Fauché par un chauffard en marchant sur une mine !
Tranquillement je descendais, le nez au vent, le boulevard St James ou John ou…je ne sais plus trop, ce qui n’a d’ailleurs aucune importance.
C’était l’automne, juste une semaine avant l’hiver.
Il ne faisait ni froid, ni chaud, ni soleil, ni pluie et tout m’était égal, ou presque.
J’allais à mon rythme habituel, toujours en retard, toujours pressé, pas vraiment sur le trottoir, beaucoup sur la chaussée.
Je pensais…j’ai oublié.
Mes écouteurs bien vissés dans mes tympans, j’avançais en musique.
Laquelle ? C’était il y a des années, alors ce genre de détail…!
Soudain…
Oui, parce que ça s’est passé…euh…disons assez brutalement.
Du genre : avant, je marchais normalement ; après, plus du tout.
Et je me suis ensuite contenté de…râper de tout mon long le macadam sur quelques mètres.
Entre temps, difficile à dire, vu que je n’ai justement rien vu, ayant omis de régler mes rétroviseurs de piéton empiétant sur une partie de la chaussée.
Un coup violent me fut porté dans le bas du dos qui me fit trébucher et basculer en avant, me conférant une accélération certaine.
Quoique me trouvant aux toutes premières loges, j’aurais eu bien du mal à témoigner alors du déroulement des opérations.
J’étais à terre, assurément !
Après avoir longuement (?) frotté le bitume, plus sur le flan droit que sur le dos, ma course a cessé et j’ai vu d’en deçà passer…un train ? Une vache ?
Non, un bus, tout simplement !
Et il passa si près de ma tête…
Pas suffisamment, apparemment, pour que je puisse lire son numéro.
Mais c’est ma faute : je n’avais pas pensé à chausser mes lunettes.
Je suis parfois si distrait !
J’ai oublié quelques menus détails de ce petit événement : ce n’est tout de même pas tous les jours que l’on se fait bousculer -renverser !- par un train, une vache, un bus ou un deux roues !
Parce que, réflexion faite, seul un chauffard, sur sa monture motorisée, a pu me faire ainsi basculer en avant d’un coup de pied savamment ajusté dans le bas de mon dos.
Tout s’est déroulé si rapidement que je n’ai rien pu apercevoir dans mes rétroviseurs mal réglés (pour ne pas dire…absents), ni parer !
Etrangement, ce dont je me souviens parfaitement, que je n’ai bizarrement pas du tout oublié, c’est une surprenante sensation que je ne m’explique toujours pas aujourd’hui.
Celle à laquelle je ne puis donner un autre nom que celui de compactage mental.
Comment mieux dire ou raconter ?
Sitôt le sentiment de ma chute avéré, j’ai perçu, quelque part dans ma conscience, un déclic se produire.
Une sorte de pilotage automatique avait remplacé les commandes habituelles de mon cerveau.
Sa mise en route, son déclenchement soudain, avait pour unique dessein de tenter de retenir de toute mon énergie intérieure la plus insoupçonnée…tous mes morceaux ; ceux de mon corps, à commencer par les os articulés de mon crâne !
Comme si une force centripète avait agi en moi pour ne rien lâcher ni perdre un seul bout de ma carapace !
Rien ne devait extérieurement se briser, à condition de ne plus faire qu’un, tel un roc !
Et c’est ce qui s’est miraculeusement produit.
Pour être exact, je crois bien avoir d’abord rebondi sur le goudron avant d’aller m’étaler davantage sur quelques mètres !
Petit, mais énergique, frotti-frotta sur le côté droit, le temps de me faire arracher quelques cheveux, griffer sauvagement une épaule de parka et une cuisse de jeans.
A un moment ou l’autre, les souvenirs savent toujours revendiquer leur prix !
Dès la reprise de mes premiers esprits, je me suis relevé d’un bond, ou presque ; toujours, en toutes circonstances, garder la tête froide et rester le plus digne possible.
Il était temps, après mon lamentable étalage !
J’ai regagné la rive la plus proche, un trottoir, sitôt remis sur mes deux pieds.
Entre temps, je crois me rappeler un automobiliste, le seul, qui avait eu l’idée de s’arrêter pour prendre de mes nouvelles et se préoccuper de mon état.
Et c’est dans son regard que j’ai lu le péril qui m’avait frôlé : tout à la fois la violence du choc et la proximité du bus passant inopinément par là et que j’avais vu, la tête à l’envers, me tutoyer dangereusement de ses roues arrières.
Le « conducteur inquiet » avait même l’air surpris que je me tienne à nouveau debout et que je décline, sans hésiter, son offre de me conduire à l’hôpital le plus proche !
Qu’avait-il vu de l’incident ?
Je l’ignorerai toujours et je ne saurai jamais traduire l’effroi fugace de son regard…
Une fois à l’abri du danger, de la curiosité des passants, du flux comme du reflux de la circulation du boulevard, j’ai pu recompter tous mes os et abandonner là, sur un coin de trottoir, une ou deux touffes de cheveux.
Un moindre mal, en somme.
Bien plus tard chez moi, j’ai eu le loisir d’admirer mon tout nouveau et large tatouage violacé, qui s’était développé en haut de ma cuisse droite, pour me rappeler à l’ordre : cela, dorénavant, m’apprendrait à marcher, en toute confiance, au beau milieu de la chaussée !
Et, la semaine suivante, sur le même boulevard, je reprenais mes bonnes vieilles habitudes…
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