non plus- de « cavatine » aux lèvres, mon palpitant s’est tout de même affolé plus d’une fois pour aller caracoler à tue-tête, là-haut sur une montagne à marée basse.
Aujourd’hui je suis très loin de ce matin d’automne printanier, mais c’est comme si j’y étais.
Où suis-je donc, au fait, et que fais-je ?
Est-ce que j’existe encore pour…moi-même -et moi seul- et dans quel état j’erre (évidemment !) ?
Autant de questions affreusement existentielles qu’il n’est pas saugrenu de se poser en ce joli soir de juin ou de mai.
Plus de vague, plus de dune et presque plus de sable ; plus moyen de revenir en arrière.
Le rembobinage n’est plus de mise !
Laissons alors la plage aux romantiques et toquons discrètement à la porte d’Arthur pour savoir s’il pensait vraiment ce qu’il a écrit.
Mais y’a plus person qui répond !
Dommage.
Moi j’aurais bien voulu savoir s’il s’est jamais douté du poids qu’il ferait -définitivement- peser sur toutes les épaules de toutes les générations d’adolescents à venir.
L’inconscience de la jeunesse…!
Je n’ai plus qu’à me coucher sur le sable.
Je n’ai jamais eu dix-sept ans…
(© 2009/droits réservés)
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Posté par BernartZé le 19 octobre 2009
A quoi servent les fausses blondes ?
- A rendre les apparences trompeuses.
– A se prendre (inutilement ?) la tête.
– A faire fantasmer les mâles en manque d’imagination.
– A spirituellement « incarner » un fourreau (l’arme fatale).
– A décomplexer les imbéciles.
– A courir derrière un citron (vert) qui roule seul à terre.
– A faire parler les bavards.
– A rien.
Mais ce serait sûrement un peu trop facile, non ?
A…l’origine du 7ème Art il y eut la blonde, simple question de contraste dans ce nouveau monde de noir et blanc, muet qui plus est !
De là à penser qu’elle, d’office, n’avait nullement besoin de parler pour s’exprimer, il n’y aurait plus qu’un pas à franchir pour dépasser le seuil de pauvreté…cérébrale.
Ah, vous autres, hommes faibles et merveilleux qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu ! (c’est de Tennessee Williams et non de…Michel Berger, encore moins de Johnny H. !)
…Je suis « la main posée sur votre épaule » qui vous repousse vers votre vie en vous disant : allez au diable, si vous me croyez tout bêtement stupide, parce que cela vous arrange bien !
Je suis blonde (et alors ?!) et, si vous vous arrêtez à ce genre de détail, ma main n’a pas davantage de raisons de se montrer tendre et légère que ma botte au bas de votre dos !
Que ma blondeur soit naturelle ou de passage, ne vous regarde en rien.
Ai-je l’idée, moi, de me soucier de savoir si vos têtes d’ahuris sont bel et bien réelles et…définitives ?
Je suis blonde et si cela ne vous plait pas, occupez-vous des brunes ; ça me fera des vacances !
Si vous pensez encore, non sans suffisance, que je risque un…traumatisme ukrainien (vous aimeriez croire qu’il s’agit là d’une grosse bourde de bécasse blonde ; hein ?) simplement en m’adressant à vous de la sorte, c’est que vous êtes irrémédiablement perdus pour l’ensemble de la gente féminine.
C’est seulement dommage pour vous.
Bien heureusement, vous aurez tout loisir, jusqu’à votre mort certaine (y songez-vous, parfois ?), de continuer à vous distraire -à moindre frais- avec des plaisanteries plus ou moins salaces sur toutes les blondes, en compagnie de votre horde de copains, issus de votre bon vieux régiment ; puisse que cela vous amuse…
Mais vous prendrez surtout garde de ne jamais croiser mon chemin.
(© 2009/droits réservés)
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Posté par BernartZé le 15 octobre 2009
Une vie de gigolo
– Tu te rends compte, tu aurais pu mourir !
– C’était un peu le but, tu sais.
A quarante ans passés, quelle santé ne faut-il pas pour demeurer gigolpince !?
A quel âge le glas de la retraite se fait-il entendre pour un vieux beau entretenu ?
Cela dépend -sûrement- directement de celui de la riche rombière.
Depuis une bonne dizaine d’années ces interrogations tournaient en rond, traçant des cercles concentriques dans le même coin de son cerveau.
Encore quelques années comme ça et c’est les nerfs optiques qui seraient attaqués !
Ce n’est pas un métier dans lequel on peut faire de vieux os, encore moins une vieille peau.
Toujours cette éternelle question de l’âge et du temps qui passe sans que l’on se voit décrépir !
Il ne l’avait jamais ignoré et pourtant il lui semblait, particulièrement aujourd’hui, découvrir -dans le miroir- l’œuvre que tout le temps écoulé avait fait !
A cette heure, un unique constat : le délabrement était bien avancé.
Le cœur n’y était plus, ce qui, « moralement », lui paraissait de plus en plus insoutenable.
Cette vie-là l’avait réellement ravi durant plus d’une décennie.
Son être entier au service du paraître ; tout était bon pour se mettre physiquement en valeur pour le plus grand plaisir de la gente féminine !
A dix-huit ans à peine, on le complimentait déjà sur sa belle gueule de Valentino.
Le regard sombre, la paupière spontanément lourde, il se força à fumer pour se donner plus de prestance.
Il consacra toutes ses heures à l’étude.
En observant les vrais fumeurs, en regardant de vieux films, il trouva le geste naturel, la pose discrètement élégante dans le reflet de son miroir, après des journées entières de travail, à répéter sans relâche, à corriger impitoyablement le plus petit défaut.
L’œil critique, toujours, il s’évertua à apprendre à ne presque pas sourire.
Sinon, c’était risquer inutilement d’avoir l’air à moitié niais, ou donner l’impression de grimacer pour cause de caillou aventuré dans une chaussure.
Ses premières conquêtes le rassurèrent bien vite, certaines tombant littéralement en pâmoison.
Pourtant, il conserva quelques inquiétudes sur son potentiel et ses capacités, ne serait-ce que par son absence totale d’abnégation. Il ne se sentait nullement l’âme d’un secouriste, encore moins celle d’un membre du corps médical.
Malgré des doutes bien légitimes, il prit vite de l’aisance, jusqu’à faire preuve d’audace.
Afin de se donner les moyens d’atteindre son objectif, il dressa un plan de bataille cartésien.
Avec rigueur et méthode, il s’appliqua à relever des défis de plus en plus importants, tout en s’efforçant de gommer les insuffisances susceptibles de nuire à son futur statut.
Durant cinq années, il n’eut de cesse de se perfectionner.
Bientôt il serait prêt.
Deux jours avant son vingt-cinquième hiver, il décida de se lancer dans le grand bain et de passer professionnel.
Il avait entendu parler d‘un endroit où, disait-on, des hommes pouvaient facilement rencontrer certaines femmes susceptibles de les entretenir si…plus et affinités (!)
Mieux encore, on lui avait précisé de commander « un thé au jasmin ».
A croire qu’il s’agissait là d’un obscur mot de passe pour pénétrer dans le monde des amours tarifées et entrer en contact avec celle qui pourrait devenir sa première bienfaitrice.L’adresse à laquelle il se rendit pour son baptême était fameuse.On n’avait pas manqué de lui stipuler d’aller directement au sous-sol, là où tout se passerait s’il avait de la chance et du succès.Il avait mis des heures à se préparer, revoyant cinq ou dix fois chaque détail, choisissant minutieusement les accessoires qui lui permettraient, peut-être, de se faire remarquer.Ayant tout peaufiné, il prit enfin conscience que le plus important tiendrait sans doute dans sa capacité à se laisser aller avec naturel, tout en gardant son plus grand sang froid et du même coup le contrôle des opérations.
Cependant, lors de cette première fois, il éprouva tout d’abord un trac monstrueux, comme celui – croyait-il – du comédien montant sur scène.
Il se sentit tout déconfit, tout craintif, tout petit, comme retombé en enfance.
Et Dieu seul savait qu’il n’avait pas oublié combien il avait dû mener une lutte sans merci contre une timidité maladive qui s’était évanouie, comme par miracle, dès son entrée dans l’adolescence !
Mais ce jour-là, avec son -presque- quart de siècle pour le rassurer, il se rengorgea bien vite, si tôt assis à sa table.
Il avait sciemment décidé de s’installer au centre de cette vaste pièce et de faire le beau nonchalamment, mais de façon toute étudiée.
Distraitement, il jetait des œillades alentour.
D’abord au hasard, jusqu’à ce que son excellente vision périphérique lui permît de remarquer une femme qui lui parut immédiatement plus seule et isolée que toutes les autres.
Elle avait l’air ailleurs, ne semblant rien attendre et surtout pas la venue de quelqu’un comme lui.
Quel âge lui donnait-il ?
Une jeune quarantaine, peut-être, et des illusions automnales pour ne pas dire crépusculaires.
A distance raisonnable (pour ne pas être vu ; mais elle s’en moquait bien) elle ne lui parut ni spécialement belle, ni spécialement laide, ni particulièrement riche, ni particulièrement…rien.
Voilà : elle n’avait l’air de rien et c’était pour cela que son regard s’était attardé sur cette femme un peu triste qui avait dû se tromper totalement d’adresse.
Tout en la considérant, avec de plus en plus d’attention, comme une simple erreur de casting, il se dit que…après tout, pourquoi ne pas commencer à fourbir ses premières armes en tentant de l’approcher ?
Et c’est ce qu’il se mit précisément en tête de faire, se donnant de l’aplomb en se répétant son alexandrin préféré : « Encore un mot, un seul, et je vous translucide ! »
S’il n’ignorait pas l’usage abusif d’un adjectif (voire d’un nom) pour tenir lieu de verbe -mais c’était justement ce qui l’amusait !-, il était absolument incapable de se rappeler où il avait trouvé cette phrase sémillante.
C’était à se demander s’il ne l’avait pas inventée tout seul un soir d’extrême liquéfaction alcoolisée.
Non, tout de même pas !
Quel que pût être l’auteur de cette saillie remarquable (question d’opinion !), il continuait à douter de son sens ; et d’ailleurs en avait-elle réellement un ?…
Peu importait.
Histoire de mettre une bonne part de son cœur à l’ouvrage, il choisit de le porter en bandoulière pour faire un pas vers la table où se trouvait l’inconnue.
Restait à déceler le moment le plus opportun pour se lever.
A l’observer, il tenta de la deviner pour mieux la séduire.
Mais elle ne regardait pas vers lui. En fait, elle ne regardait absolument personne.
Seule sa table semblait lui importer.
Depuis combien d’heures était-elle assise là ?
Il ne l’avait vue ni boire ni commander quoi que ce soit.
A force de chercher une amorce, il finit par trouver une idée.
Et s’il osait aller lui proposer poliment, non sans une certaine hardiesse, de partager son « thé au jasmin » ?
Ayant découvert que son goût ne le portait pas naturellement vers ce genre de breuvage, il n’éprouverait aucun chagrin et pas la plus petite gêne à se priver, pour elle, de quelques décilitres.
Et puis, pour ce que son thé lui avait rapporté de rencontres jusqu’à présent !
De toute évidence, il ne suffisait pas d’en boire tranquillement pour se faire facilement remarquer.
A lui, donc, de provoquer la chance…tout en sachant patienter.
Alors qu’il se faisait la réflexion que, mine de rien, depuis près d’une heure, ses regards ne s’étaient pas portés sur une autre femme, il la vit soudainement s’affaisser sur sa table, comme prise d’un léger malaise.
Les yeux, plus que jamais, perdus dans le vague, elle lui donna l’impression de s’abandonner totalement à une profonde mélancolie.
Apparemment accablée, elle tentait d’enfouir sa tête dans le creux formé par ses bras repliés où son ultime soutien se nichait peut-être.
Quelqu’un devait se lever pour lui porter secours ; il se dévoua.
Si véritablement toute femme était une île, il se demanda, une fois debout, où il pourrait bien jeter l’ancre afin d’aborder celle-ci.
Tout en naviguant à vue, il hésita, virant à bâbord, puis à tribord et décida finalement de faire quelques portions de mile supplémentaires, quitte à tourner en rond.
En fait, il avait peur d’être mal accueilli au point de se sentir brutalement importun.
A un moment ou l’autre il lui faudrait se décider.
Ne tenant plus compte d’éventuels vents contraires, il se risqua.
Au péril de sa vie, ou plutôt de sa fierté au cas où il serait directement rejeté à la mer, il échoua à ses côtés, à une bordée de table.
Le trac le reprit soudain, du même coup la panique et naturellement cette bonne vieille timidité qu’il croyait avoir -à tout jamais- envoyé ad patres.
Après avoir presque failli trébucher, il faillit bredouiller pour finalement ne rien dire.
Et elle qui ne s’était pas même rendu compte de son approche !
L’ayant remarqué, il redoubla de courage pour oser articuler :
– « Excusez-moi de vous importuner, mais…me permettriez-vous de vous proposer mon aide ? »
Ouf ! Il avait fini par réussir à lui parler.
Toujours aussi lasse, elle sembla consentir à hausser un sourcil, le gauche.
Prenant son air le plus ténébreux, faisant appel à ses origines plus que méditerranéennes et à un culot dont il ignorait tout, il s’autorisa l’impensable et s’assit, sans y avoir été invité.
Elle ne broncha pas et ne pipa mot.
Devait-il considérer sa non-réaction comme une invite ou bien comme un rejet définitif lui intimant l’ordre de disparaître ?
Perplexe, il opta pour l’immobilité des statues de cire durant un temps infini.
Cinq secondes plus tard, n’y tenant plus, il aventura un « bonsoir » engageant plein de retenue.
Enfin, elle leva la tête et il lui sembla soudain comprendre ce qu’il n’avait jamais appris.
Le métier de gigolo ne serait pas une mince affaire pour laquelle il lui suffirait d’être plutôt bien de sa personne et de savoir se présenter, toujours à son avantage.
Il lui faudrait être capable de rester constamment en alerte, de maîtriser ses nerfs et surtout de conserver l’emprise totale de ses sentiments.
Or, cette affaire se présentait plutôt mal.
Elle l’émut dès le premier regard.
Et le piège s’était refermé ; sur lui.
Durant toutes ses années d’apprentissage, au cours de toutes ses aventures qui lui avaient permis de vérifier son pouvoir d’attraction sur la gente féminine, il n’avait jamais eu l’occasion d’éprouver de véritable inclination pour aucune femme ; de la tendresse, tout au plus.
Et voilà que, sans coup férir, cette pâle inconnue lui faisait de l’effet, sans même le vouloir !
Etre ainsi pris en traître, dès la première rencontre professionnelle, voilà bien un accident qu’il n’aurait pu envisager !
De même, il ne pouvait s’expliquer pourquoi, au premier regard porté sur lui, elle lui avait fait sentir qu’elle n’était pas faite pour le rôle qu’il espérait la voir très vite jouer ; pas plus qu’il ne pouvait s’envisager, avec elle, dans celui d’un homme entretenu.
Elle parut, à ses yeux, bien trop émouvante et, d’emblée, il aurait dû la fuir d’un simple « au revoir », en l’abandonnant à son évidente lassitude.
Mais il était resté assis, face à elle, dont les yeux ressemblaient -pour lui- à deux naufragées en péril.
Lui qui savait à peine nager…
Plus tard, bien plus tard, quand ils se revirent ailleurs et qu’il sut son histoire, il découvrit qu’ils ne seraient jamais faits pour entretenir des relations vénales.
Dommage !
Car toute malheureuse qu’elle était, elle ne manquait pas de fortune.
Aucun souci de ce côté-là.
Ne pouvant s’en défaire, ne voulant pas s’en éloigner, il la surnomma « mon sable émouvant ».
Et dut repartir en chasse afin de gagner sa vie.
Retour à la case départ et nouvelles tentatives d’approches plus ou moins glorieuses et fructueuses.
Il s’évertua à passer toutes ses soirées, jusqu’à des heures parfois très avancées, dans ce même haut lieu de rencontres -café, brasserie, bistrot, restaurant, dancing- où il avait échoué à faire ses premières armes.
Après des thés au jasmin bus -en vain !- jusqu’à l’écœurement, il passa à des boissons plus réconfortantes.
Quelques tâtonnements bien excusables et il parvint à trouver une véritable source de contentement avec des cocktails à base de whisky.
Son préféré ?
Le « Bourbon old fashioned » pour le nom (déjà) et pour la belle rondelle d’orange qui chevauchait le bord du verre.
C’était sucré en diable, mais sacrément bon avec la petite amertume apportée par l’angostura !
Histoire de varier les plaisirs, durant ses longues nuits passées à observer de potentielles proies, il s’essaya même au « Bloody Mary ».
Mais la vodka et lui ne firent pas bon ménage ; la faute au jus de tomate, très certainement !
Jusqu’au jour où…
Une nuit, vers 1h30, il tomba sur la perle rare : une femme ayant le double de son âge et fort peu d’états d’âme.
Le fume-cigarette à la bouche, elle le toisait depuis deux siècles quand il finit par se décider, bien aidé par l’alcool, certes.
L’affaire fut vite entendue.
Le lendemain matin, au réveil, il s’éclipsa rapidement de peur de se laisser malencontreusement éborgner par son interminable fume-cheminée perpétuellement allumé !
Elle s’avéra capable de bien des négligences.
Mais aussi de tant de largesses, en compensation.
Cette vieille et fière rombière lui permit de vivre royalement jusqu’au jour où son cœur, de guerre lasse, lâcha simplement prise sans (le) prévenir.
Pris de court, il retourna vivre dans son petit studio, tout au nord de la capitale, qu’elle avait eu le très bon goût de lui offrir pour fêter leur première année d’…entente cordiale.
Quand il sut -très vite- qu’elle avait omis de le coucher (pour la dernière fois) sur son testament, il comprit qu’il devrait se mettre en quête d’un tout nouvel avenir et donc…se remettre sur le marché de l’emploi.
D’où l’éternel retour sur les lieux de ses premières expériences professionnelles.
Il n’avait pas trente ans.
Sa deuxième vie (ou presque !) commença un jeudi de novembre à 0h01.
Le « Beaujolais nouveau » était arrivé et avec lui tout un tas de proies facilement abordables.
Certaines lui parurent même avoir devancé l’heure officielle, comme si elles avaient trouvé discrètement l’accès direct à la cave.
Beaucoup voulaient probablement effacer bien des souvenirs : ceux de leur jeunesse éloignée ainsi que les myriades d’illusions définitivement perdues.
En moins de temps qu’il n’en fallait pour dire deux fois « tchin ! », il prit conscience qu’il restait le seul mâle à vingt mètres à la ronde.
Où donc avaient bien pu s’enfuir les autres ?!
Difficile de se sentir de taille à faire front tout seul ; cette tâche s’avéra encore plus colossale quand il se mit à dénombrer les regards égrillards qui convergeaient vers lui.
Malgré son savoir-faire, il se sentit retomber en adolescence.
Il connut même un vif instant de peur-panique en voyant fondre sur lui une sorte de…gourde à molette ; pas d’autre manière -selon lui- de surnommer cette femme qui vint lui bredouiller à l’oreille un leste et surprenant « Dis, tu voudrais pas m’époustoufler ? ».
Il n’avait jamais entendu plus grivois, du moins en de telles circonstances !
Et son deus ex machina fit son apparition.
Une femme entre deux âges, le cheveu court et blond, le visage un brin sévère mais l’œil également amusé.
Immédiatement et sans un mot elle éclipsa la malotrue qui partit valdinguer bien plus loin.
Et, de plus près, elle apparut soudain un peu jeune, au point de le faire douter.
Il hésita vraiment à croire qu’elle s’était avancée sans autre intention que de se moquer de lui.
Son regard était bien trop…alors que la froideur de son visage au contraire…
Il demeura perplexe et entièrement sur ses gardes.
Elle seule avait le contrôle de la situation, mieux valait l’admettre de bonne grâce.
Il eut l’idée de ne rien dire et de l’accueillir d’une simple inclinaison de la tête en lui offrant sa pupille la plus noire veloutée.
De suite, il la vit ne pas rester indifférente.
Son ténébreux tempérament n’avait jamais été aussi bien nuancé.
Le dosage était sans nul doute parfait ; il allait s’en féliciter quand elle lui demanda s’il…avait l’heure.
Non…de nom d’une pipe à roulettes !!
C’était là une tentative d’approche typiquement masculine ; aux hommes l’inquiétude de l’heure, aux femmes la quête…du feu, pour leur cigarette !
Ça fonctionnait très bien ainsi depuis belle lurette et voilà que cette nuit cette femme, dont il ne savait rien, venait tout mettre par terre !
Il préféra la renseigner sur la question temporelle (près d’une heure du matin), vu qu’il n’était plus certain d’avoir encore une notion de l’espace.
Les derniers bastions de la belle maîtrise de son art venaient de tomber !
Et comme il renonçait à toute velléité, il vit son expression s’adoucir en un instant.
Le visage retenu et légèrement crispé laissa place à un premier vrai sourire entendu et complice.
De cette nuit-là, il se souvient encore très précisément aujourd’hui, à l’heure de l’ultime (ou soi-disant) bilan ; aucun des deux n’avait trouvé le temps de mieux goûter le nouveau millésime du Beaujolais, ayant décidé de lever le camp illico et prestement.
Vifs comme un (seul) éclair, rapides comme deux gazelles, ils avaient filé hors de portée des regards les plus envieux.
Ils avaient poursuivi leur course durant une prodigieuse décennie qui les avait vus voler de Londres à Berlin, en passant par Monte-Carlo et retour à Paris.
Puis, d’un commun accord, ils décidèrent de tourner le dos à un trop plein de joyeuses futilités et partirent définitivement pour l’Asie.
Pour ultime fantaisie, ils jouèrent à pile et face leur première destination, lançant une pièce d’or au-dessus d’une carte ; la Malaisie fut désignée ; ils choisirent, par prudence, de commencer par Kuala Lumpur, la capitale.
Le goût de l’aventure aurait bien le temps de les gagner ensuite.
Et effectivement, ils éprouvèrent de grandes difficultés à demeurer longtemps dans un même lieu.
Ainsi, très rapidement, ils remontèrent vers le Nord, en suivant la carte : Cambodge, Thaïlande, Birmanie, puis à grands coups d’ailes, redescendant vers le sud-ouest, le Sri Lanka pour un peu de repos, croyaient-ils.
Et de Mannar, ils passèrent naturellement à l’extrême sud de l’Inde.
Cela faisait à peine quatre mois qu’ils avaient fait leurs adieux au Vieux Continent.
De Madurai, ils se dépêchèrent de partir afin de rejoindre Pondichéry puis Madras sans trop tarder, histoire de coller au près à la côte est qu’ils remontèrent comme on se gratte l’épine dorsale.
Plus parce que ça rassure et moins parce qu’elle démange.
Pour eux deux, cela correspondait indiscutablement à leur envie du moment.
Et, de toute évidence, ils vivaient une phase spécialement versatile : en cinq jours passés à Madras (qui n’avait pas, alors, encore été rebaptisée), ils avaient eu le temps de parcourir en tous sens l’interminable Marina Beach, sur laquelle ils avaient assisté aussi bien au lever qu’au coucher du soleil, de s’emballer d’un même élan pour l’architecture de la Basilique St Thomas (ils y retournèrent quotidiennement, comme en pèlerinage), d’avoir chaud et de finalement s’ennuyer un peu trop.
Le sixième jour, au petit matin (alors qu’en d’autres temps, Dieu n’avait même pas encore achevé Son Œuvre), sans se concerter, ils se résolurent à partir sans attendre.
Direction Bhubaneswar, une vieille cité débordant de temples, dont un tout particulièrement les attirait : le Temple de Jameswar.
Et comme dans ce même « Triangle d’Or » ils tenaient absolument à voir aussi le Temple de Konarak (dans un village, plus au sud) qui leur avait été chaudement recommandé, ils se sentirent motivés pour s’offrir une brusque et grande remontée de la côte à tirs d’ailes.
De ce fait, leur sommeil devint secondaire, et, conséquence immédiate, leurs moments d’intimité de plus en plus rares.
Qu’importait ! Que n’auraient-ils pas fait pour enchaîner les visites de temples, quand d’autres enfilaient les perles !
Mais en approchant du Temple de Konarak, ils déchantèrent progressivement.
Si l’arrivée verdoyante les séduisit, ils se trouvèrent carrément incommodés devant cette immense chose en forme de char (reposant sur douze paires de roues « merveilleusement sculptées » !!).
Considérées individuellement, les roues n’étaient pas mal (certes), mais le temple dans son ensemble leur fit l’effet d’un…immonde soufflé monté trop vite !
Indigeste !!
Et dire que tout ceci était inscrit au Patrimoine Mondial de l’UNESCO…
Du coup, autant par caprice que suite à cette considérable désillusion, ils refusèrent d’en voir davantage et regagnèrent au plus vite Bhubaneswar.
Là, ils savaient qu’ils pourraient, à loisir, visiter plusieurs centaines de temples et, surtout, voir et revoir le Temple de Jameswar qui les avait ravis aux premiers regards ; le cadre, l’architecture, tout avait emporté leur entière adhésion.
Mais, une fois de plus, l’heure de partir ne tarda pas à se faire sentir.
Et cette fois, ils comprirent qu’ils s’étaient laissé enivrer par trop de visites touristiques.
N’étant tout de même plus à un « excès » près, ils voulurent assister au lever du soleil sur le Taj Mahal et remontèrent d’un coup sec dans le nord de l’Inde.
Ce fut exactement ainsi qu’ils l’avaient rêvé : romantique et poignant à souhait ; pensez donc, un mausolée consacré à une épouse défunte érigé (enfin, sans doute avait-il seulement levé la main pour apposer sa signature) par un veuf inconsolable !
Vint (enfin !) le moment de songer à devenir spirituels.
Mais pour la première fois depuis qu’ils s’étaient rencontrés, leurs envies divergèrent.
Lui voulait à tout prix voir le Gange de très près en proposant une halte à Bénarès, elle se refusait à perdre un instant de plus, désirant rejoindre Calcutta au plus vite.
Il fit tant et plus pour la convaincre et l’amadouer, tentant de jouer -à nouveau- de ses charmes.
Mais ceux-ci semblèrent s’être malencontreusement évanouis au fil des centaines de kilomètres parcourus en un temps record.
Il insista, pourtant.
Elle résista, sans sourciller.
Et, bien évidemment, il dut baisser pavillon et faire semblant de la suivre avec grâce.
A peine arrivés à Calcutta, malgré la fatigue d’un voyage qui s’était déroulé en train de façon assez périlleuse et -entre eux deux- houleuse, elle n’avait eu qu’un seul leitmotiv, plus qu’une seule obsession : le « mouroir de Kalighat » et rejoindre Mère Teresa !
A ‘t’huit ans (plus que passés) elle ressentait brutalement l’impérieux besoin d’apporter son aide aux « Missionnaires de la Charité » et de se consacrer aux autres.
Il trouva ce sens soudain de l’abnégation fort louable mais peu compatible avec son plan de carrière !
Cependant, une fois de plus, par habitude autant que…parce qu’il n’avait pas de solution de remplacement, il acquiesça.
Les premiers jours furent terribles pour tous les deux.
Le bruit, la fureur et la pauvreté ; ils prirent tout de plein fouet.
Des grandes villes à travers le monde (essentiellement en Europe), ils en avaient connues ; mais ils n’avaient jamais été si violemment frappés par autant d’images de misère et de désolation.
A tous les coins de rues, parfois tout le long des trottoirs, jonchant le macadam, des êtres humains, presque inanimés, se mouraient.
C’était insupportable.
Certains quartiers de la ville semblaient être abandonnés aux plus déshérités d’entre tous, les plus malades, les culs-de-jatte, les défigurés, les atrophiés, les amputés, les bannis.
C’était intolérable.
Distribuer des roupies tous les mètres n’auraient sans doute pas servi à grand-chose, tant la plupart de ces miséreux paraissaient totalement incapables de faire un seul pas pour les dépenser et se nourrir.
Ils donnaient le sentiment d’être soi-même impudents et illégitimes, rien qu’en passant par là, avec l’avantage de pouvoir se tenir debout.
C’était inhumain.
Alors, au bout d’une semaine de ce calvaire auquel ils n’avaient pas voulu se soustraire, ils trouvèrent la volonté, peut-être le « courage », et surtout la motivation pour prendre contact avec les Missionnaires de la Charité.
Ils ne rencontrèrent pas Mère Teresa, bien sûr, mais ils commencèrent à apprendre comment aider ceux qui n’avaient même plus la force de les solliciter.
Ils furent les bienvenus, les volontaires manquant toujours en nombre en regard des multiples tâches à accomplir.
L’orphelinat, où ils avaient été adressés, était un centre dédié aux handicapés mentaux (et souvent physiques, aussi), ce qui supposait qu’ils pouvaient tout autant y faire le ménage quotidien des dortoirs que s’occuper plus précisément des enfants (ils étaient soixante-deux à leur arrivée), lors des jeux, comme au moment des repas qui s’avérèrent particulièrement délicats car ils devaient gagner la confiance de chacun avant de pouvoir les aider à se nourrir.
Ils durent, tous deux, s’adapter à des conditions humaines de vie qu’ils n’auraient jamais pu imaginer au préalable.
Au soir du troisième jour, de retour dans la chambre qu’ils avaient prise en ville, épuisés, ils s’interrogèrent du regard.
Leur fatigue était certainement plus encore mentale que physique ; ils se mirent à douter de leur capacité à tenir le choc durablement et suffisamment pour se rendre utiles.
Ces enfants abandonnés et oubliés de (presque) tous les touchaient tellement qu’ils craignirent de ne pouvoir supporter un trop plein d’émotions ; à force d’être essorés comme les lessives qu’ils avaient faites à la main, leurs petits cœurs ne risqueraient-ils pas de lâcher subitement ?
Ils se couchèrent avec cette incertitude et se relevèrent le lendemain, pleins d’un entrain décapé à neuf.
Les dés étaient jetés ; ils tiendraient la distance et relèveraient ce défi personnel aussi longtemps qu’ils le pourraient !
Les rires des enfants constituèrent leurs plus belles récompenses quotidiennes : un rien suffisait à leur bonheur et semblait les enthousiasmer plus que de raison.
Ce qui, initialement, aurait pu ne durer que deux ou trois semaines devint leur nouvelle vie.
Progressivement, discrètement, leurs habitudes changèrent de manière radicale.
Chaque matin elle s’habillait de la même façon, ne se maquillant plus que pour tenter de dissimuler la fatigue de son visage ; lui avait, semblait-il, renoncé à séduire qui que ce fût, hormis les enfants pour leur soutirer des éclats de rire et des sourires béats.
Ce nouveau mode d’existence était susceptible de perdurer jusqu’à leur mort.
Ils n’étaient plus vraiment amants, mais de bons camarades à coup sûr.
Ils le restèrent jusqu’au matin où elle ne se réveilla pas.
Le cœur, lui apprit-on.
Il demeura d’abord abasourdi, s’interrogeant -vainement- sur l’âge qu’elle pouvait bien, finalement, avoir.
Puis, suivant les conseils des sœurs (mais aussi des laïques) du centre, il prit la décision de partir.
Après toute cette longue période d’une vie sédentaire, utile et bien organisée, il ignorait de quoi seraient faits ses lendemains.
Passées les démarches officielles pour lesquelles l’Ambassade de France lui apporta un soutien non négligeable (elle avait opté pour une discrète crémation, sans rapatriement superflu), il eut la surprise d’apprendre qu’elle avait tout prévu.
A croire que, peut-être, elle-seule savait ses heures comptées.
Son testament stipulait qu’une somme assez appréciable (de quoi vivre deux belles années parisiennes à se la couler douce) lui était dévolue, tout le restant de sa fortune allant directement aux Missionnaires de la Charité.
Vint l’heure des adieux.
Malgré le détachement dont il essaya de faire preuve, il se surprit à retenir violemment ses larmes, quand certains enfants lui tendirent spontanément les bras ; de même, lorsque deux ou trois lui demandèrent s’ils reviendraient les voir très bientôt tous les deux.
Il lui fallut partir vite.
Et tout naturellement il décida d’aller voir le Gange, direction Varanasi.
Puisqu’il était entièrement libre, à présent, de choisir sa destination et qu’il ne savait pas où aller, pourquoi ne pas vivre une aventure qui l’avait autrefois tenté ?
Il prit un train, des trains, pour la première fois tout seul ; cela lui prit des heures durant lesquelles il lut, puis relut le même livre de Cendrars.
Arrivé à destination, il comprit soudain qu’il s’était -involontairement- autorisé un assez large détour.
Qu’importait !
Il déboula sur les ghâts par temps de brouillard et à la nuit tombée.
Ce n’est pas le fog londonien qui essaya de le gober tout cru, mais il eut bel et bien l’impression de se heurter à un mystérieux magma singulièrement opaque.
Rencontre inopinée de deux matières : soit un amas de cellules humaines et un…sglup restant à définir ; solide, liquide ou gazeux ?
La chose la plus étrange, surprenante, bizarre, troublante -sans être inquiétante-, et donc…singulière, fut, pour lui, de sentir, voire d’appréhender le Gange à deux pas ; aussi proche qu’invisible.
Telle une présence tangible, il devait se trouver là, quoique -momentanément- dans de mauvaises dispositions, planqué derrière un paravent de brume.
Pour preuve, il s’avérait palpable, tout en restant à l’arrière plan.
Les présentations n’eurent officiellement lieu que le lendemain matin.
A peine sorti de la pension qu’il avait péniblement dégotée la veille au soir, à force de grimper des suites d’escaliers tout en croulant sous le poids de son sac-à-dos, il n’eut qu’une idée en tête.
Plutôt que de partir en quête d’un petit-déjeuner, comme tout touriste digne de ce nom, il redescendit toutes les marches de tous les escaliers qu’il avait montés la veille, pour que cette rencontre puisse enfin se faire.
Le temps n’avait plus rien à voir avec les obscures conditions météorologiques de leur première approche : soleil au zénith, température élevée, sans chaleur excessive, et un ciel bleu presque indécent.
En arrivant sur la berge, le nez au-dessus de l’eau sacrée, une certaine forme de timidité (mais n’était-ce pas seulement de la retenue ?) lui revint en mémoire, avec un effet boomerang d’autant plus fort, qu’il ne l’avait plus ressentie poindre à ce point depuis qu’il avait quitté le Vieux Continent.
D’émotion, il se décomposa, littéralement liquéfié et donc en parfaite harmonie avec l’élément en dessous.
Refusant de se laisser publiquement aller, il retrouva ses esprits pour goûter aux joies des présentations une fois différées.
Il regarda autour de lui, tout autour, sur le bord, comme dans l’eau, et se surprit à sourire béatement.
Le spectacle proposé l’apaisait.
Certains mots de Baudelaire lui revinrent en mémoire : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ».
Bon. Pour ce qui était du luxe, le charlot pourrait bien repasser ; mais pour tout le reste…c’était exactement ça !
Un sentiment de plénitude et de sérénité.
Le soulagement dans toute son ampleur et la consolation de tout !
Il avait toujours cru cela totalement impossible, en tous cas pour lui.
Il fut soudain pris d’une irrépressible envie de conserver ces preuves flagrantes sous forme photographique.
Dès lors, son œil droit et le viseur de son vieux Reflex ne firent plus qu’un.
Depuis qu’il avait quitté l’Europe, il n’avait pas une fois éprouvé le besoin de ressortir son appareil, alors qu’en ses jeunes années parisiennes, il avait pris goût, en amateur, à la pratique assidue du « Huitième art » (sauf erreur de numérotation de sa part).
Cela lui donnait l’impression de meubler ses journées en attendant la nuit.
Et là, au contraire, il craignait de ne pas avoir suffisamment de temps et de mémoire pour garder en lui toutes les images des spectacles qui se présentaient au hasard ; étrange revirement.
Il y avait tant de visages, de couleurs, de scènes, d’occasions -en somme- de vouloir conserver les visions d’une Inde qui le prenaient parfois littéralement à la gorge ; un trop plein d’émotions qu’il ne s’expliquait pas.
Il s’amusa à faire collection de…fenêtres (plus ou moins ajourées), de portes sculptées (principalement en bois), de barques sur le Gange, de gigantesques cannes à pêche perchées au-dessus du fleuve ou de saris dont les couleurs lui tournèrent la tête (des rouge et or, des verts, bleus ou jaunes profonds).
Il croisa également des porteurs de lungis qui lui rappelèrent ceux et celle qu’il avait laissés derrière lui à Calcutta (il revit même des motifs identiques, rayés ou quadrillés, en dégradés de bleu, vert, ocre…).
Il assista à une crémation tout au bord du fleuve sacré, apprenant, juste un peu tard, que les photos étaient interdites en ces circonstances.
Paradoxalement, un drôle de souvenir était resté attaché à cette scène (heureusement que des photos existaient pour mieux témoigner !). Il était olfactif, le contraignant à reconnaître, non sans une certaine gêne, avoir perçu une très nette odeur de…poulet sans frites !
De plus, il se laissa fasciner par les quantités d’ablutions pratiquées par les brâhmanes qui, dès l’aube, se consacraient aux rites de purification (avec cendres et eau à volonté).
Quoique mal réveillé (le soleil se levant à peine !), il ne pouvait s’empêcher d’admirer la ferveur et la concentration qui semblait tous les animer.
Photographiquement, les femmes n’étaient pas en reste à l’heure des lessives, même s’il se sentait -alors- nettement plus importun, voire indélicat.
Pourtant, jamais personne ne lui fit remarquer son indiscrétion.
Et puis, un beau matin, il se leva, ni plus chagrin, ni plus mal embouché que d’habitude et fut pris de violents vertiges en empoignant son appareil-photo.
A peine le temps de s’asseoir sur le bord du lit et de se croire (carrément !) victime d’un malaise vagal, voire d’une syncope.
Cette petite baisse de tension, tout au plus, lui servit de révélateur : depuis des semaines et des mois, il avait pris l’habitude de ne plus regarder le monde qui l’entourait qu’à travers le filtre de ses objectifs.
Sa pupille (droite) venait de faire une overdose d’images reflétées à l’infini !
Bien plus sûrement encore, il réalisa qu’il ne faisait plus, depuis longtemps, que jouer les vampires, par photos interposées.
Il avait cessé de vivre, sauf par procuration.
Plus de vraie rencontre, depuis Calcutta, ni d’échanges avec quiconque et il ne pouvait certes pas retenir les brefs instants passés avec les marchands de thé du bord du fleuve, même s’il pensait en avoir bu des milliers.
Il était temps.
Il n’avait plus de place dans ses bagages pour d’autres pellicules photos, il n’avait surtout plus la forcer de continuer à s’illusionner.
Tout seul et pour personne d’autre que lui, son existence ne valait pas tripette !
A la bourse de la vie, sa cotation n’avait plus cours ; pas quantifiable, infinitésimale !
L’heure avait sonné.
Celle de refaire ses valises, de reprendre la route, les trains et les avions, et de rentrer (via Delhi) à Paris.
Près de cinq ans après avoir quitté (« définitivement » !) la capitale, il y faisait son grand retour.
En fait, il se scratcha à Roissy Charles de Gaulle à 5h40 très précises.
Le petit-déjeuner de deux heures du matin (heure locale, dans l’avion) était toujours en transit et débarquer ainsi, violemment, à une heure si indue, ne l’aida pas le moins du monde à retrouver le sens de valeurs oubliées et révolues.
La France avait définitivement (elle !) effectué son changement de monnaie, sans lui.
Du coup, le change à l’aéroport lui prit des heures, ou presque, et il n’eut pas plus de chance en reprenant contact avec les transports en commun parisiens.
Il se trompa de ligne de RER puis de métro, n’ayant pu retrouver son plan, dont il n’avait nul besoin autrefois, le connaissant par cœur.
Heureusement qu’il se souvenait habiter au nord de Paris et dans quelle poche de son sac-à-dos il avait mis les clefs de son loft !
Ses trente mètres carrés lui parurent immensément inconvenants, ce qui ne l’empêcha pas de s’écrouler, sans scrupule inutile, sur son lit de 1m90 x 1m60.
Il comata jusqu’au lendemain midi dans des draps bien frais dont il ne put profiter tant il était épuisé.
Il se réveilla la bouche et l’esprit pâteux après seize heures d’un sommeil sans rêve ni nuage.
Ce n’est qu’en émergeant de là qu’il dut réaliser qu’il n’était plus en Inde.
Mais son cerveau s’y refusa, farouchement.
S’ensuivit une accumulation de désagréments plus ou moins considérables et relativement dérangeants : perte de repères et d’appétit, puis de l’envie de sortir et de voir qui que ce soit (mais comme il ne connaissait plus personne !) ; gros coup de calcaire et grosse déprime pour finir par une bonne dépression bien méritée !
Et pas un seul instant il n’avait eu l’idée de repenser à son « sable émouvant » qui n’habitait pas loin (un arrondissement contigu) ; mais à quoi bon !
Ils n’avaient pas eu l’heur, autrefois, de pouvoir se trouver et elle avait sans doute largement eu le temps de faire sa vie, depuis leurs adieux définitifs la veille de son décollage, cinq années plus tôt.
Un soir -celui de son quarante-troisième anniversaire, comme par hasard !- où il avait un peu trop bu sans parvenir à trouver le sommeil, il avala, par mégarde, un peu trop de somnifères.
Un tour de cadran plus tard, ayant raté son coup (mais l’avait-il vraiment prémédité ?…), il la retrouva à son chevet.
Toujours le même visage, mais nullement indécise ou évanescente, telle qu’elle lui était apparue à l’origine.
Bien présente, il pouvait l’entendre le tancer vertement : réprimandes et remontrances semblaient être à l’ordre du jour.
Au comble de tout, du malheur, du bonheur, de la capacité d’émouvoir qui avait -apparemment- changé de bord, il la vit se pencher sur lui et sourire.
Et de se dire enfin qu’il lui faudrait sûrement vite se réinventer.
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Posté par BernartZé le 6 octobre 2009
Dialogue avec…moi-même (!)
- On n’oublie pas, on s’habitue.
– Sans doute. Mais…on n’oublie pas, tout de même !
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Posté par BernartZé le 27 septembre 2009
(très bref) Hommage
– [...] « Elle est morte ! »
(mot d’excuse -mensonger- à propos de sa mère) - « Les 400 coups », le retour (!)
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Posté par BernartZé le 25 septembre 2009
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Posté par BernartZé le 22 septembre 2009
Le sang d’un pouët
- Il crache du sang, il crache du sang ; oui, et alors ?
C’est facile de cracher du sang, il suffit de saigner du nez !
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Posté par BernartZé le 3 septembre 2009
46 à gauche, avant le platane
Encore faudrait-il savoir l’éviter !
Le virage était là, devant moi, facile à négocier, en apparence.
Pas de manœuvre ardue ni d’obstacle visible.
Une belle courbe élégante, harmonieuse et subtile ; circulation réduite à sa plus simple expression.
Et pourtant…
Le ciel était radieux, je roulais tranquillement, le nez au vent, accoudé à la fenêtre baissée.
Chemin faisant, je songeais.
Je repensais au temps lointain où j’étais jeune et insouciant, à mes vertes années, à tous ces beaux mirages que j’avais entrevus, au cours de deux ou trois étés.
Ces images chimériques s’étaient effacées, une à une, beaucoup trop rapidement.
Et quand bien même j’avais pu m’en trouver affligé, l’accablement n’avait pas totalement réussi à m’écraser.
Il m’était resté certaines illusions, comme seule une relative jeunesse est susceptible d’en nourrir.
L’âge aidant, elles ne manquèrent pas de devenir faméliques, puis de mourir d’inanition.
Les pauvres !
De même, j’avais aimé, j’avais été aimé, sans doute.
Mais que m’en restait-il ?
De jolis souvenirs et quelques belles rencontres ; pas de famille fondée, juste une vie et plein de pointillés !
Point de trace laissée, ni d’héritage à transmettre.
Était-ce réellement primordial ?
D’ailleurs, pourquoi les autres cherchaient-ils tant à léguer leurs chromosomes au même titre que leur butin patiemment amassé au cours de toute une vie ?
Était-ce dans l’espoir de céder la meilleure part d’eux-mêmes avec générosité et le plus grand désintéressement ?
Si la vie était une énigme, cette question semblait l’être bien davantage !
Roulez jeunesse ! Continuons, sans se soucier de trouver un seul élément de réponse.
Ma route était donc toute tracée ; les bagages dans le coffre étaient ultra légers.
Hors de propos de s’inquiéter du lendemain ni de vouloir découvrir un sens à ce qui me paraissait de plus en plus obscur, au fil des ans.
Et même en cas de brouillard, n’avais-je pas à ma disposition des feux capables de percer les ténèbres comme la purée de pois ?!
Mais absolument rien à craindre ce jour-là, le temps était tout bonnement idéal pour rouler sans souci.Mon cabriolet vert (Véronèse) métallisé filait avec une belle allure, du moins ainsi que je pouvais le visualiser, c’est-à-dire fendant fièrement l’air !
Ce dimanche-là, au beau milieu de l’après-midi, j’avais décidé de rentrer de la campagne, sur un coup de tête, plus tôt que prévu.
Je n’étais pas attendu avant le lendemain par mon agent, avec lequel je n’avais rendez-vous qu’en fin de matinée.
Le week-end avait été fécond, très studieux et fort peu relaxant.
Finalement, histoire de me défouler, je m’étais résolu à tondre la pelouse, comme on part en croisade.
Une réelle ferveur m’habitait pour parcourir au petit trot mes arpents.
J’avais des fourmis dans les jambes, que je voulais chasser rapidement en courant derrière la tondeuse ; coupons, scalpons le vert gazon !!
Partout où je passais, plus rien ne repousserait avant…le lendemain !
Aux deux-tiers de ce parcours athlétique, au détour d’une plate-bande de lilas, la lassitude me prit et les bras me tombèrent soudain le long du corps.
Il devenait clair que j’en avais tout simplement ras-le-bol de ces vapeurs d’essence, malgré la fraîche odeur de l’herbe coupée.
Après m’être laissé griser par ma mission, j’étais revenu à une plus juste réalité : je déteste les travaux de jardin !
Du coup, n’y tenant plus, je garais illico, et très prestement, la faucheuse dans la remise, sans même prendre la peine et le temps de la vider de toute l’herbe avalée.
Une bonne douche plus tard, les idées claires, débarrassé des effluves horticoles, je bouclais mon paquetage en quatrième vitesse et je sautais dans ma voiture à l’heure où d’autres finissaient sans doute à peine leur sieste.
J’étais tout content de rentrer avant l’heure et assez fier de mon coup de tête.
Impatient aussi, sans pour autant savoir pourquoi.
Je sentais seulement monter en moi une sorte de besoin ou d’urgence indéfinissable.
Comme s’il m’était tout-à-coup devenu indispensable de tenter de compresser le temps.
Ce n’était pas une lubie, non, mais plutôt une brutale nécessité.
Sans aucune irritation ni le moindre énervement, j’étais envahi par la hâte de regagner mes pénates.
Tout à mon impatience, je me fis soudain l’effet d’un escargot embarqué sur une trottinette à moteur.
Cela devenait de plus en plus intolérable de devoir supporter la lenteur avec laquelle les paysages semblaient feindre de se succéder.
Peut-être est-ce à ce moment-là que j’ai appuyé -par mégarde- sur le champignon…
Je me souviens très bien d’avoir aperçu le virage à aborder ; sans doute pas l’arbre en question, si ce n’est à l’ultime instant.
Trop tard, évidemment.
J’aurais aimé un saule pour me pleurer avant l’heure ; ce ne fut qu’un platane.
Dommage !
Je vois plein de lumières…
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